Pillage d’épaves antiques : comment les gendarmes traquent les chasseurs de trésors clandestins ?

  • Par Pablo Agnan
  • Publié le 26 mai 2022
L'impressionnant butin historique retrouvé par les gendarmes lors de la perquisition d'un garage dans le Var.
© GGMARMEDI

Les cas de pillage d’épaves de navires, principalement de l’ère antique, se multiplient en France. En octobre 2020, puis en mai 2022, le contenu de deux d’entre elles a été spolié par des chasseurs de trésors. Face à ce saccage du patrimoine historique commun, les gendarmes sont en première ligne.

Elles sont distantes de 655 kilomètres et pourtant pillées avec le même mode opératoire. En octobre 2020, puis en avril 2022, une partie du contenu des épaves de deux navires antiques a été spoliée. L’une est située dans la rivière Charente, au nord de Saintes, et l’autre immergée au large de Cannes.  

Hasard ou coïncidence ? Simples amateurs en quête de trophées ou réseau criminel organisé ? Seules les enquêtes pourront le déterminer. Mais pour l’instant, les gendarmes peinent à trouver des pistes, et ce malgré leur expertise.

Il faut dire que le champ des investigations est particulièrement complexe, et pour le cas de la Charente-Maritime, plutôt singulier. Pour l’adjudant-chef Christophe, commandant de la brigade nautique de La Rochelle et chargé de l’enquête, cette affaire constitue d’ailleurs « une première. » Mais revenons d’abord sur les faits.

Des suspects aguerris en plongée

En octobre 2020, une équipe d’archéologues vient porter plainte contre X pour pillage. Lors d’une campagne de fouilles subaquatiques, ils ont constaté que l’une des deux épaves romano-celtiques, datées de la fin du IIIe siècle et immergées dans le lit du fleuve Charente, a été dégradée. « Nous avons découvert un cheminement réalisé avec des fers à béton depuis la rive jusqu’au centre de la deuxième épave. Les bois de chêne ont été sciés proprement, puis ils ont fouillé sous la coque », détaillait, pour Le Parisien, Jonathan Letuppe, archéologue.

Les deux coques étant retournées, « le ou les plongeurs ont même creusé dans le sol afin d’accéder à l’intérieur du navire », ajoute l’adjudant-chef Christophe. Avec ses gendarmes plongeurs, ils ont effectué les premières constatations subaquatiques, dont ils n’ont pas pu « tirer grand-chose », de l’aveu du militaire : « Les relevés d’empreintes sur une matière poreuse comme le bois immergé, tout comme les prélèvements ADN, n’ont rien donné, la faute à l’environnement qui dégrade toutes formes de traces. »

Les gendarmes, avec l’aide des archéologues, ont constaté que des clous à pointe rabattue, « une méthode de construction (…) révolutionnaire », selon Jonathan Letuppe, avaient disparu. Mais impossible de savoir si d’autres éléments ont été dérobés. Les entrailles des deux épaves n’ont jamais pu être explorées, car « elles bénéficient d’un statut juridique exceptionnel accordé par l’État, qui interdit tout prélèvement », explique le quotidien d’Île-de-France.

À terre, les militaires auraient pu avoir plus de chance, mais deux de leurs pistes « ont été écartées grâce à la géolocalisation des téléphones appartenant aux suspects », détaille le sous-officier. Mais l’enquêteur en est convaincu, le ou les individus qui ont fait cela sont « aguerris en plongée et passionnés d’archéologie. »  

Une amphore = 2 000 euros

À 655 kilomètres de là, les enquêteurs de la gendarmerie maritime étaient arrivés aux mêmes conclusions. Mais contrairement à leurs camarades charentais, ils ont eu plus de chance.

Le 19 avril 2022, le Département de recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) de Marseille informe les militaires que l’épave antique « Fort Royal 1 » a fait l’objet « d’un pillage de grande ampleur. » Ce navire, chargé d’amphores de vin, datant du IIe siècle avant Jésus-Christ, repose à une vingtaine de mètres de profondeur au large Cannes.

L’enquête est confiée aux Brigades de recherches (B.R.) de Marseille et de Nice. Cette dernière dispose par ailleurs « d’une unité navigante qui lui permet de mener des missions de police en mer », précise le colonel Frédéric Marc, commandant du groupement de gendarmerie maritime de Méditerranée.

Cette unité a été précieuse, puisque, « couplée à une enquête d’environnement et à des investigations techniques », elle a permis l’identification, puis l’interpellation des auteurs présumés, moins d’un mois après la constatation des faits. Les perquisitions qui ont suivi l’opération judiciaire ont permis de mettre la main sur un véritable trésor archéologique, « dont la provenance ainsi que la destination doivent encore être confirmées par des analyses complémentaires. »

En tout, les gendarmes ont trouvé, stockés dans un garage, 68 amphores entières, 24 cassées, 64 cols d’amphore, quatre tuiles antiques ainsi que divers fragments. L’authenticité de ce butin a été confirmée par la DRASSM. Sa valeur, évaluée par les enquêteurs spécialisés dans le trafic d’art de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCLTBC), est estimée à 2 000 euros pièce, « au minimum. » Mais aux yeux du colonel Marc, plus que la valeur pécuniaire, cette saisie est importante sur le plan patrimonial et scientifique : « Les données qu'elles (les amphores) contiennent sont précieuses pour les historiens qui étudient l'histoire de la Méditerranée. »

Pour le groupement de gendarmerie maritime de Méditerranée, comme pour la brigade nautique de La Rochelle, ce type de dossier, « par son ampleur, en quantité comme en valeur, est extrêmement rare, confie le colonel Frédéric Marc. En revanche, les enquêtes ouvertes, souvent à la suite de la détection de ventes de matériels archéologiques sur des sites Internet, sont plus régulières. »

En France, l’association Halte au pillage du patrimoine archéologique et historique (HAPPAH) estime que, chaque année, « 2,4 millions d’objets pouvant intéresser historiens et archéologues sont découverts clandestinement. »

Pour lutter contre les détectoristes et autres pilleurs de trésors, la gendarmerie s’appuie sur des compétences en interne. Le gendarme Alexandre fait partie de ces ressources. Docteur en archéologie et militaire depuis 2005, il forme depuis lors ses collègues à la protection du patrimoine archéologique français.

À noter :

la détection sans autorisation, la fouille clandestine et l’intrusion sur un lieu d’opérations archéologiques sont des infractions. Les dégradations, détériorations ou destructions de vestiges archéologiques, les pillages, vols de découvertes archéologiques, etc. sont des délits punis de 150 000 euros d’amende et de 10 ans d’emprisonnement.

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