L’OCBC, fer de lance de la protection du monde culturel
- Par Antoine Faure
- Publié le 10 novembre 2023
Créé en 1975, et commandé par un gendarme depuis 2003, l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) regroupe une trentaine de personnels, dont huit gendarmes, dans ses locaux à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine. Présentation de ses missions par son commandant, le colonel Hubert Percie du Sert.
C’est un jugement exemplaire qui a été rendu le 12 juin 2023. Pour la première fois, un tribunal français a choisi d’appliquer la loi égyptienne de 1983, établissant l'inaliénabilité et l'imprescriptibilité des biens culturels égyptiens nationaux. Ainsi, alors qu’en droit français, « en fait de meubles, la possession vaut titre », l’acquéreur de bonne foi d’un bien pillé a restitué son bien à l’Égypte.
L’affaire commence en 2000 sur le site de Saqqâra. Une mission de l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO), dirigée par l’archéologue Vassil Dobrev, met au jour une nécropole de la VIe dynastie (entre 2350 et 2150 av. J.-C.) constituée de plusieurs chapelles et tombes. En novembre 2001, la mission cesse les fouilles. À leur reprise, en octobre 2002, l’archéologue constate que la porte extérieure d’une des tombes, ainsi que les façades de plusieurs chapelles, ont été dépouillées de pierres gravées de hiéroglyphes…
Dix ans plus tard, l’une de ces pièces antiques refait surface dans une salle des ventes parisienne. C’est là qu’entre en jeu l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). « L’archéologue nous a signalé la mise en vente, et nous sommes intervenus immédiatement pour saisir le bien et démarrer une enquête afin de remonter la filière », explique le colonel Hubert Percie du Sert, qui commande l’OCBC depuis 2022. Grâce à ce travail d’enquête remarquable, salué par tous les experts, et au revirement de jurisprudence qui s’en est suivi, l’État égyptien a donc pu récupérer son bien et être indemnisé par le vendeur. « Cette restitution au peuple égyptien d’un élément de patrimoine, et donc d’une ressource touristique, est une décision très importante », note l’officier de gendarmerie. « C’est un tournant dans la lutte contre le trafic d'antiquités », avait estimé pour sa part l’avocat de la République d'Égypte à l’issue du procès.
Rendre ce monde hermétique aux organisations criminelles
Cette affaire est assez emblématique : un objet culturel que l’on vole sur un site archéologique, que l’on enterre le temps de l’oubli, que l’on modifie parfois légèrement, avant de le remettre sur le marché. Un processus long et fastidieux, qui est progressivement entré dans le champ des activités illégales d’organisations criminelles aguerries. « Récemment, la police égyptienne a interpellé des pilleurs égyptiens qui venaient de déterrer une tête de sphinx, relate le commandant de l’OCBC. Leur pedigree ? Trafic de stups, enlèvement, séquestration, tentatives d’assassinat… »
La facilité d’appropriation, les marges importantes, les peines de prison relativement faibles… Tout concourt à faire du marché de l’art un terrain de jeu idéal pour la criminalité organisée. « Je suis convaincu que les délinquants s’orientent vers des infractions dont le quantum de peine est limité, poursuit le colonel Percie du Sert. On ne va pas nécessairement en prison pour ce genre de trafic, qui génère pourtant des profits colossaux. L’un des objectifs de l’OCBC est de rendre ce monde marchand hermétique à ces organisations criminelles, qui s’y intéressent uniquement pour revendre des objets volés ou contrefaits, ou pour acheter des biens afin de masquer l’origine de leurs avoirs. »
Treize policiers et huit gendarmes
Né en 1975, à la suite des recommandations de la Convention de l'UNESCO de 1970, qui préconise la création d'un service de police dédié au traitement et au suivi des trafics de biens culturels, l’OCBC est un service d’enquête de la Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), composé d’une trentaine de personnels : treize policiers et huit gendarmes, renforcés par des contractuels, issus principalement du monde de la recherche, qui apportent leur expertise. L’OCBC est commandé depuis 2003 par un officier de gendarmerie.
Avant d’en prendre la tête, en 2022, le colonel Hubert Percie du Sert avait commandé un escadron du Groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM), à Satory, puis la Compagnie de gendarmerie départementale d’Argenteuil, le Groupe interministériel de recherche (GIR) d’Auvergne, la Section de recherches (S.R.) de Clermont-Ferrand, et la S.R. de Versailles. « Le commandement de plusieurs unités opérationnelles de Police judiciaire (P.J.) m’a permis de mesurer l’importance de la P.J. dans la sécurisation d’un territoire et l’exercice du maintien de l’ordre. Une P.J. active est indispensable pour dissuader durablement les criminels de s’installer sur un territoire. La finalité de la P.J., c’est la sécurité publique. À la tête du GIR d’Auvergne, j’ai pu mener un travail de fond sur les réseaux criminels, en particulier sur leur élément moteur, l’argent. La saisie des avoirs criminels et les amendes douanières sont les peines les plus durement ressenties. » Il a également dirigé le bureau de l’animation criminelle et de la coordination judiciaire de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), « qui coordonne le travail des S.R., notamment au profit des offices centraux. La suite logique pour moi était de prendre le commandement d’un office central. »
La montée en puissance de l’OCBC date du début des années 2000, pour faire face notamment à une recrudescence de cambriolages dans des châteaux et belles demeures, principalement en zone rurale. Des centaines de victimes avaient été dénombrées. Le commanditaire de ce « gang des châteaux », un brocanteur domicilié en Belgique, revendait les objets et œuvres d’art dans des brocantes.
Les trafics de biens culturels ont ensuite connu une intensification avec le développement d’Internet et des réseaux sociaux, « qui facilitent la mise en relation des pilleurs avec les trafiquants, et la création de légendes autour des objets, explique le colonel Percie du Sert. Avec Internet, tout devient plus poreux, plus accessible. Cela a incontestablement créé un appel d’air. » Pour traquer les trafics sur le Web, l’OCBC dispose d’outils technologiques : la base de données TREIMA (Thesaurus de Recherche Électronique et d’Imagerie en Matière Artistique), qui recense tous les objets d’art volés en France, avec les photos et les conditions du vol, et un logiciel, en cours de déploiement, utilisant l’Intelligence artificielle (I.A.) pour effectuer une veille sur les différents sites Internet de ventes.
Une action sur tout le spectre infractionnel
L’OCBC lutte contre le trafic de biens culturels sur tout le spectre infractionnel : vol, recel ou contrefaçon d’objets d’art, pillage archéologique à l’étranger, ou sur le sol français, avec le phénomène du détectorisme, « souvent considéré comme un hobby, voire comme un jeu, un peu comme la cueillette des champignons, alors que c’est une activité très réglementée, qui demande des autorisations et des déclarations en cas de découverte, rappelle l’officier de gendarmerie. Il faut comprendre que c’est une action destructrice de patrimoine archéologique. Un objet enterré, par l’endroit et les conditions d’enfouissement, raconte une histoire. Cette contextualisation fait sa richesse. Force est de constater que les détectoristes détruisent ce contexte historique et ne respectent pas le devoir de mémoire. »
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Pour mener à bien ses missions, l’OCBC peut travailler en co-saisine avec les unités de recherches territoriales, en s’appuyant sur un réseau de 80 correspondants au sein des unités de police et de gendarmerie, qui peuvent détecter et faire remonter des signaux faibles, sur des relais au sein des Groupements de gendarmerie départementale (GGD), et sur des Officiers adjoints chargés de la police judiciaire (OAPJ) auprès de chaque commandant de Région. « Ce réseau est important pour animer la vigilance, tant sur l’aspect répression que prévention, en lien avec les élus, et pour conduire des enquêtes au niveau local, indique le commandant de l’OCBC. L’office s’investit sur les enquêtes emblématiques, l’identification des réseaux internationaux, en lien avec les forces de police étrangères et EUROPOL. »
L’OCBC effectue également un travail de lobbying auprès de tous les acteurs du marché de l’art, dans le monde entier. « Vendre des objets volés, pillés, c’est se rendre complice de fait d’organisations criminelles. Notre rôle est de rappeler à chaque marchand son devoir de contrôler les provenances, de s’imposer à soi-même des règles élémentaires de traçabilité. »
Derrière cette nécessaire transparence, un enjeu économique important. Le marché mondial de l’art « pèse » entre 60 et 65 milliards de dollars par an. Avec un montant de deux milliards, la France en est le quatrième acteur, derrière la Chine, les États-Unis et la Grande-Bretagne. « Pour préserver la place de la France, estime le colonel Percie du Sert, il faut que son marché soit sécurisé, que tout ce qui s’y vend soit dûment tracé, afin d’éviter à un acheteur de bonne foi d’être dépossédé de son bien quelques années plus tard. »
Aux confins d’enjeux économiques, culturels et de sécurité publique, policiers, gendarmes et personnels civils de l’OCBC mènent ainsi quotidiennement la lutte contre l’un des plus importants trafics mondiaux.
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