Retour sur la fascinante aventure des hélicoptères en gendarmerie – épisode 4 : légitimité et indépendance (1956-1958)

  • Par Roger Drouin, lieutenant-colonel (réserviste), ancien des Forces aériennes de la gendarmerie (FAG) de 1975 à 1988
  • Publié le 08 septembre 2023
Trois gendarmes devant un hélicopère Alouette II de la gendarmerie.

De la fin 1956 à 1989, une trentaine d'hélicoptères Alouette II sont utilisés par la gendarmerie avant d'être remplacés par l'Alouette III.

© Coll. Laurent Albaret

La détermination et l’engagement inébranlables de quelques hommes ont permis, en une poignée d’années, de faire une place à l’hélicoptère au sein de la gendarmerie. Une réussite incontestable. Au fil du temps, certains protagonistes cèdent leur place à de nouveaux, non moins décidés à poursuivre leur action. C’est ainsi que l’aventure se poursuit au gré des opportunités et des événements, qui permettront d’asseoir davantage encore la légitimité des hélicos de la gendarmerie et de gagner en indépendance, pour quitter définitivement le giron de l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT).

La fin prématurée de la guerre d’Indochine et le développement de celle en Afrique française du Nord perturbent le calendrier imaginé par la Direction de la gendarmerie. Néanmoins, d’un handicap, ils réussiront à faire une opportunité : muter les volontaires « détachés individuels » dans une seule et même unité pour en faire des « détachés en unité constituée ». Créant ainsi de facto une « escadrille d’hélicoptères légers de gendarmerie » détachée au sein du Groupe d’hélicoptères 2 (GH2). D’abord équipée de six hélicos Bell 47 prêtés par le GH2, ces derniers sont très vite remplacés par six hélicos neufs financés par la Gendarmerie. Cet investissement, réalisé avec le feu vert de l’État-major de l’armée de Terre (EMAT), implique de facto la reconnaissance officielle par ce dernier de l’existence d’hélicoptères en gendarmerie... et d’une première unité constituée !

Dans le même temps, en métropole, Gérard Turpault, surfant sur les bons résultats de l’opération de maintien de l’ordre de Nantes, a fait procéder à l’achat d’un second Bell 47, toujours sur les crédits auto. Immatriculé lui aussi comme un camion, il porte le n° 8 000 044. Tant et si bien que fin 1956, la flotte de la gendarmerie est forte de huit hélicos et de deux unités.

Gérard Turpault quitte la gendarmerie à l’été 1956. Mais avant de partir, il donne son aval au colonel Maurice Piqueton pour que ce dernier écrive au général André-Paul Lejay, alors patron de l'ALAT, pour lui indiquer que les contrats des Théâtres d’opération extérieurs (TOE) des gendarmes détachés au GH2 sont expirés depuis longtemps, et qu’il souhaiterait les récupérer. Le nouveau directeur de la gendarmerie, Georges Guibert, entérine ce courrier par une circulaire de novembre 1956 dans laquelle il indique clairement à l’EMAT qu’en plus de maintenir le cap de son prédécesseur, il accélère même le mouvement en prévoyant un déploiement des Sections d’hélicoptères en gendarmerie (SHG) en métropole, sur la base d’une SHG par Commandement régional de gendarmerie (CRG).

1956 – 1957 : changement d’équipe mais maintien du cap et accélération

En interne, le mot d’ordre demeure le même : saisir les opportunités pour développer le concept et le faire entrer dans les mœurs.

La première opportunité survient au dernier trimestre 1956. Le Maroc accède à l’indépendance et l'ALAT dissout le GH3. Les 12 hélicos qui le composent sont ventilés entre les Groupes aériens d'observation d'artillerie (GAOA) locaux et le GH2. Le reliquat, soit 6 appareils, doit être rapatrié au GH1 en région parisienne. Les appareils forment un détachement confié au lieutenant René Lacoste (un gendarme détaché au GH3 au titre des TOE) et embarquent sur un cargo à destination de Marseille. Survient alors l’affaire de Suez. Le cargo est détourné vers Port-Saïd. On connaît la suite... Le nouveau directeur de la gendarmerie, Georges Guibert, fait pression sur l’EMAT et obtient que 4 des 6 appareils du détachement Lacoste dont l’ALAT ne sait que faire - alors que l’Alouette II pointe le bout de ses pales depuis 1955 - lui soient attribués. Ce qui porte la flotte gendarmerie à 12 hélicoptères.

La seconde opportunité sera, à la fin de l’année 1956 : le drame de Vincendon et Henry. Cet événement tragique, si bien raconté par le colonel Blaise Agresti, sera à l’origine de l’organisation étatique du secours en montagne en France et du concept de l’utilisation de l’hélicoptère dans ce cadre. En cela, il sera aussi l’un des marchepieds tant attendu par le chef d’escadron Fouché.

Simultanément, toujours sur les crédits auto, il fait procéder à l’achat de quatre hélicoptères sur le marché de l’occasion, sans que l’EMAT n’y trouve à redire... Le parc gendarmerie est désormais de 16 appareils. 

Georges Guibert juge alors que l’Afrique Française du Nord appartient au passé et donne la priorité à la métropole. Néanmoins, il utilise les opérations de maintien de l’ordre en Algérie pour affermir sa position.

1957 : déploiement en métropole

Dès les premiers mois de l’année 1957, les créations de SHG s’enchaînent à un rythme soutenu : Lille ouvre le bal le 26 février, suivie quinze jours plus tard, le 11 mars, de Lyon. Une semaine après, le 19 mars, c’est le tour de Toulouse. À peine trois semaines se sont-elles écoulées que le 5 avril, Verdun voit le jour. Quant à Berre/Marseille, sa création n’intervient que le 1er août.

Dans le même temps, en mars, le chef d’escadron Fouché lance le projet de création, au sein du Groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM) de Satory, d’un atelier central spécialisé pour le soutien technique du parc de nos 16 hélicoptères. Son commandement est confié à l’officier-auto du GBGM. Les travaux de construction seront achevés en octobre et la création officialisée fin décembre.

Mettant les bouchées double, Jean-Barthélémy Fouché, aidé du lieutenant Bernard Collard, rédige la première bible portant sur l’emploi des hélicoptères de la gendarmerie. La circulaire est datée du 16 mai 1957. Elle est encore imparfaite puisque non encore enrichie de l’expérience du terrain. Mais c’est déjà un embryon de doctrine d’emploi assez complet, qui fixe les grands principes qui vont perdurer pendant plusieurs décennies : l’emploi est dévolu aux CRG. Les personnels et les moyens « ordinaires » sont rattachés pour administration et soutien logistique général aux légions, voire aux groupements départementaux, du lieu d’implantation. Quant au soutien aéronautique, il est assuré par l’Atelier central hélicoptères (ACH), en cours de création au sein du GBGM, auquel il est rattaché pour administration.

Tout se passe donc plutôt bien et selon le plan prévu. Quand l’actualité s’en mêle de nouveau…

Le drame du 2 août 1957

Le lieutenant Bernard Collard est muté à Lyon où l’attend une Alouette II toute neuve, la première et pour l’instant la seule. Il rejoint son affectation le 1er août 1957. Le 2 au matin, l’école nationale de ski et d’alpinisme de Chamonix demande le concours de l’hélico pour un secours à effectuer près du refuge de l’Envers de l’Aiguille à 2 400 m d’altitude. Trop content de l’aubaine et de voler enfin dans ce massif mythique, le lieutenant prend la mission.

Tout se déroule parfaitement. Les sensations sont là. La perception du relief est intacte. L’Alouette II est une pure merveille. La météo, sans être parfaite, reste clémente. Si ce n’était l’ambiance du secours où une vie est en jeu, ce ne serait que du bonheur !

Bernard Collard effectue deux rotations pour déposer la caravane de secours. Hélas, la victime ne survit pas à ses blessures. Le gendarme décide de récupérer tout le monde en trois rotations. À la première, le corps et un guide. Puis le matériel. Et enfin les trois autres sauveteurs. À la seconde rotation, il s’avère que le matériel est moins volumineux qu’attendu. Les trois guides s’entassent avec le matériel. Le lieutenant Collard est-il un peu lourd ? Sans doute ? Au décollage, il rencontre un rabattant, n’a pas la puissance suffisante pour le contrer, et pompe sa turbine… C’est le crash. Il heurte un piton rocheux et termine sa course au fond du ravin. On déplore quatre morts et aucun survivant.

Évidemment, ce drame refroidit le déploiement des SHG... C’est ainsi qu’il faut attendre le début de 1958 pour qu’il reprenne. La SHG de Limoges naît le 25 janvier 58. Celle de Dijon voit le jour le 28 novembre, suivie par la SHG de Rennes le 14 décembre. Et comme pour parachever ce travail sur la métropole, en décembre 58, Guibert obtient, sans coup férir, la dissolution de l’Escadrille d’hélicoptères légers de la gendarmerie (EHLG) du GH2. Les trois détachements extérieurs de cette escadrille, situés respectivement à Batna, Guelma et Constantine, deviennent, sur le modèle métropolitain, les trois DHG du CRG 10 (Alger) implantés cette fois à Alger/Chéragas, Oran/La Sénia et Constantine/Oued Hamimine.

Nos gendarmes quittent ainsi définitivement le béret bleu de l'ALAT et retrouvent leur képi. La symbolique est importante. Elle acte de façon définitive l’existence des hélicos de la gendarmerie. 

En cinq ans, de 1953 à 1958, les hélicoptères de la gendarmerie ont gagné leur droit à l’existence. À l'aube des années 1960, les Forces aériennes de la gendarmerie (FAG) sont prêtes à fonctionner.

Pour aller plus loin

L’Aventure au quotidien (Tome 1 : La Préhistoire – Tome 2 : Le Temps des Alouettes – Tome 3 : L’Outre-Mer) par le lieutenant-colonel Roger Drouin aux Éditions Complicités (collection L’Art de Transmettre)

 

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