Retour sur la fascinante aventure des hélicoptères en gendarmerie – épisode 3 : stratégie et opportunités, ingrédients du succès (1953-1955)

  • Par Roger Drouin, lieutenant-colonel (réserviste), ancien des Forces aériennes de la gendarmerie nationale (FAGN) de 1975 à 1988
  • Publié le 06 septembre 2023
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Vue aérienne du bâtiment Fenwick, à Issy-les-Moulineaux, où se déroulait à partir de 1953 une partie de la formation des pilotes d'hélicoptères et des mécaniciens.

À la faveur d’événements, aussi bien à l’international que dans le pays, de nouvelles opportunités stratégiques se présentent, avec à la clé la reconnaissance officielle de la première unité d’hélicoptères de gendarmerie, bientôt suivie d’une seconde.

 De façon impromptue, fin 1952 - début 1953, les États-Unis cèdent à la France des H34 issus de la guerre de Corée. Ces appareils sont destinés à l’Indochine mais sous condition de ne pas être utilisés au combat… Navrant ! Mais il ne saurait être question de refuser un cadeau aussi bienvenu !

Le ministre de la Guerre décide d’affecter ces hélicoptères à l’armée de Terre. Ils seront regroupés au Groupement des formations d’hélicoptères de l’armée de Terre en Indochine (GFHATI), récemment créé au sein de l’Aviation légère d’observation d’artillerie (ALOA), et bien en peine de moyens. Le commandement du GFHATI a été confié au capitaine Marceau Crespin, un artilleur haut en couleur qui va marquer l’histoire des hélicoptères de l’armée de Terre, non seulement en Indochine, mais également en Afrique Française du Nord.

1953 : l’année fondatrice

Les hélicoptères donnés à la France par les États-Unis sont livrés à Saigon au début de l’année1953, mais en caisses. Pour les remonter et les remettre en conditions de vol, puis les servir, le capitaine Crespin a un besoin urgent de personnels qualifiés. À cet effet, l’État-major de l’armée de Terre (EMAT) lance un appel inter-armes à volontaires. Ces derniers, outre l’aptitude à l’emploi et à la mission, devront aussi signer un contrat de volontaires à servir dans les Théâtres d’opérations extérieurs (TOE) pour une durée de deux ans.

L’occasion fait le larron ! Le chef d’escadron Jean-Barthélémy Fouché y voit l’opportunité de former à bon compte les spécialistes dont il aura besoin lui aussi d’ici deux ans. De plus, ces pilotes et ces mécaniciens se seront aguerris par deux années de vols sur un TOE. Accessoirement, leur formation faite dans ce cadre n’éveillera pas les soupçons des opposants au projet « des Hélicos en Gendarmerie ».

Le colonel Maurice Piqueton avalise l’idée du chef d’escadron Fouché et la présente au directeur de la gendarmerie Gérard Turpault, qui décide immédiatement de répondre favorablement à l’appel à volontaires lancé par l’État-major de l’armée de terre (EMAT). Il y voit aussi l’éventuelle opportunité de justifier sa commande du Bell 47 financé sur nos crédits « véhicules » par la nécessité, dans l’urgence, de participer à la formation de ces futurs spécialistes. L’affaire est validée par l’EMAT.

Sitôt dit, sitôt fait. C’est dans ce cadre que la direction de la gendarmerie lance une campagne de recrutement, début 1953, pour former des pilotes et des mécaniciens. Lesquels, à l’issue de leur formation, partiront en Indochine ès-qualité de « volontaires TOE ». Toutefois, prudemment, à l’attention de l’EMAT et des opposants internes au projet, la Direction de la gendarmerie et de la justice militaire (DGJM) cultive avec soin la confusion entre le recrutement de fin 1952 et la commande du Bell 47 qui lui est liée, avec celui de début 1953 pour l’Indochine... S’engage ainsi une partie de billard à plusieurs bandes dans le but de conserver en métropole deux des équipages formés. Quant au Bell 47 « prêté » pour former les pilotes, tôt ou tard il reviendra inéluctablement à Satory pour y poursuivre la campagne de démonstration.

De fait, le Bell 47 est livré début octobre 1953 et détaché sans plus attendre à Issy-les-Moulineaux, tandis que se déroule la formation des pilotes : quatre mois répartis entre Carcassonne, d’abord, pour acquérir les bases avion, puis chez Fenwick à Issy-les-Moulineaux, pour les bases du pilotage Hélico, et enfin à Montgenèvre à partir de fin 1953 pour les rudiments du pilotage en montagne. Celles des mécanos sont également lancées (2 mois chez Fenwick sur les hélicos d’écolage).

1954 – 1955 : le temps des pionniers

En Indochine, les gendarmes s’intègrent parfaitement à la vie du GFHATI. Ils participent aux combats et acquièrent, parfois au prix fort, de l’expérience et du savoir faire. Ainsi, seul aux commandes de son Hiller, René Coulon est abattu par l’armée Việt Minh le 14 juillet 1954. Il avait 29 ans, 130 heures de vol et seulement deux mois de présence en Indochine.
Les gendarmes sont très appréciés par le capitaine Crespin, au point qu’il fait de l’adjudant de gendarmerie Jean Flandin son chef mécanicien.

Néanmoins, en 1954, le conflit s’essouffle. Diên Biên Phu tombe le 7 mai. L’EMAT suspend alors les départs en Indochine. Il s’ensuit que les besoins du GFHATI sont moins pressants. Les pilotes et les mécaniciens formés sont « remis à la disposition de leur corps », ainsi que notre Bell 47 qui rejoint Satory le 4 mai 54, où, pour le compte du Commandement régional de gendarmerie 1 (CRG1), il doit « démontrer et convaincre ».

Le point d’orgue en la matière est l’opération de maintien de l’ordre d’août 1955 à Nantes. Le lieutenant Pierre Rossignol a été breveté pilote début août 1954. Il fait partie de ces volontaires TOE dont le départ pour l’Indochine a été suspendu. Depuis, il a repris sa place de commandant de peloton au Groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM) et attend de savoir ce qu’il va advenir de lui. En août 1955, son peloton est engagé sur une grosse opération de maintien de l’ordre à Nantes. Les ouvriers des chantiers navals y mènent une grève dure et agitée. Au point que des meneurs ont été arrêtés et conduits à la prison Saint-Michel en vue d’une comparution immédiate. Les grévistes ne l’entendent bien sûr pas de cette oreille et les Renseignements généraux font état d’un possible coup de main pour délivrer les prisonniers. Impensable ! À l’époque, la prison Saint-Michel est située en plein centre ville, dans la rue éponyme qui débouche sur la place du palais de justice. Lequel jouxte la prison. Jamais ils n’oseront !

Pourtant le doute est là et, si cela devait se produire, les conséquences politico-médiatiques seraient désastreuses. Le lieutenant Rossignol propose à l’état-major une couverture aérienne par l’hélico. Elle est acceptée. Très vite, le Bell permet d’éventer la ruse des manifestants. Acheminés par des itinéraires différents, ils ont convergé vers le boulevard Gabriel-Guist’hau d’où, une fois regroupés, ils vont pouvoir déferler par la rue Saint-Michel, qui descend jusqu’à l’entrée de la prison. Prévenu, le patron du dispositif peut, juste à temps, faire manœuvrer ses escadrons et faire échouer le projet des manifestants.

C’est un succès. Cette fois, même le général commandant la 3ème région militaire à Rennes se fend d’un rapport soulignant le rôle décisif joué par l’hélico, assénant à tous la preuve du bien-fondé de la création d’unités hélico en Gendarmerie.Gérard Turpault est aux anges. Maurice Piqueton jubile. Jean-Barthélémy Fouché aussi. Cette manœuvre sera décisive dans la conversion de l’EMAT.

 

Pour aller plus loin

L’Aventure au quotidien (Tome 1 : La Préhistoire – Tome 2 : Le Temps des Alouettes – Tome 3 : L’Outre-Mer) par le lieutenant-colonel Roger Drouin aux Éditions Complicités (collection L’Art de Transmettre)

 

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