La lutte sans merci de la gendarmerie contre la gestion illicite de déchets

  • Par Pablo Agnan
  • Publié le 05 octobre 2020
Véhicules abandonnés sur un terrain privé, au milieu de la campagne de Haute-Loire.
© MI/DICOM/J.ROCHA

Appréhender les filières criminelles s’adonnant à des trafics nationaux et internationaux de déchets, lutter contre les décharges illicites et les abandons d'épaves et détecter puis sanctionner les entreprises et les particuliers ne respectant pas les articles des codes de l’Environnement, tels étaient les objectifs principaux de « Territoires Propres », une opération d’envergure menée par la région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes. Du 21 au 25 septembre, elle aura mobilisé près de 400 militaires sur 62 points de contrôles différents.

Les gouttes de pluie claquent sur le métal froid des milliers de conteneurs entreposés dans le port Édouard-Herriot. Implantée au sud de Lyon, cette énorme étendue de béton s’étend sur près de 187 hectares et génère un volume global estimé à environ 12 millions de tonnes de marchandises par an, avec près de 137 000 conteneurs traités. Ces chiffres placent le port de l’ancienne capitale des Gaules au 1er rang des ports intérieurs français pour le trafic de conteneurs.

Comme toutes plateformes multimodales, le port Édouard-Herriot traite un large panel de fret, allant des hydrocarbures aux machines, véhicules et objets, en passant par les déchets. Les ordures, justement, représentent une part faible du volume total de marchandises manutentionnées dans ce port : seulement 7 %, selon l’édition 2016 du rapport « activités et trafics » de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), société anonyme gestionnaire du site.

Mais cette part a probablement augmenté depuis, notamment au regard de la consommation de plastique, par exemple, qui s’accroît chaque année. Selon Interpol, le volume mondial de déchets augmentait de 10 millions de tonnes par an au début des années 2010, pour atteindre 360 millions en 2018 ! Toujours d’après l’organisation internationale de police criminelle, le marché du plastique recyclé était évalué à 40 milliards d’euros en 2016 et pourrait atteindre la barre des 60 en 2022.

Criminalité environnementale et santé publique

L’explosion des revenus générés par le traitement des déchets s’explique par un durcissement des normes visant à favoriser le recyclage, notamment dans les pays de l’espace Schengen. En France, le traitement des déchets est assujetti à la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), contribution qui augmentera progressivement jusqu’en 2025. Au 1er janvier 2021, une taxe européenne sur les emballages plastiques viendra renforcer la législation existante.  

Mais le durcissement de cette fiscalité n’est pas la seule cause de tous les maux. L’autre raison se trouve en Chine. Depuis janvier 2018, l’empire du Milieu n’accepte plus les tonnages de plastiques destinés à être recyclés sur son territoire. Auparavant, elle traitait 45 % des plastiques usagers venant du monde entier. Les trafiquants transfrontaliers ont dû trouver de nouvelles destinations, notamment en Asie du Sud-Est et en Afrique de l’Ouest.

En 2016, le plastique non-recyclé des pays occidentaux se dirigeait vers la Chine. 

© Field Actions Science Reports. The journal of field actions

Résultat, des milliers de tonnes de déchets non-recyclés et mélangés entre eux se retrouvent dans des décharges sauvages de pays en voie de développement, qui n’ont pas les capacités de traitement à la hauteur des enjeux. « Là, on touche des thématiques liées à la criminalité environnementale, mais aussi de santé publique, pour les populations qui n’ont pas le matériel de protection, notamment pour les travailleurs et parfois même de jeunes enfants », expose le lieutenant-colonel Nicolas Künkel, commandant de la gendarmerie des voies navigables.

Le crime organisé dans le viseur

Ce phénomène a conduit la région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes à mener une série d’opérations, dont une au Port Édouard-Herriot. Le jeudi 24 septembre, au petit matin, une trentaine de gendarmes se sont rendus sur le site, pour contrôler quatre conteneurs suspectés d’être utilisés dans le cadre d’un trafic organisé de déchets. « Le trafic illicite de déchets est l’une des nombreuses activités de la criminalité organisée. Nous visons à découvrir, puis à démanteler des filières d’exportation de déchets vers des pays émergents, notamment en Asie et en Afrique », résume martialement le commandant des voies navigables.

Pour l’occasion, le dispositif était conséquent : parmi la trentaine de gendarmes, dix militaires de la Cellule nationale nucléaire radiologique biologique chimique (C2NRBC) étaient venus en renfort pour procéder à l’ouverture des conteneurs suspects. « Nous avons été mandatés par le commandement des voies navigables et l’OCLAESP pour garantir l’ouverture des conteneurs », explique le chef d’escadron Christophe Péré, patron de l’unité.

Les gendarmes de la C2NRBC inspectent les conteneurs avant de les ouvrir, pour vérifier s'ils ne comportent aucun risque d'ordre chimique ou biologique.

© MI/DICOM/J.ROCHA

D’autres acteurs étaient également présents, comme ceux du Pôle national des transferts transfrontaliers de déchets (PNTTD), spécialistes en la matière, mais aussi les douanes et leur impressionnant camion scanner, dont seulement trois exemplaires existent en France. Ils permettent de voir l’intérieur du conteneur sans même l’ouvrir. Après l’ouverture, une vérification plus poussée est réalisée en toute sécurité par les gendarmes, grâce à une caméra endoscopique.

Le camion scanner des douanes est presque unique en son genre. Seulement trois exemplaires existent en France. Ils permettent aux autorités de savoir à "90%" le contenu du conteneurs.

© GGD69

2 000 infractions liées à l’environnement en 2019

Le dispositif mis en œuvre au port Édouard-Herriot n’était que la partie émergée de l’iceberg. Du 21 au 25 septembre, 400 gendarmes d’Auvergne-Rhône-Alpes étaient mobilisés dans le cadre de « Territoires Propres », une opération de lutte contre les atteintes à l’environnement. Une intervention préparée de longue date, impliquant un important travail d’organisation en amont. La gendarmerie a ainsi commencé par réunir tous les acteurs impliqués dans cette lutte, à commencer par les élus locaux, mais aussi les administrations compétentes dans le domaine de la police de l'environnement.

Batteries, voitures, métaux... Une décharge à ciel ouvert remplie d'immondices et complètement illégale.

© GGD69

Ce travail de Bénédictins a permis une identification précise des sites ciblés, notamment grâce à la fine connaissance du terrain de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ainsi que des élus, qui ont apporté leur concours. Cette relation très forte entre les autorités locales et la gendarmerie a été précieuse dans la réussite de l’opération. C’est grâce à elle que de nombreuses infractions liées à l’environnement ont pu être identifiées et réprimées, notamment celles relatives aux dépôts sauvages.

C’est d’ailleurs l’un des fléaux rencontrés dans la région. Sur les 2 000 infractions relevées en 2019, concernant les déchets et autres polluants, 79 sont liées à l’abandon ou au dépôt illégal de déchets. Un délit aussi néfaste que courant, que décrypte un enquêteur de l’OCLAESP :

Imaginez que vous deviez détruire un immeuble. Une société prestataire de services va vous proposer de gérer vos déchets, gravats, etc., contre une somme d’argent, inférieure à ce que vous demanderait l’État. En échange, elle vous promet de tout traiter, sauf qu’en réalité, elle va juste louer une parcelle pour une bouchée de pain, en France comme à l’étranger, et enfouir ou abandonner les déchets sur place.

Une pratique « complètement illégale », mais malheureusement démocratisée, selon le lieutenant-colonel Éric Bayle, patron de la division stratégie de OCLAESP : « C’est très commun, notamment dans le Grand Paris et dans le Sud-Est de la France. Certains, en majorité des voyous, proposent de traiter les déchets des autres directement sur Leboncoin ou même au feu tricolore. Beaucoup acceptent car c’est moins cher. » Mais d’autres ignorent aussi complètement la législation en vigueur.

Une législation trop méconnue

Comme cet ancien agriculteur installé en Haute-Loire (43). Sur son terrain, se trouve une dizaine de voitures, toutes abandonnées et pas en état de rouler. Ces épaves ne lui appartiennent pas. Il confirme que leurs anciens propriétaires les ont entreposées ici, au fil du temps, avec son accord. Une infraction récurrente dans la région. En 2019, 164 du même type ont été relevées en Auvergne-Rhône-Alpes.

Dans cet exemple, le risque environnemental semblait avoir été complètement ignoré par le propriétaire du terrain : « Les véhicules peuvent (encore) stocker des matières (polluantes), comme de l’huile ou du gasoil. Si elles venaient à s’écouler sur le terrain, elles pourraient amener à le polluer, tout comme les ruisseaux qui se trouvent à proximité », précise le capitaine Jean-Luc Louvat, officier adjoint chargé de la police judiciaire au groupement de gendarmerie départementale de la Haute-Loire.
 
Sauf que, comme beaucoup d’autres personnes, l’ancien agriculteur ignorait complètement que l’abandon d’une épave de véhicule constitue une entorse à la loi. « Bien souvent, les gens ne sont pas au courant de ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire. C’est un gros problème. Notre rôle est justement de faire de la pédagogie auprès de la population, en donnant des informations liées à la législation. »

L’inter-services pour mieux protéger l’environnement

Pour ce genre d’infractions, l’homme risque au mieux une mise en demeure, au pire une amende de 1 500 euros. Mais les sanctions ne sont pas systématiques. C’est d’ailleurs la politique de la maison : « À ce niveau, nous sommes dans le dissuasif », indique le lieutenant-colonel Éric Bayle. À l’instar de son homologue de la gendarmerie des voies navigables, l’officier préfère « viser le haut du panier, c’est-à-dire détecter une structure organisée en ayant des capteurs à chaque niveau. » Car le trafic illégal de déchets prend de l’ampleur sur le plan financier : en 2015, il aurait généré près de 17 milliards d’euros de bénéfices, selon un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Un chiffre cependant invérifiable pour le patron de la division stratégie de l’OCLAESP.

C’était d’ailleurs l’un des objectifs stratégiques de l’opération « Territoires Propres » : « inscrire la lutte contre le trafic de déchets dans le continuum de la gendarmerie, avec les partenaires (institutionnels) », comme le pôle national de transfert transfrontalier de déchets, les offices nationaux de la forêt et de la biodiversité, l’agence de sûreté nucléaire, ainsi que la DREAL, la compagnie nationale du Rhône et la douane d’Auvergne-Rhône-Alpes.

Sur le plan de la coopération inter-services comme sur celui des résultats, « Territoires Propres » a été un franc succès puisque 62 opérations de contrôles ont été réalisées sur le domaine public, chez des particuliers ou des entreprises ainsi que sur les axes routiers. Au total, 95 infractions à l’environnement ont été relevées et 35 infractions annexes, sans lien direct avec l’environnement.
 
Une réussite que l’Arme souhaite réitérer sur tout le territoire, comme le confirme le commandant de la région de gendarmerie d’Auvergne-Rhône-Alpes : « C’est la première région où l’on réalise une opération d’ampleur liée à l’environnement. Et je crois qu’elle va susciter des vocations, puisque le directeur général de la gendarmerie nationale a demandé qu’elle soit dupliquée sur tout le territoire. » Et le général de corps d’armée Laurent Tavel ne s’est en effet pas trompé. Deux autres opérations similaires seront montées prochainement dans l’Hexagone.

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