Retour sur la fascinante aventure des hélicoptères en gendarmerie – épisode 2 : trois personnages visionnaires au service d’une stratégie (1952)

  • Par Roger Drouin, lieutenant-colonel (réserviste), ancien des Forces aériennes de la gendarmerie nationale (FAGN) de 1975 à 1988
  • Publié le 05 septembre 2023
Photo de 1952 montrant un hélicoptère survolant une route lors d'une opération de sécurisation des flux routiers par la gendarmerie.

Trappes,  le 17 août 1952. Pour la première fois un hélicoptère est utilisé par la gendarmerie, en liaison avec plusieurs points au sol, pour régler le flux de voitures qui entrent dans Paris par les nationales 10 et 12.

© SHD

Face aux obstacles auxquels se heurte la gendarmerie pour obtenir des hélicoptères, trois personnages vont faire preuve d’une détermination sans faille et d’une indéniable ingéniosité pour tenter d’imposer l’engin tant convoité. Stratégie à l’appui, ils s’emploieront à convaincre le plus grand nombre du bien-fondé de leur projet et avanceront pas à pas vers sa concrétisation, parvenant progressivement à faire bouger les lignes.

Face à l’ambition de la gendarmerie d’imposer l’hélicoptère dans le paysage, il convient désormais de vaincre les oppositions internes et externes qu’un tel projet suscite. Pour ce faire, trois visionnaires sont à la manœuvre. De bas en haut du prisme, il y a là :

Le chef d’escadron (CEN) Jean-Barthélémy Fouché. De recrutement Officier-rang (OR), c’est un scientifique issu de Supéléc Toulouse, passé par l’artillerie où il a été aérostier, et observateur spécialisé dans le réglage des tirs de longue portée. Il a rejoint le bureau technique de la direction de la gendarmerie dont il est à l’époque le patron. Affermi dans sa conviction après un voyage d’études auprès de la police de New-York qu’il a vue utiliser des hélicos, il est l’initiateur du projet.

Le colonel Maurice Piqueton est quant à lui sous-directeur de la gendarmerie. Saint-Cyrien et colonel à seulement 48 ans, il est promu à un bel avenir. C’est aussi une personnalité haute en couleur, d’un physique en rapport et ayant un franc parler certain. Sans lui, les idées de Fouché seraient restées sans suite.

En haut du prisme, nous retrouvons Gérard Turpault, Directeur de la gendarmerie et de la justice militaire (DGJM). Ce magistrat est ce qu’il est convenu d’appeler une vocation contrariée : breveté pilote à 22 ans, blessé au combat durant la Première Guerre mondiale, chevalier de la Légion d’honneur « au feu » à 23 ans, les suites de ses blessures lui interdisent une carrière d’aviateur. Cet homme de grande qualité prête bien entendu une oreille attentive au projet que lui exposent son sous-directeur de la gendarmerie et l’officier chef du bureau technique. Le premier faisant preuve de persuasion et le second de conviction. Sans son appui inconditionnel, le projet ne serait jamais sorti des cartons.

Il leur faudra mettre en place une véritable stratégie pour parvenir à leurs fins et ainsi obtenir les engins tant convoités.

C’est dans ce cadre que le chef d’escadron Fouché obtient de haute lutte la formation, à titre expérimental, d’une promotion d’observateurs composée exclusivement de lieutenants de gendarmerie. Ces derniers sont opérationnels début 1952. Mais la mauvaise volonté des fournisseurs de moyens aériens et de créneaux de vols conduit l’expérience à l’échec. Elle n’aura pas de suite mais confortera Gérard Turpault dans sa volonté de se doter d’une flotte indépendante.

Une opération en trois temps

Le principe étant acquis, il faut maintenant manœuvrer pour l’imposer sans y paraître, et le faire accepter tout à la fois par l’État-major de l’armée de terre (EMAT) et les Commandements régionaux de gendarmerie (CRG)1. Il est décidé que l’opération se fera en trois temps quasi simultanés :

Tout d’abord démontrer le bien-fondé du concept par des essais effectués en vraie grandeur avec des moyens de location pour convaincre les Commandements régionaux de gendarmerie. À cet effet, une opération d’envergure sera conduite dans la région de Rambouillet à l’occasion des départs en vacances du 15 août 1952. Ce sera une réussite totale, qui mettra du côté des concepteurs le public, la presse et une bonne partie des officiers d’état-major du 1er CRG.

Ensuite, discrètement, former des spécialistes, pilotes et mécaniciens, et se doter des matériels nécessaires au développement du projet. Là, la partie s’annonce plus serrée... Le trio à la manœuvre aura recours à des subterfuges pour contourner les oppositions, notamment celle de l’EMAT, foncièrement fermée à l’idée que les gendarmes puissent avoir besoin d’hélicos. Étant donné qu’il n’était pas financièrement raisonnable de poursuivre l’expérimentation avec un hélico de location, la solution retenue consiste à se doter d’un de ses appareils. Mais le problème du financement de son achat reste entier. Celui de convaincre l’EMAT l’est tout autant !

Le CEN Fouché relève que, si le budget global des véhicules est bel et bien fixé par l’EMAT, la gendarmerie a néanmoins toute latitude pour le ventiler entre chars, camions, estafettes, motos et autres véhicules. Il suggère au colonel Piqueton qu’un hélico entre sans coup férir dans la catégorie des « autres véhicules » ! La stupeur passée, le sous-directeur de la gendarmerie trouve l’idée gonflée, mais plaisante, et la propose au directeur de la gendarmerie, qui la trouve originale et séduisante. Sans hésitation, il couvre la décision d’acheter un hélico sur les crédits dont il a la maîtrise. C’est ainsi que le premier Bell 47 de la gendarmerie sera, dans un premier temps, dépourvu de sérigraphie aéronautique et immatriculé 8 000 002, comme un camion !

Enfin, pour généraliser l’expérimentation, mettre en place un module d’essai placé pour emploi au CRG et soutenu administrativement (personnel et matériel) par le Groupement blindé de gendarmerie mobile de Satory. Il sera composé de l’hélicoptère Bell 47 et de deux équipages, qui seront rattachés à l’état-major (EM) du Groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM). En mission, ils seront aux ordres d’un lieutenant commandant de peloton du GBGM et qualifié observateur.

1 : Les Commandements régionaux de la gendarmerie sont créés par le décret du 10 janvier 1949 en remplacement des cinq arrondissements d'inspection recréés en 1946.

 

Pour aller plus loin

L’Aventure au quotidien (Tome 1 : La Préhistoire – Tome 2 : Le Temps des Alouettes – Tome 3 : L’Outre-Mer) par le lieutenant-colonel Roger Drouin aux Éditions Complicités (collection L’Art de Transmettre)

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