Pillage de l’épave du Prince de Conty, ou la ruée vers l’or sous-marine
- Par Capitaine Marine Rabasté
- Publié le 20 juin 2022
En mai 2022, une opération d’interpellation a eu lieu dans le cadre d’une enquête portant sur le trafic de cinq lingots d’or issus du pillage de l’épave française du Prince de Conty et découverts aux États-Unis. Si la coopération internationale a permis leur restitution à la France, le phénomène ne s’arrête pas là pour autant.
Même au fond de l’océan Atlantique, le Prince de Conty ne cesse de faire des vagues. En décembre 1746, ce navire de la Compagnie française des Indes Orientales sombrait au large de Belle-Ile-en-Mer, à quelques jours de son arrivée au port de Lorient. Dans son naufrage, il dispersait dans les profondeurs de nombreux trésors. Ne pouvant récupérer la cargaison, un gardien resta sur l’île pour éviter les pillages, jusqu’en 1747, année où fût lancer une vaste campagne de fouilles. De nombreux équipements furent récupérés… mais pas les trésors que renfermait le Prince de Conty qui eux, restèrent dispersés à plus d’une dizaine de mètres de profondeur. Pendant plus de 200 ans, l’épave fut oubliée.
Les pillages reprennent
Ce n’est qu’en 1974 que le Prince de Conty refait surface, enfin façon de parler bien sûr ! Une étude en archives permet la découverte du site et met à jour la présence de lingots d’or. Il n’en faut pas plus pour attirer les pilleurs. L’épave est mise à sac, des plongeurs remontent quelques trésors, la justice se saisit de l’affaire. Au terme d’une enquête judiciaire, cinq personnes sont jugées et condamnées, biens que l’ampleur du pillage ne soit pas établie.
Mais l’histoire n’est pas entièrement terminée puisqu’en 2018, le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marine (DRASSM) effectue un signalement relatif à la mise en vente sur un site d’enchères publiques aux États-Unis, de cinq lingots d’or, fin 2017. Il s’avère qu’ils proviennent de l’épave du Prince de Conty.
Une enquête est ouverte...
L’affaire atterrit alors entre les mains du parquet du Tribunal Judiciaire de Brest, compétent au titre de la Juridiction du littoral spécialisée (JULIS). Une enquête préliminaire est ouverte par la Brigade de Surveillance du Littoral de Brest (BSL), puis, devant l’étendue des investigations, confiée en co-saisine à la Section de recherches (S.R.) de la gendarmerie maritime, détachement de Brest, à l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) et au Groupe interministériel de recherche (GIR) d’Ile-et-Vilaine. Le 12 février 2018, suite aux premières investigations, une information judiciaire est ouverte des chefs de recel de biens culturels provenant d’un vol en bande organisée, de blanchiment en bande organisée, d’association de malfaiteurs et d’exportation illégale de biens culturels.
...et des auteurs sont identifiés
Grâce aux demandes d’entraide pénale internationale, permettant notamment de recueillir des déclarations, et aux actes judiciaires spécifiques, les enquêteurs, agissant sur commission rogatoire, identifient la vendeuse du lot de lingots ainsi qu’une autre femme qui déclarait, durant une émission de télévision américaine diffusée en 1999, avoir découvert fortuitement les lingots lors d’une plongée au Cap Vert.
En approfondissant leurs investigations, ils découvrent que cette femme est la belle-sœur d’un plongeur-photographe professionnel. Ce dernier a participé à de nombreuses plongées sur l’épave du Prince de Conty, à la fin des années 70, et était déjà suspecté d’être l’un des auteurs du pillage. Il avait toutefois fait l’objet d’une relaxe. Une perquisition à son domicile amène à la découverte d’indices matériels l’incriminant, notamment des transactions portant sur la vente de lingots avec la vendeuse américaine de 2017 et son époux.
Des mis en cause expérimentés
Les mis en cause identifiés, ils sont interpellés et placés en garde à vue par la Section de recherches de la gendarmerie maritime de Brest et l’OCBC, le 17 mai 2022. Lors des auditions, impossible pour les suspects de mener en bateau les enquêteurs. « Nous sommes tous spécialisés dans le monde maritime, amarinés voire même plongeurs pour certains, nous utilisons le même vocabulaire qu’eux et connaissons les pratiques de la plongée », indique l’adjudant-chef Pierre, l’un des enquêteurs en charge du dossier. Car la matière est technique, donc mieux vaut s’y connaître pour confondre les « ferrailleurs » comme on les appelle dans le milieu, ces personnes qui pillent les épaves.
Lors des gardes à vue, deux des trois individus reconnaissent leur implication dans la récupération de lingots. Le troisième, quant à lui, nie toute responsabilité dans la commission des faits poursuivis. Présentés devant le magistrat instructeur le 18 mai, ils sont mis en examen et placés sous contrôle judiciaire.
La ruée vers l’or
Le 27 mai 2022, les lingots d’or, qui avaient déjà fait l’objet d’une remise à l’ambassade de France à Washington début mars, sont officiellement restitués au directeur de la DRASSM. Si la manœuvre délictuelle des mis en cause est tombée à l’eau, cette affaire remet en lumière le phénomène de pillage d’épaves, pourtant peu présentes sur les côtes bretonnes.
« Le milieu des pilleurs est très confidentiel, ce n’est pas toujours simple de mettre la main sur les objets volés, explique l’adjudant-chef Pierre. Le pillage du Prince de Conty est particulier, car il concerne des lingots d’or et on trouve très peu d’épaves en France qui en contiennent ».
Lors de l’enquête, il a également été retrouvé la trace de plusieurs autres lingots à travers le globe. « En 2018, quand on a appris que des lingots pillés sur le Prince de Conty étaient en vente, on a poussé les investigations et on s’est rendu compte qu’il y en avait d’autres, notamment en Angleterre ou en Suisse », explique la capitaine Emmanuelle, officier de police en poste à l’OCBC. Mais cela pourrait bien n’être qu’une toute petite partie du trésor. « Aucun historien n’est en mesure de dire combien le Prince de Conty transportait de lingots lors de son naufrage. On ne sait donc pas combien on pourrait en trouver, ni combien il faudrait en chercher ».
Le pillage, un phénomène de mode ?
L’affaire du pillage du Prince de Conty n’est pas la seule à avoir fait du bruit ces dernières semaines. En mai 2022, la découverte de plus de soixante amphores volées au sein d’épaves antiques faisait déjà la une. Quel est alors l’ampleur réelle de ce phénomène ? « L’OCBC est de plus en plus saisi pour les pillages. C’est un phénomène à la mode, précise la capitaine Emmanuelle. En 2021, nous avons traité trois enquêtes importantes de ce type. Les pillages ne concernent d’ailleurs pas que les épaves maritimes. Ils sont aussi le fruit du détectorisme ».
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Les utilisateurs de détecteurs de métaux, qui bien souvent collectionnent leurs trouvailles, sont bel et bien des pilleurs. « Une personne qui va en forêt avec un détecteur de métaux, qui trouve une pièce de monnaie ancienne et qui la garde pour elle, c’est un pilleur. L’objet est potentiellement issu d’un site archéologique pas encore découvert ».
Mais à qui appartiennent ces trésors alors ? « La loi prévoit que tout ce qui est découvert est présumé appartenir à l’État, qui peut choisir d’en garder la propriété ou non par la suite. Dans le domaine maritime, la propriété appartient en revanche à l’État, systématiquement ».
En France, l’utilisation des détecteurs de métaux, comme la pêche à l’aimant, est très réglementée. Elle nécessite des autorisations préalables et des déclarations ultérieures en mairie, afin d’éviter la détérioration du contexte historique qui accompagne la découverte et qui est indispensable à sa compréhension.
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