« La constance du prédateur », de Maxime Chattam : une plongée au cœur du département des sciences du comportement

  • Par Propos recueillis par la lieutenante Floriane Hours
  • Publié le 17 décembre 2022
© SIRPA-G - GND B. LAPOINTE

Maxime Chattam est de ces écrivains à succès que l’on ne présente plus. Dans son nouveau livre, qui vient de paraître aux éditions Albin Michel, « La constance du prédateur », il met à nouveau en scène la lieutenante Ludivine Vancker, enquêtrice à la Section de recherches de Paris. Interview de l’auteur à l’occasion de sa venue à la Direction générale de la gendarmerie nationale.

Maxime Chattam commence sa carrière en 2002 par un premier roman « L’âme du mal », inspiré par la ville de Portland, aux États-Unis, où il fait de nombreux séjours. S'ensuit une carrière extrêmement prolifique de vingt ans, au cours de laquelle il se spécialise dans l’étude des phénomènes et de la psychologie criminels. Un intérêt renforcé par une formation en criminologie et de nombreuses rencontres, en France et aux États-Unis, avec des gendarmes et des policiers, enquêteurs chevronnés. Inspiré par les univers de Stephen King et de Howard Philips Lovecraft, il décrit dans ses livres, qu’il veut les plus réalistes possibles, des enquêtes menées par des personnalités fortes. Parmi ces héros, se trouve la lieutenante Ludivine Vancker, enquêtrice à la Section de recherches (S.R.) de Paris. Déjà présente dans la trilogie éponyme, elle fait son retour dans son tout nouveau livre, qui vient de paraître aux éditions Albin Michel : « La constance du prédateur ». Dans ce thriller psychologique, écrit en un peu plus de 7 mois, Maxime Chattam aborde le thème des tueurs en série.

Dans ce nouveau roman, votre héroïne, la lieutenante Ludivine Vancker, quitte la Section de recherches (S.R.) de Paris pour rejoindre le Département des sciences du comportement (DSC), autrement dit les « profilers » de la gendarmerie. À travers ce changement de poste, qu’est-ce qui vous intéressait, tant dans la vision des gendarmes du DSC que dans celle des tueurs en série ?

La réalité, c’est que j’aurais pu rester à la S.R. encore longtemps, mais je pense que les gendarmes auraient fini par tiquer en disant « mais ça fait combien d’années qu’elle est à la S.R., qu’elle monte en grade sans jamais avoir besoin de changer de poste ». Ça n’aurait pas été très réaliste. Ça fait donc longtemps que j’avais cette idée en tête de la faire bouger, pour garder un minimum de véracité. Puis un jour, j’ai mis les pieds au PJGN (Pôle Judiciaire de la Gendarmerie Nationale) de Pontoise, où j'ai découvert l’existence du Département des sciences du comportement. J’ai alors réalisé que c’était ce qu’il me fallait ! Mon enquêtrice avait toujours eu un côté très psy dans ses approches, et vu les traumas qu’elle avait subis dans certains bouquins, ça faisait sens qu’elle veuille migrer, s’éloigner un peu du terrain, pour être dans une approche beaucoup plus intellectuelle, être une aide à l’enquête, et moins en première ligne. Bien entendu, ça ne va pas se passer comme prévu !

Dans votre ouvrage, la dimension psychologique est en effet extrêmement présente. Au fil de l’enquête, et donc du livre, vous allez chercher au plus profond des personnages, et notamment du tueur en série. Vous sondez leurs pensées et ce qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette démarche ? Pourquoi avoir voulu aller aussi loin ?

Parce que justement, ce qui m’intéresse quand j’écris des bouquins, c’est de divertir le lecteur, mais c’est aussi de l’interroger sur des choses concrètes. Comme d'où viennent les tueurs en série ? Ce ne sont pas juste des types qui ont eu une enfance un peu terrible, parce que sinon, tous les enfants qui ont des enfances un peu terribles deviendraient tueurs en série. Ça n’a pas de sens. J’étais donc interpellé par l’origine des tueurs en série, par les explications qu’on en a. D’un point de vue psychologique, il n’y a pas de vrai consensus, et donc, en tant que romancier, s’interroger sur toutes les théories, compléter les blancs, les hypothèses, même si elles sont un peu romanesques, c’est ce qui m’intéressait. Et puis je trouve que c’est plus fort que juste se contenter de décrire un tueur en série : comprendre d’où il vient, comment il s’est fabriqué et de poser la question, qui est la question de fond du bouquin : est-ce que la violence extrême, qu’on pourrait même appeler le mal, se propage comme un virus ? Est-ce qu’on peut dire que si on est habité d’une violence extrême, on est capable de la propager autour de soi ? Et si on est comme ça, est-ce que nos enfants peuvent devenir pareils ? Imaginons que demain, un tueur en série ait des enfants et veuille que ses enfants soient comme lui, est-ce que s’il les maltraite comme lui a été maltraité, s’il les met dans un schéma comportemental déviant qui est le sien, il peut obtenir les résultats qu’il veut ? Est-ce qu’on peut « éduquer » un être humain à devenir un tueur en série ? C’est ça la propagation du mal, c’est un vrai sujet qui m’intéressait.

Effectivement, le sujet de la transmission est présent dans tout le livre. La transmission du mal, comme nous venons de l'évoquer, mais aussi, de façon plus surprenante, la transmission du bien, à travers les liens qui unissent les enquêteurs et leur famille. Pourquoi avoir fait ce choix ?

C’était hyperimportant, parce qu’il y a une telle noirceur dans les actes criminels que je dépeins, que je voulais contrebalancer avec des héros plutôt positifs. Et puis je n’aime pas trop les films ou les romans où les flics sont des héros noirs, dépressifs, bouffés par ce qu’ils font. D’abord, parce que les enquêteurs que je connais dans la vie ne sont pas comme ça. Au contraire, au quotidien, ils sont plutôt heureux, souriants et solaires. C’est ce que j’avais envie de montrer. Et puis cela incarnait parfaitement que ce qu’ils transmettent à leurs enfants sont des valeurs fortes, belles, parce qu’ils sont justement confrontés à cette noirceur et qu’ils savent l’importance de protéger, de préserver l’innocence de leurs enfants et de les accompagner de façon intelligente et pas juste naïve sur ce qu’est le monde. Il fallait donc que ces notions soient incarnées par les héros du livre.

Sur plus de 400 pages, vous décortiquez, avec une précision impressionnante, tout ce qui se passe dans la tête des personnages, que ce soit dans celle de la lieutenante, des autres enquêteurs ou du tueur en série. Vous évoquez aussi, et souvent avec une grande justesse, le déroulé d’une enquête. Quel travail de recherche avez-vous réalisé pour aboutir à ce résultat ? Avez-vous travaillé avec des enquêteurs de la gendarmerie ou du DSC ?

Ce livre est en fait le fruit de 20 ans de travail en France et aux États-Unis, avec des gens dont c’est le métier. Donc, finalement, je n’ai pas trop posé de questions, parce que globalement, j’avais déjà les réponses. Je sais comment pense un psychopathe, du moins suffisamment pour pouvoir en créer un. J’ai lu des milliers de pages sur la psychologie psychiatrique criminelle et sur des dossiers criminels pour essayer de comprendre. Je me suis intéressé au sujet de fond en comble. Je n’ai pas d’expertise, parce que je n’ai pas la légitimité et l’approche sérieuse d’un professionnel, mais j’ai l’approche d’un romancier, c'est-à-dire d’un passionné qui s’intéresse au sujet depuis plus de 20 ans. Dans les centaines d’affaires criminelles que j’ai lues, ce qui m’intéresse à chaque fois, c’est d’essayer de lire entre les lignes, de comprendre pourquoi et comment. Sur les procédures, c’est pareil. À force de côtoyer des gens dont c’est le métier, je comprends. En fait, je suis une éponge. Et puis il y a tout ce qu’ils me racontent et tout ce qu’ils ne me disent pas. Ensuite, je crée mes personnages et j’essaie de voir comment, avec ce que je sais de ce monde-là, j’arrive à les faire vivre, à créer mon histoire et à la rendre la plus plausible et réaliste possible.

Pour le volet DSC, je suis allé sur place, j’ai posé beaucoup de questions à la cheffe d’escadron, sur la façon dont ils travaillent, sur les bons et les mauvais côtés, pour avoir une idée générale du service. Je ne l’ai pas embêtée avec la partie psychologique ; j’ai tout créé dans mon coin et je lui ai envoyé le texte en lui demandant de me dire ce qui ne marchait pas. Et globalement, elle m’a dit que ça fonctionnait plutôt très bien.

Dans vos ouvrages, quel est justement le lien entre cette réalité à laquelle vous tenez tant et la fiction ? Concernant les personnages, les affaires, certaines choses sont-elles inspirées de faits réels ?

Non, tout est inventé ! J’invente tout, ce qui me permet d’avoir une vraie liberté de création. Mais je ne crée pas n’importe quoi, je crée des situations qui me permettront de placer la fameuse théorie que j’ai envie de mettre. La théorie sur le rapport au crime, au mal ou à la violence dans la société… Il y a juste un personnage, apparu dans certains bouquins, qui n’est pas vraiment inventé, c’est celui du général Juillast, qui est clairement inspiré du général Daoust. Ce dernier a aujourd’hui pris sa retraite, mais pour tous ceux qui l’ont connu quand il était à Pontoise, ça lui ressemble beaucoup : un grand général aux yeux bleus, avec un accent chantant du sud-ouest, toujours un peu joyeux. À l’époque, il m’avait marqué et donc je m’étais permis de lui faire un clin d’œil. Puis le clin d’œil est devenu un personnage encore plus présent dans le livre suivant et encore plus présent dans celui-ci. Il y a un autre personnage, celui de Lucie, qui ressemble un peu à Marie (la cheffe d’escadron, N.D.L.R.), même si j’ai pris beaucoup de libertés sur plein de choses. Je l’ai complètement inventée. Mais le fait que ce soit une femme, qu’elle ait ce côté un peu charismatique quand elle parle et qu’elle soit ultra-compétente, il y a un peu de ça.

Quelles ont été vos inspirations pour l’écriture de cet ouvrage ?

Ça me vient de l’observation. À un moment donné, à force de voir ce monde, je me dis que j’ai envie d’en parler, que j’ai besoin d’en parler de telle manière, et à partir de là, je cherche la bonne idée et puis je travaille. L’inspiration, c’est de la discipline. C’est avoir une petite idée et la travailler encore et encore, jusqu'à ce qu’on la développe et qu’elle grossisse, grossisse, grossisse et qu’elle puisse être capable de porter un roman.

À la fin de votre ouvrage, dans la lettre de remerciements, vous dites, je cite, « je crois que je m’invente des monstres pour calmer les peurs enfantines qui m’ont construit. » Vous aviez besoin de parler du sujet des tueurs en série justement parce que c’était l’une de ces peurs ou simplement parce que c’était un sujet que vous aviez envie de traiter ?

Je pense que c’est un mélange des deux. Ce sont des sujets que j’ai besoin d’aborder, ça me rassure sur l’état du monde, ça me donne le sentiment de mieux le comprendre. En même temps, ça correspond aussi à des peurs enfantines, parce que la peur du croque-mitaine est incarnée par la peur du tueur en série. Le monstre dans le placard, c’est ça ! Quand j’étais gamin, je voyais l’être humain comme un personnage un peu inquiétant quand même et je pense que le fait d’écrire sur ce qu’il y a de pire a permis de me rassurer. Ce qui n’empêche que le voyage peut être un peu violent. Je parle du mal, de ce qu'est l’ultra-violence des tueurs en série.

Vous dites également que l’écriture de cet ouvrage a été un vrai défi intellectuel. Plus que les précédents ?

Oui, parce qu’il fallait aborder cette violence, cette noirceur, de manière très frontale, sans se cacher. Au début, je n’avais pas prévu d’écrire les chapitres sur le point de vue de la victime, je n’avais pas envie de m’infliger ça et d’infliger ça à mon lecteur, mais je me suis rendu compte que ça ne marchait pas si je ne les avais pas, que je ne pouvais pas théoriser sur ce personnage si je n’avais pas le point de vue de sa victime. Et puis purement en termes de mécanique du thriller, quand on lit le point de vue de l’héroïne (la lieutenante Vancker, N.D.L.R.) et qu’on comprend qu’elle ne vit plus, qu’elle se demande en permanence si en tant qu’enquêtrice elle a le temps de prendre deux heures de repos sur sa vie perso, alors que chaque heure qui passe, c’est une heure qu’elle ne va pas utiliser pour sauver une vie humaine, qui ne peut être sauvée que par elle, comment se place-t-on humainement là-dedans ? Ça arrive… Je pense à tous les enquêteurs qui sont dans une course contre la montre quand quelqu’un est enlevé : comment arrive-t-on à se dire : « je vais m’autoriser une heure de break, pour moi, parce que je ne tiens plus ». Pour incarner ce questionnement et ce choix, je pense que si on n'avait pas le point de vue de la victime à un moment, ça aurait été très éthéré, même si c’est dur à écrire.

D’habitude, dans mes bouquins, je fais en sorte parfois de trouver d’autre biais pour me préserver en tant qu’être humain, parce que je n’ai pas envie de me confronter à l’écriture de chapitres comme ça. Mais parfois il n’y a pas le choix. Ce roman-là est profondément humain, à tous les niveaux. Tous les personnages sont abordés à travers leur humanité. Même le tueur en série. À la fin, il y a quand même un long chapitre qui permet de dire qui il est, d'où il vient, qu’il est profondément humain. Ça n’excuse rien, mais ça explique le personnage. Cette profonde humanité exigeait donc que je sois également dans une empathie énorme avec tous mes personnages, et que, quelque part, je sois moi aussi à fleur de peau, moins dans la protection. Quand on écrit des choses avec la mécanique, les artifices de l’écriture du thriller, c’est plus facile. Quand on est dans une humanité profonde, on en prend plus facilement plein la tête.

Quand on a vécu pendant sept mois avec ses personnages et avec tout ce que cela implique, comment est-ce que l'on en sort ? Comment se sent-on une fois le livre terminé ?

Il y a d’abord une sorte de profonde mélancolie, de tristesse, parce qu’il a fallu monter très haut et aller très très très profondément en soi pour aller au bout de tout ça et que d’un coup, tout ça est fini. C’est un sentiment qu’éprouvent, je pense, les gens qui font de longues expériences en solitaire ; j’ai en tête les gens qui traversent l’Antarctique seul par exemple. Quand ils terminent, c’est à la fois un soulagement et la réalisation du caractère incroyable et probablement unique de la chose. C’est bizarre, parce qu’il y a un côté « mais pour qui il se prend, il est romancier, il a juste écrit un bouquin », mais il y a quand même un peu de ça. Et puis, je dis adieu à ces personnages. Après, au bout d’un moment, je suis très content de les laisser derrière moi ! Lorsque mon premier roman a été publié, je ne voulais pas prendre le melon. J’étais très fier du bouquin parce qu’il était comme je voulais qu’il soit, mais j’ai eu la satisfaction de pouvoir passer à autre chose. Comme j’ai trouvé la démarche plutôt saine, je l’ai très vite adoptée. Du coup, je passe très vite au bouquin d’après.

Cela fait 20 ans que vous vous consacrez aux enquêtes criminelles, vous avez reçu une formation en criminologie, vous avez étudié des centaines d’enquêtes, parfois extrêmement complexes. Vous n’avez jamais eu envie de passer de l’autre côté et de devenir à votre tour enquêteur ?

Dans le fond, je ne sais pas si j’ai les qualités pour le faire, si j’ai ce qu’il faut pour devenir un bon enquêteur. De la même manière, un bon enquêteur est-il capable d’être un bon romancier ? Ça dépend. Mais j’aurais adoré être sur le terrain. Tout en sachant bien sûr qu’une enquête, c’est quand même très loin de ce que je fais dans mes bouquins. C’est quelque chose de très longue haleine. Mais être confronté à l’humain, oui, j’aurais adoré ! Après, ça n’a jamais été une incitation assez concrète pour que je me dise de franchir le pas et de devenir gendarme ou policier.

Un nouveau projet déjà en préparation ?

Oui, mais pas avec Ludivine. Je reviendrai à elle plus tard. Cette fois, ce sera un hommage à Barjavel…

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