Lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane : quel bilan ?

  • Par le capitaine Tristan Maysounave
  • Publié le 10 mars 2024
Forêt Guyanaise avec un site d'orpaillage.
© GEND/GR/ADC.BOURDEAU

En Guyane française, l’extraction d’or clandestine génère de multiples conséquences sociales, sanitaires et environnementales. Depuis plusieurs années, les acteurs de la Lutte contre l’orpaillage illégal (LCOI), parmi lesquels la gendarmerie nationale joue un rôle de premier plan, se sont structurés autour de la mission Harpie, afin de lutter contre ce fléau. Tour d’horizon d’une opération décisive.

D’une superficie représentant un sixième de la France métropolitaine, la Guyane française, composée à 94 % de forêt équatoriale, est convoitée pour ses nombreuses richesses minières, halieutiques et forestières. Au XIXe siècle, les premiers gisements aurifères sont découverts et conduisent progressivement à une véritable ruée vers l’or. Les sols sont alors exploités de manière légale sous la forme de concessions délivrées par l’État mais également de manière illégale, notamment à partir des années 1990, en dépit des normes sanitaires et environnementales élémentaires. Ce phénomène génère un afflux d’Étrangers en situation irrégulière (ESI) en quête d’un avenir meilleur.

Originaires des pays frontaliers de la Guyane française que sont le Brésil et le Suriname, ceux que l’on nomme garimpeiros s’adonnent à l’orpaillage dans les conditions les plus précaires, menaçant la pérennité de la faune et de la flore de la forêt équatoriale, au sein même du Parc amazonien guyanais (PAG), plus grand parc de l’Union européenne. Fracassant la roche et agglomérant l’or à l’aide du mercure, ils polluent les eaux et les sols, mettant en danger la santé de la population guyanaise, et notamment celle des nombreux peuples autochtones vivant aux abords des fleuves et rivières du territoire, pour qui la pêche constitue souvent la base de l’alimentation.

Concurrençant les sites légaux, les garimpeiros menacent également la stabilité économique de la Guyane avec le développement d’une véritable économie parallèle. Des comptoirs ont ainsi fleuri, notamment au Suriname, le long du fleuve Maroni. De jour comme de nuit, en pirogue, en quad et à dos d’homme, ils alimentent les sites illégaux en motopompes, carburant et vivres. Alors que le cours de l'or atteint des niveaux inégalés, des organisations criminelles se sont structurées autour de cette manne financière. Elles alimentent les règlements de compte et la délinquance, aussi bien en forêt que sur le littoral.

Comptoirs alimentant les sites d'orpaillage.
© GEND/GR/ADC.BOURDEAU

Menée dès les années 2000, la Lutte contre l’orpaillage illégal (LCOI) s’est organisée, avec la création de la mission Harpie en 2008. Anciennement baptisée Anaconda, cette opération interministérielle permanente, qui associe les 1 180 gendarmes et 2 465 militaires des Forces armées en Guyane (FAG), se distingue des Opérations extérieures (OPEX) à plusieurs titres. Outre le fait qu’elle se déroule sur le territoire national, l’opération Harpie est à la fois une mission de police judiciaire et de police administrative, conduite par la gendarmerie nationale avec l’appui des FAG et d’autres partenaires.

Une opération permanente et structurée

« Lancée et pérennisée par le Président Nicolas Sarkozy, la mission Harpie a aujourd’hui atteint une véritable maturité et fonctionne très bien », explique l’adjudant-chef Frédérico, affecté à la section renseignements (bureau J2) du Centre de conduite des opérations (CCO) du Commandement de la gendarmerie (COMGEND) de la Guyane française. Cette opération est désormais structurée en quatre volets.

Les acteurs de la mission Harpie agissent dans le domaine répressif en menant des actions de destruction des sites, d’interpellation des individus impliqués dans l’orpaillage illégal et de saisie pour destruction ou attribution des matériels découverts. L’opération comprend également un volet économique consistant à favoriser l’installation d’exploitations légales, dont la présence entrave l’action des garimpeiros. D’un point de vue social, la LCOI passe par l’information et l’accompagnement des populations, afin de les sensibiliser sur les conséquences de l’orpaillage illégal et de leur proposer des solutions alternatives. Se déplaçant fréquemment sur les nombreux fleuves guyanais, les gendarmes entretiennent les échanges avec les villages isolés, situation qui favorise la remontée du renseignement. La mission Harpie s’appuie enfin sur un volet diplomatique. La France collabore ainsi sur ce sujet avec les pays frontaliers. Créé par l’accord de partenariat en matière de sécurité publique du 12 mars 1997 et par le protocole additionnel du 7 septembre 2009, le Centre de coopération policière (CCP) de Saint-Georges participe à l'approfondissement de la coopération transfrontalière entre la France et le Brésil.

Une opération forte de la diversité de ses actions répressives

Un militaire marche en forêt afin d'atteindre un chantier illégal. Il porte une pioche sur son épaule.
© GEND/ SIRPA-G/ GND CHATAIN

Menées en forêt, les actions répressives visent à diminuer la rentabilité des garimpeiros et à les décourager d’exploiter les gisements. Ces actions prennent différentes formes. Il peut ainsi s’agir de Patrouilles d’action commune (PAC) ou de Patrouilles locales communes (PLC) entre les FAG et les militaires de la gendarmerie nationale, ou encore de Patrouilles locales autonomes (PLA), auxquelles ne participent que des gendarmes.

La majorité des actions menées privilégient l’association des militaires des FAG (9e régiment d'infanterie de marine / RIMa, à l’ouest, et 3e Régiment étranger d'infanterie / REI, à l’est, renforcés par des compagnies tournantes) et des gendarmes, le plus souvent issus des deux Escadrons de gendarmerie mobile (EGM) spécialement positionnés en Guyane pour lutter contre l’orpaillage illégal. En effet, l’efficacité de ces missions de plusieurs jours repose sur la complémentarité et la mise en commun des savoir-faire tactiques, des connaissances du terrain et du contrôle par les gendarmes du respect du cadre légal s’appliquant sur le territoire national.

Poste fixe de Dorlin.
© GEND/GR/ADC.BOURDEAU

À ces missions dynamiques, s’ajoutent des missions statiques. Afin d’entraver les flux logistiques alimentant les camps d’orpaillage, des postes fixes ont été édifiés afin de tenir des points stratégiques du territoire. À Tampok, Inini ou encore Saut-Taurepe, des militaires des FAG et de la gendarmerie arment ainsi des postes de contrôle fluviaux et vérifient le contenu des pirogues naviguant sur les fleuves. À Dorlin, un poste a également été érigé dans l’une des zones les plus aurifères de Guyane. Il vise à empêcher la réinstallation des garimpeiros après le meurtre du Major Arnaud Blanc par une bande armée, en mars 2023. Outre les actions de contrôle, ces sites sont utilisés comme des postes avancés afin de mener des actions répressives dans la profondeur. Des patrouilles rayonnent ainsi à partir de ces points afin de démanteler des camps difficilement accessibles depuis les villes et villages guyanais.

Militaires de l'AGIGN de Cayenne sur un quad.
© GEND/GR/ADC.BOURDEAU

Enfin, des actions spécifiques sont menées par des unités spécialisées. L’AGIGN de Cayenne effectue ainsi des missions d’infiltration en forêt de plusieurs jours en autonomie ou conjointement avec les militaires de la Section d’aide à l’engagement débarqué (SAED) du 3e REI (les SAED sont des unités spécialisées ayant des missions se rapprochant des forces spéciales, NDLR) ou du Commando de recherche et d’action en jungle (CRAJ) du 9e RIMA. Les gendarmes de l’antenne mènent également des actions coup de poing, en procédant à l’interception de quads ou de pirogues servant à transporter le matériel utilisé par les garimpeiros (mission baptisée sous le nom de Vives forces fleuve - V2F) ou en menant des opérations Anaconda, consistant en des assauts aériens visant à détruire les outils indispensables à la production aurifère illégale.

Toutes les actions répressives sont coordonnées par le Centre de conduite des opérations (CCO), basé à Cayenne.

Des résultats probants

« La mission Harpie présente des résultats sur le long terme. Alors qu’il y avait 600 chantiers (NDLR : sites illégaux) avant 2010, aujourd’hui, il n’y en a plus que 300. Le chiffre est stable depuis trois ans, précise l’adjudant-chef Frédérico. Aujourd’hui, nous sommes capables de donner à n’importe quel moment un état de l’orpaillage illégal en Guyane. Les données sont très fiabilisées et synthétisées dans une cartographie nommée l’observatoire de l’activité minière. »

Environ 1 000 missions de lutte contre l’orpaillage illégal sont menées chaque année. Elles impactent 50 à 60 gendarmes, 200 à 300 militaires des FAG et de nombreux autres partenaires chaque jour.

« Notre connaissance de l’orpaillage illégal nous permet de gagner en efficacité. Aujourd’hui, on fait marcher les militaires des FAG et de la gendarmerie pour du résultat, car les opérations menées donnent quasiment systématiquement lieu à une issue positive », explique le colonel Laurent Audouin, commandant le CCO.

Militaire détruisant un moteur sur un site d'orpaillage.
© GEND/GR/ADC.BOURDEAU

« Depuis quelques années, on judiciarise la mission Harpie. Les données récoltées montrent qu’on a surtout une multitude de petites structures. On judiciarise les patrons, les logisticiens, les garimpeiros, les piroguiers qui transportent le matériel vital à l’orpaillage. Aujourd’hui, on s’efforce de traduire en justice tous les acteurs de l’orpaillage illégal », complète l’adjudant-chef Frédérico.

La difficulté réside dans l’usure des matériels et notamment des moyens aériens confrontés à la rigueur du climat. Les acteurs de la LCOI sont également confrontés à la régénération des sites d’orpaillage. Les orpailleurs se réapprovisionnent et réparent rapidement les moteurs et sites détruits.

En 2023, 225 personnes ont été placées en garde à vue. 61 millions d’euros de préjudice ont été portés à l’adversaire, notamment au travers des saisies. Les quads, pirogues et moteurs réattribués aux militaires des FAG et de la gendarmerie rendent la mission réalisable et sapent le moral des garimpeiros.

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