Le maintien de l’ordre : un dogme « made in » gendarmerie

  • Par Pablo Agnan
  • Publié le 29 décembre 2021
© GND F. Garcia

Concilier la liberté de manifester et faire respecter l’ordre public sont les principes qui régissent le Maintien de l’ordre (M.O.) à la française. Un dogme établi à la suite d’une succession de drames, qui eux-mêmes ont conduit à la création de la gendarmerie mobile en 1921. Quelle est l’histoire du M.O. et quelles sont ses évolutions au sein de la gendarmerie ? Décryptage.

Les manifestations « loi travail », puis « gilets jaunes » ont cristallisé l’attention du grand public sur le concept de Maintien de l’ordre (M.O.), suscitant une certaine incompréhension, voire une réprobation, liées à la complexité inhérente à cette notion : concilier la liberté de manifester et faire respecter l’ordre public. Au vu des dernières contestations, ces deux principes peuvent paraître antinomiques. Ils sont pourtant les fondements même de « l’instruction du maintien de l’ordre », un texte édité et approuvé en 1930 par le directeur de la gendarmerie de l’époque, le général de brigade Louis Bucheton.

Ce dogme trouve son origine dans l’histoire funeste et sanglante de nombreux mouvements sociaux français. Comme dans tous les autres pays, la tâche du maintien de l’ordre incombe, avant 1921, à l’armée. Seules Paris et quelques grandes métropoles disposent de forces dédiées au M.O., elles-mêmes régulièrement renforcées par des régiments d’infanterie.

« Leur métier étant la guerre, lorsqu’ils se retrouvaient en difficulté, ils réagissaient comme des gens dont la profession est le combat », résume le colonel Bernard Rouchouse, commandant du département rétablissement de l’ordre au CNEFG (Centre National d’Entraînement des Forces de Gendarmerie). « D’où des drames, comme celui de Fourmies en 1891, lors des répressions des grèves dans les bassins houillers », qui feront neuf morts et 35 blessés.

En 1907, lors de la révolte des vignerons du Languedoc, l’armée tire de nouveau sur la foule pour dégager un inspecteur de police pris à partie par les manifestants. Bilan : cinq morts. Cette fusillade conduit le 17e régiment d’infanterie de ligne à se mutiner. La raison ? Le recrutement des forces armées était encore très local. « Les réservistes et conscrits se sont donc retrouvés face à leur famille et à leurs amis. »

Pour se substituer à l’emploi de l’armée et aux risques de fraternisation ou de violence excessive intrinsèques, un corps spécialement dédié au M.O., la garde républicaine mobile, qui deviendra plus tard la Gendarmerie mobile (G.M.), est mis sur pied sous le gouvernement d’Aristide Briand, en 1921. « La France devient alors l’un des premiers pays au monde à se doter d’unités spécialisées dans la gestion des troubles. »

Le principe de distanciation

La naissance de ces unités spécialisées s’accompagne de la mise en place d’une doctrine pour gérer les troubles. La conceptualisation de ce qui sera appelé plus tard le maintien de l’ordre à la française, « qui reste, malgré tout, une référence sur le plan international », s’appuie sur la stratégie de la distanciation avec l’adversaire. « Le but des officiers de gendarmerie qui se penchent alors sur le sujet est de créer et de maintenir un espace entre les forces de l’ordre et les manifestants, afin d’éviter les contacts, qui sont générateurs de risques », décrypte le colonel Rouchouse.

Si le principe de la distanciation avec l’adversaire est resté le credo dans la doctrine du M.O. de la gendarmerie mobile, cette dernière n’a cessé d’évoluer au fil des années. « À la suite des événements de mai 68, un moment fort d’engagement en rétablissement de l’ordre, insiste l’officier. Nous avons tiré un certain nombre d’enseignements, dont le premier était la nécessité de la formation. » Cette conclusion conduira, un an plus tard, à la création du CNEFG.

La fondation du centre intervient comme une rupture dans l’histoire de la gendarmerie mobile. Il permet désormais aux « moblots » de se « préparer à l’ensemble de leur spectre d’engagement », de la zone urbaine à l’environnement rural, en passant par l’outre-mer et même les opérations extérieures. « Il sert aussi de centre d’expérimentation de nouvelles techniques et tactiques. »

La mobilité, nouvel enjeu du rétablissement de l’ordre

Le CNEFG est ainsi devenu le catalyseur des retours d’expérience du terrain, ainsi qu’un laboratoire d’essais. Petit à petit, il a permis à la mobile de se métamorphoser, aussi bien au niveau de son articulation que de ses équipements et de ses modes d’action, liés, par essence, à l’évolution de ceux des contestataires. « Avant, nous étions davantage sur des confrontations de masse, où une foule de manifestants tentait de percer le dispositif des Forces de l’ordre (F.O.). »

Mais au milieu de la dernière décennie, ce modèle se renverse. Désormais, les gendarmes voient se glisser dans les cortèges de petits groupes d’individus type « blacks blocs ». Si le phénomène n’a rien de nouveau, le mode d’action utilisé est, en revanche, inédit. Ces derniers viennent harceler les forces de l’ordre « grâce à des projectiles, sans jamais chercher la confrontation physique directe et en restant toujours à distance, précise le colonel Rouchouse. Ces mêmes tactiques sont également utilisées par les zadistes ou lors d’interventions dans les cités sensibles. »

Pour cet officier expérimenté, ce n’est pas tant le niveau de violence de ces groupuscules qui pose problème. « À mon sens, les mineurs et les sidérurgistes n’étaient pas moins brutaux que les blacks blocs aujourd’hui. » Les gendarmes doivent d’ailleurs affronter des adversaires bien plus acharnés, notamment en outre-mer, où « ces derniers n’hésiteront pas à faire usage d’armes à feu. »

En réalité, c’est justement la tactique employée par ces conventicules, alliant rapidité et extrême mobilité, qui déroute les militaires. En face, les militaires opposaient un bloc solide, « digne d’une manœuvre d’infanterie de ligne », mais « pas suffisamment agile » face à ce type d’adversaire.

Il faut trouver un juste équilibre entre protection et mobilité, éternel débat jamais tranché entre la flèche et le bouclier »

Cette même problématique a été rencontrée par les légions romaines, au IIIe siècle de notre ère. Leur masse, qui était leur point fort, est devenue leur principale faiblesse : trop lourdes et donc trop lentes, leur impuissance est devenue criante face à des ennemis mobiles, pratiquant la guérilla et refusant le plus longtemps possible la bataille rangée en terrain découvert. Cette stratégie est aujourd’hui appliquée par les adversaires de la gendarmerie mobile, et Romains comme gendarmes ont trouvé une réponse similaire : répliquer à la mobilité par la mobilité. « Il est apparu fondamental de disposer d’une capacité de manœuvre, afin de conserver ou de reprendre l’initiative, en agissant, au besoin, dans la profondeur du dispositif adverse, afin de le désorganiser, voire de le neutraliser. »

Dans ce cadre, à l’occasion du mouvement des « gilets jaunes », la gendarmerie a testé et mis en place un Peloton motorisé d’interception et d’interpellation (PM2I), peloton d’intervention de la garde républicaine embarqué sur des motocyclettes. Cela complète les réflexions en cours sur l’articulation et l’emploi des pelotons d’intervention, destinés à gagner en fulgurance et en mobilité, critères nécessaires à la conduite d’actions dans la profondeur.

Mais pour cela, « il faut trouver un juste équilibre entre protection et mobilité, éternel débat jamais tranché entre la flèche et le bouclier », conclut le colonel Rouchouse. Si au fil des années, les missions de maintien et de rétablissement de l’ordre sont en perpétuelle évolution, elles n’en restent pas moins toujours effectuées sous l’égide de trois principes cardinaux, qui régissent l’emploi de la force : l’absolue nécessité, la proportionnalité et la gradation. Car le but ultime d’une manœuvre de rétablissement de l’ordre est de ne pas générer un trouble plus grand que celui qui est traité.

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