Le bestiaire de Pandore, ou l’utilisation des animaux en gendarmerie à travers les siècles
- Par le commandant Jean-François Nativité - Délégation au Patrimoine
- Publié le 04 octobre 2020
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la gendarmerie tout comme l’armée ou la police, était tributaire des animaux, tant sur le plan tactique que logistique. Souvent polyvalents, le cheval, le mulet, ou encore le chien y remplissaient des tâches variées, pour le combat mais aussi le transport, le ravitaillement, la communication ou encore le service sanitaire. Par la suite, si la place de l’animal évolua, il resta un auxiliaire d'importance pour la réalisation de missions où les technologies n'avaient pu le remplacer.
Le cheval et le gendarme ont longtemps constitué un binôme inséparable dans l’imaginaire collectif. En effet, la maréchaussée, au-delà même de son étymologie (le mot signifie « écurie », alors que son premier élément « marh » désigne le cheval), s’est, dès les origines, présentée comme une troupe de cavaliers. Son principal mode d’action était la chevauchée. À partir de 1720, le cavalier devint l’homme de base des brigades. Sous la Révolution, pour intégrer la gendarmerie, il faut avoir servi dans la cavalerie et posséder une grande taille. L’abondante réglementation fixant les pratiques et usages équins (notamment l’Ordonnance du 28 avril 1778 et les grandes lois d’organisation du XIXe siècle) témoigne de l’importance du cheval dans l’histoire de la gendarmerie. La remonte y tint une place centrale. Les montures étaient fournies par les régiments de cavalerie (cuirassiers et dragons), de même que les mules utilisées pour le transport et le ravitaillement.
La mécanisation signe l’abandon des moyens équestres…
Le monopole des brigades à cheval prit fin dès 1780, avec l’apparition des premières brigades à pied en région parisienne. Encore dominant dans les campagnes du début du XXe siècle, le cheval ne put concurrencer les progrès de la mécanisation. Le décret du 7 janvier 1938 officialisa sa disparition en gendarmerie départementale au profit des moyens motorisés. Pour autant, durant la Seconde Guerre mondiale, les mulets restèrent des moyens de transport fort appréciés, notamment dans les brigades de montagne des Alpes ou des Pyrénées, où leur agilité sur les sentiers étroits et pierreux en faisait des compagnons idéals pour les gendarmes. Le cheval demeura un auxiliaire traditionnel pour le maintien de l’ordre jusqu’en 1947, et ce, malgré les interrogations causées par les émeutes du 6 février 1934. Il poursuivit sa carrière en outre-mer jusqu’en 1960. Après cette date, la Garde républicaine de Paris devint dépositaire des traditions équestres militaires.
… Jusqu’à leur retour remarqué au milieu des années 2000
Néanmoins, depuis le milieu des années 2000, le cheval a aussi effectué un retour remarqué au sein des forces de sécurité de proximité. Face à une demande croissante des autorités administratives régionales, des implantations permanentes de cavaliers de la Garde républicaine ont été expérimentées dans les brigades aux abords de Lille, Lyon et Marseille afin d’effectuer des patrouilles de maintien de l’ordre et de surveillance de sites.
La cynotechnie en gendarmerie
L’arrivée du chien en gendarmerie ne date que de la seconde moitié du XXe siècle....
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Au début du XXe siècle, le chien rejoint les rangs
Le chien est l’autre ami traditionnel du gendarme et du policier. En France son utilisation remonte au début du XXe siècle, après une première expérimentation conduite par la Police sous la Monarchie de Juillet. Au sein de la gendarmerie, les premières tentatives d’introduction de chiens dits de sécurité furent menées au sein de la 15e légion ter de Corse en 1921. Ce n’est pourtant qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale que les chiens de la gendarmerie firent réellement leur apparition à la suite de l’instruction du 30 juillet 1943 codifiant leur emploi et leur dressage selon deux catégories : « chien policier » (recherche de stupéfiants, d’explosifs, d’armes, de personnes disparues vivantes ou de cadavres, etc.) et « chien de montagne » (recherche de personnes ensevelies en avalanche). Leur usage fut testé à cette époque dans des brigades frontières du département du Nord, ainsi que dans cinq départements de la zone sud et dans six brigades de haute montagne du département des Hautes-Pyrénées. L’expérience fut cette fois-ci concluante et, en 1944, cette expérimentation fut étendue à toutes les régions de gendarmerie.
1945 : naissance de Gramat
À la fin de la guerre, l’État-major de l’Armée ayant décidé la suppression des centres hippiques militaires, la gendarmerie obtint la cession de l’établissement de Gramat pour y créer, le 19 décembre 1945, un « chenil central ». Grâce au capitaine Gervaise, l’Arme acquit dès lors une autonomie complète dans les domaines du dressage et de l’emploi de ses chiens. Au début des années 1950, une doctrine se mit en place, visant à optimiser le travail des animaux. Parallèlement, le nombre de chiens de la gendarmerie augmenta, passant de 83 en 1947, à 299 en 1959. Le 23 novembre 1960, le chenil central de la gendarmerie fut baptisé Godefroy-Gamin, en hommage à la conduite exemplaire du chien Gamin envers son maître, tué lors d’une mission en Algérie deux ans plus tôt. Cette cérémonie marqua officiellement l’entrée des canidés au sein de l’Institution.
Jusqu’au milieu des années 1970, la gendarmerie utilisa presque exclusivement des bergers allemands, mais ce choix s’étendit progressivement aux bergers malinois et aux labradors. Depuis, elle a aussi fait appel à des petits jack russell ou des fox-terriers, capables de se faufiler là où les délinquants dissimulent drogue, explosifs ou munitions, à des springers, énergiques et résilients, ou encore aux Saint-Hubert, réputés pour leur odorat développé.
Dans le domaine de la cynotechnie, les militaires n’en finissent plus de fourbir leurs armes. La gendarmerie développe par exemple, depuis 2016, la technicité Rexpemo (Recherche d'explosifs sur personnes en mouvement), une compétence rare en France. Deux chiennes Springer ont ainsi été très tôt confiées à la Garde républicaine pour «dépolluer» tous les palais nationaux de la moindre substance explosive. Fin 2018, la gendarmerie comptait 30 équipes cynophiles qualifiées Rexpemo de la gendarmerie nationale.
Le chien « gendarme » jouit d’un statut de militaire avec matricule. Il sert pendant huit à neuf ans en moyenne et fait l'objet, comme son maître, de remises de décorations. Dernièrement, plusieurs médailles de la Défense nationale, médaille du courage et du dévouement, ont été attribuées à des chiens. Des médailles de la sécurité intérieure ont par ailleurs été demandées pour la première fois à la suite de l'Euro 2016 pour les chiens Rexpemo. En 2018, la gendarmerie disposait de 449 équipes cynophiles, soit 534 chiens répartis en métropole et outre-mer.
Une place à part au sein des forces de l’ordre
Au final, l’évolution de la place des animaux au sein de la gendarmerie renseigne sur les transformations professionnelles de l’Arme, tout en reflétant les évolutions des époques, alors que les quatre et surtout deux roues supplantaient progressivement la force animale. En effet, en dépit des effets de la mécanisation et de l’immixtion grandissante des nouvelles technologies dans les techniques d’investigation policière ou de maintien de l’ordre, les animaux ont conservé une place à part au sein des diverses forces de l’ordre. Peu importe l’uniforme, policiers, gendarmes, pompiers, douaniers, soldats, tout le monde se connaît et voue une passion à l’espèce animale, tour à tour monture d’apparat ou d’intervention, molosse au flair inégalé ou secouriste. Entre technicité et affectif, ces compagnons à quatre pattes sont devenus, pour certains soldats de l’ordre, de véritables collègues, sur lesquels on peut compter.
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