Analystes comportementaux : des gendarmes sous un autre profil

  • Par capitaine Sophie Bernard
  • Publié le 31 mai 2021
© GND F. Garcia

Livres, séries, films, le profilage reste un vrai sujet de prédilection pour la fiction. Dans la réalité, cela fait bientôt 20 ans que les gendarmes peuvent s’appuyer sur un Département des sciences du comportement (DSC), situé au sein du Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale. Mais si ce métier intrigue et fascine, il génère aussi beaucoup de préjugés. Dévoilons son vrai profil !

« Le profilage est né Outre-Atlantique. »

VRAI : Cela part d’un poseur de bombes qui sème la panique dans les années 1950, sévissant dans plusieurs cinémas de Manhattan. L’enquête piétinant, la police new-yorkaise fait appel au psychiatre James A. Brussel, qui dresse rapidement le profil de l’auteur et suggère de nouvelles pistes aux enquêteurs, permettant d’interpeller le coupable. Les années suivantes, le FBI développe une méthodologie d’analyse comportementale qui s’exporte à l’international. En France, il faut attendre 2003 pour que le ministère de la Justice en fasse mention dans un rapport, après deux jurisprudences, reconnaissant qu’il s’agit d’une technique d’aide à l’enquête. Mais la gendarmerie a déjà anticipé en prospectant tous les outils existants à la suite de l’affaire Patrice Allègre et en créant finalement l’unité, en 2002, sous l’impulsion du Bureau de la police judiciaire (BPJ). Il s’agira, dans un premier temps, du Groupe d’analyse comportementale (GAC), avant que cela ne devienne le Département des sciences du comportement (DSC).

« Ce métier, c’est un mélange entre psychologue et médium. » 

FAUX : Si la matière fascine et inspire depuis toujours, aussi bien la littérature que le cinéma, le métier est en fait souvent très éloigné de la fiction. Depuis sa création, le DSC est composé à la fois d’analystes ayant une formation en psycho-criminologie (cinq actuellement, dont deux finissent leur formation) et d’enquêteurs avec une expérience en unité de recherches (deux à l’heure actuelle). Tous sont gendarmes et ont le statut d’officier de police judiciaire à compétence nationale, afin de pouvoir acter en procédure. Regardés au départ comme des bêtes curieuses, ils se sont vite révélés utiles pour bon nombre d’enquêtes ! En effet, ils se sont appuyés sur des connaissances scientifiques pour élaborer des protocoles, au fil de leurs recherches et de leur expérience, mais aussi grâce aux échanges réguliers avec leurs homologues étrangers (FBI mais aussi Canada, Allemagne, etc.). Préférant la dénomination d’ « analystes comportementaux », ils ont réussi à acquérir une véritable légitimité au sein de l’Institution et en dehors.

« La scène de crime reflète nécessairement la personnalité de l’auteur. »

VRAI : De la même manière qu’il existe un principe de transfert, énoncé par Locard, selon lequel l’auteur laisse forcément une trace de son passage et emporte avec lui des éléments de la scène, il y a également une trace comportementale. Aussi, après avoir pris connaissance du dossier, sans se laisser influencer par les pistes déjà envisagées par les enquêteurs, les gendarmes du DSC se déplacent sur les lieux pour déceler le comportement criminel et, de là, esquisser la personnalité de l’auteur. Un travail complémentaire donc, comme pour ce double homicide commis au rez-de-chaussée d’une maison. On découvre du sang un peu partout sur le carrelage, des traces de pas et une autre de main ensanglantée près de l’escalier. On sait que l’auteur s’est aventuré à l’étage, pourtant la moquette y est restée d’un blanc immaculé. Là où les enquêteurs se sont intéressés à la trace de main pour un relevé d’empreintes, les analystes y ont vu un comportement : le fait que l’auteur semblait avoir pris appui sur le mur pour se déchausser, sans doute par automatisme. Le plus étonnant est que même lorsqu’un auteur veut maquiller son crime, s’inspirer d’une fiction, polluer la scène ou au contraire la nettoyer, cette trace demeure ! Même chose lorsqu’il existe un complice ou bien que deux auteurs différents sévissent dans la même région : même s’il existe des typologies de profils, chaque profil est unique !

« Le profilage, c’est travailler en solo et écouter surtout son intuition. »

FAUX : Le département travaille en binôme ou en trinôme sur un même dossier, voire toute l’équipe ensemble si besoin. Après avoir lu le dossier et s’être rendus sur place, les gendarmes analysent les différents éléments en leur possession et tentent d’élaborer un profil en suivant le protocole, et en aucun cas leur intuition, qui enlèverait toute objectivité. Cela prend du temps et fait l’objet de nombreux débats, où le DSC interroge d’autres services du PJGN, où chacun argumente et se fait l’avocat du diable, où le groupe se lance même parfois dans des reconstitutions, afin qu’aucune piste ne soit laissée au hasard. À l’issue de cette effervescence, l’équipe aboutit toujours à un consensus. Elle rend alors un rapport collégial argumenté, prenant la forme d’un procès-verbal, où elle soumet aux enquêteurs un profil et des hypothèses de travail. Le directeur d’enquête est libre de les suivre ou non et de faire le lien avec un potentiel suspect. À partir du profil établi, le DSC pourra aider les enquêteurs à préparer l’audition de garde à vue et à mettre l’auteur en confiance afin que la vérité puisse émerger.

« Cette méthode, c’est surtout pour retrouver les tueurs en série. »

FAUX : Chaque année, le DSC traite en moyenne 40 à 60 dossiers sur saisine des unités de gendarmerie ou des magistrats. Mais les meurtres en série ne représentent qu’une faible proportion de son travail. Le DSC peut intervenir pour toute atteinte aux personnes grave ou complexe, à l’instar d’un homicide, d’un viol ou d’une agression sexuelle. Il peut s’agir d’un dossier récent mais aussi d’un cold case. Le département intervient également dans le cadre de certaines disparitions inquiétantes. Il n’y a alors pas de scène de crime à proprement parler, mais les connaissance des analystes en victimologie peuvent aider, et celas leur permet de se préparer à établir le profil d’un éventuel auteur. On fait aussi régulièrement appel au DSC pour les dossiers de bébés secoués, où le crime est avéré, mais où il est souvent difficile d’identifier le responsable (parents, nourrice, etc.). Enfin, les analystes restent très accessibles et n’hésitent pas à conseiller les enquêteurs sur leurs dossiers, notamment pour préparer une audition en vue d’une garde à vue complexe.

« C'est un métier qui fait rêver, notamment les étudiants en droit ou en psycho ! »

VRAI et FAUX : Devenir analyste comportemental demande, entre autres, de la patience, des qualités humaines et de l’ouverture
d’esprit. Ces gendarmes continuent de se remettre en question chaque jour, mais aussi de se former, à travers leurs recherches, auprès d’experts (par exemple des médecins légistes) et en échangeant régulièrement avec leurs homologues étrangers. Il s’agit aussi d’être particulièrement rigoureux sur la méthode, car il n’est pas rare d’être appelé à la barre de la Cour d’assises pour expliquer son analyse. Contrairement à ce que laisse entendre la fiction, traiter des crimes sordides et analyser des photos de scène de crime toute la journée n’est pas aussi glamour que les séries voudraient le montrer ! Heureusement, la cohésion du groupe, qui se considère comme une véritable équipe, aide toujours à surmonter les difficultés et à débriefer collectivement. Par ailleurs, à en croire les analystes, il est toujours très satisfaisant de contribuer tous ensemble à l’identification d’un criminel, cela contrebalance largement toutes les difficultés.

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