« Les protecteurs » : une histoire de la gendarmerie par les gendarmes

  • Par le commandant Céline Morin
  • Publié le 22 octobre 2019
© Sirpa Gend – GND F. Garcia

Marie-Christine Dupuis-Danon et Alain Bauer se confient sur la naissance et la gestation du deuxième opus de leur trilogie et ouvrent aux lecteurs les coulisses de leur collaboration. « Les protecteurs : la gendarmerie nationale racontée de l’Intérieur », publié aux Éditions Odile Jacob, sort aujourd’hui en librairie.

Après « les guetteurs », vous avez reformé votre binôme pour donner naissance à un nouvel ouvrage, cette fois dédié à la gendarmerie. Comment est né ce projet et dans quel esprit l’avez vous conduit ?

Alain Bauer : Il s’agit en fait du deuxième volet d’une trilogie. Le premier tome, « les guetteurs », portait sur la réforme du renseignement, à laquelle j’ai participé conceptuellement en 1988. J’étais alors une « petite main » au sein du cabinet de Michel Rocard, quand la question de revisiter le renseignement s’est posée. Trente ans plus tard, je me suis dit qu’il serait intéressant de revisiter ce processus finalisé en 2012-2015, avec tous ceux qui y avaient participé, sous le regard « entre deux » qui était le mien, puisque je suis à la fois le questionneur mais aussi le vérificateur pour avoir été à l’intérieur.

La gendarmerie s’est imposée pour ce deuxième opus, parce que cela faisait dix ans qu’elle était entrée au ministère de l’Intérieur, un processus dont j’ai également été acteur auprès du ministre de l’Intérieur de l’époque, pour avoir à la fois largement défendu le fait que la gendarmerie rejoigne le ministère de l’Intérieur et le fait qu’elle ne disparaisse pas dans ce processus. Car si j’ai un esprit de mutualisation, d’harmonisation, d’intégration parfois, je pense qu’il était indispensable de garder une culture de la gendarmerie pour des raisons très particulières, comme les opérations extérieures, la prévôté militaire, le maintien de l’ordre aussi, mais aussi pour des raisons liées au libre choix laissé aux magistrats en matière judiciaire, sur les logiques de développement territorial… Une fois encore, dix ans après, cela m’intéressait de voir l’évolution de ce process avec ceux qui l’avaient vécu, même légèrement en amont… Nous aurions aimé commencer au début des années 1990, mais malheureusement l’un des directeurs généraux nous avait quittés. C’est donc avec Patrice Maynial que nous lançons ces entretiens.

Il était également intéressant, d’un point de vue culturel, de voir cette évolution entre des directeurs généraux de la gendarmerie magistrat, préfets, puis gendarmes.

Nous retraçons donc un quart de siècle d’histoire de la gendarmerie, dans sa diversité, face à ses inquiétudes et à ses enjeux, avec sa capacité de passer d’un climat de crainte à l’idée d’intégrer le ministère de l’Intérieur à une gendarmerie dominante et sûre d’elle.

La première partie de l’ouvrage, pour laquelle vous vous êtes adossés sur l’expertise du colonel Laurent Vidal, de la délégation au patrimoine, traite du volet historique. On aurait pu penser que tout avait été dit à ce sujet, pourtant vous parlez d’une histoire revisitée… Qu’apprend-on de nouveau ?

Alain Bauer : Avant d’entreprendre toute chose, j’aime à me replonger dans une histoire. Or la naissance de la gendarmerie était déjà un mystère en soi. C’est la plus longue gestation de l’histoire, puisqu’elle s’étalait de 1190 à 1339, tout le monde revendiquant une date… C’est quand même compliqué de commencer une histoire sans un début. Il nous fallait donc un acte de naissance de l’institution. Nous l’avons trouvé, grâce au précieux travail d’enquêteur historique du colonel Laurent Vidal, sous la forme d’une fiche de paye, ou plutôt d’un reçu de paiement d’équipements et de ravitaillement de gendarmes en 1339. Nous avons décidé, faute de mieux, mais au moins avec un document formel, d’établir un acte de naissance techniquement viable de la gendarmerie à cette époque.

Puis, de fil en aiguille, Laurent Vidal ayant produit un remarquable travail, au lieu de nous limiter aux origines de l’Institution, nous avons décidé d’entrer dans un process plus complet et plus détaillé, sans toutefois en faire un livre d’histoire de la gendarmerie. Ce volet contemporain nous a ainsi permis de revivre un certain nombre de périodes et d’évolutions dans de nombreux domaines, que ce soit le maintien de l’ordre, les affaires judiciaires, les nouvelles technologies, l’entrée dans l’ère du 2.0, la prise en compte des crimes de guerre et des crimes contre l'Humanité, les grands offices centraux… Un vrai panorama, rarement proposé dans un ouvrage historique et scientifique, qui offre une image nouvelle de l’institution, loin de celle du gendarme de Saint-Tropez.

C’est un livre sur la gendarmerie, une histoire à la fois intime, intérieure et revisitée… Nous avons d’ailleurs cherché le bon titre jusqu’à celui-là !

© Sirpa Gend – GND F. Garcia

Pour raconter la gendarmerie d’hier et d’aujourd’hui, vous vous êtes appuyés sur les témoignages de neuf anciens directeurs généraux, chacun apportant sa vision, son vécu de la gendarmerie de façon très personnelle, sans éviter les écueils…

Alain Bauer : Avec Marie-Christine, nous fonctionnons selon une règle assez simple : ce n’est pas notre livre, mais celui de ceux et celles qui nous en parlent. Nous sommes des accoucheurs, des assistants de production d’une vérité ou de vérités.

Nous avons rencontré chacun de nos interlocuteurs dans l’ordre chronologique, et afin que l’histoire soit partagée et cohérente, nous leur avons posé de manière systémique les trois mêmes questions, autour desquelles nous avons essayé de conserver un cheminement. Aucun d’entre eux ne s’est rencontré au cours du processus, aucun d’entre eux n’a vu ce que l’autre a écrit. Ils ont découvert l’ensemble dans le produit fini. Pourtant, on peut noter une certaine cohérence. Le fil rouge, ce sont ces trois questions : comment êtes-vous arrivés à ce poste ? Quels sont les temps forts et quel bilan tirez-vous de votre mandat ? Et la troisième question, celle où la prudence a été la plus grande et le contrôle le plus absolu, qu’est ce que vous feriez si aujourd’hui on vous proposait d’y revenir ?

Pour la plupart d’entre eux, particulièrement les non-gendarmes, ce poste « leur est tombé dessus ». C’est absolument fascinant, parce qu’on a toujours l’impression qu’il y a des processus de carrière bien structurés, ce qui est davantage vrai à l’intérieur de la maison gendarmerie. On trouve, dans leurs récits, ce côté rafraîchissant et personnel de la découverte de l'outil, son appréciation, la prise en compte des difficultés. Car ils ne cachent pas qu’il y a eu des difficultés, des enjeux, des crises, et chacun raconte la manière dont il a essayé de les gérer. Et finalement, tous regrettent de ne pas avoir pu finir ce qu’ils avaient commencé, de ne pas être resté plus longtemps. Regretter de quitter une fonction, un milieu où on est arrivé un peu par hasard, est à mon sens très positif pour l’institution.

Chacun raconte aussi les sauts technologiques, les cruautés des affaires… On n’évite évidemment pas l’épisode des femmes de gendarmes, l’affaire Grégory, les paillotes… Les bons comme les mauvais côtés sont évoqués, sans censure, à la différence du sujet précédent, où nous avions dû supprimer quelques anecdotes classifiées…

Marie-Christine Dupuis-Danon : Avec les protecteurs comme avec les guetteurs, la confiance est l’élément central de notre démarche. Cette confiance suppose aussi que l’on explique la vocation et l’envie de ce projet, qui est de faire partager, au-delà du cercle des lecteurs ou des connaisseurs classiques de la gendarmerie, du milieu du renseignement, du milieu de la sécurité défense, l’exigence des missions, la grande valeur de ceux qui les incarnent et qui les assument et la culture de toutes ces institutions complémentaires qui font que la République française est en capacité d’assumer son rang, sa place : la sécurité des Français. Nous avons réussi à installer cette confiance au cœur de nos entretiens, notamment parce que notre feuille de route était claire : expliquer leur mission en tant que directeur général, ce qu’ils ont voulu faire, les défis qui se sont présentés à eux. Ils ont relu et retravaillé le texte avec nous. Nous nous sommes ensuite engagés dans un dialogue, parfois rapide, parfois plus approfondi, parce qu’il fallait trouver les mots justes qui reflètent toute cette complexité.

Un directeur général, c’est quelqu’un qui a une histoire professionnelle, mais aussi une histoire personnelle. Un homme qui vient avec sa culture familiale, avec son expérience de vie, avec tout ce qui l’a conduit à ce moment où il prend la responsabilité de diriger cette formidable Institution. Il nous a paru important et éclairant, et humainement enrichissant, de faire partager les parcours, les visions, les cultures, les engagements de chacun d’eux, qui encore une fois nous ont fait l’immense privilège et la grande confiance de se livrer.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au cours de ces entretiens ?

Alain Bauer : Je dirais les différents styles de nos interlocuteurs. Certains un peu rugueux, et ce n’est pas toujours ceux auxquels on pourrait penser. D’autres volubiles, qui ont d’ailleurs donné lieu à des parties beaucoup plus longues que d’autres, comme celle du général Mignaux, dont on sent qu’il avait une histoire assez longue à raconter.

Ce que je retiens aussi, c’est que tous, qu’ils soient préfets, magistrats ou gendarmes, ont été fiers d’avoir exercé la fonction de directeur général de la gendarmerie.

Marie-Christine Dupuis-Danon : Il en ressort aussi tout simplement une fierté d’être gendarme. C’est un sentiment très présent au sein de cette institution, plus que dans beaucoup d’autres corps.

Ce qui m’a également frappé, c’est que ce sont des directeurs généraux, avec des fonctions lourdes et éminentes, mais ce sont aussi des hommes avec leur histoire, leur parcours, leurs origines familiales, leurs envies. Au gré des éléments autobiographiques qu’ils nous ont livrés, on voit l’homme derrière le rôle et la fonction. C’est loin d’être anecdotique, car cela explique aussi leur sensibilité pour certains sujets et certains aspects de leur mission, et au final la tonalité qu’ils ont donnée à leur mandat.

Des notions sont récurrentes dans ces témoignages, notamment l’adaptation, la modernisation de la gendarmerie, l’esprit de corps…

Marie-Christine Dupuis-Danon : Il y a deux fils rouges dans ces entretiens. Le premier, c’est la culture et les valeurs qui font l’esprit de corps. C’est être gendarme avant tout. Gendarme avant le grade, avant la fonction. Gendarme dans son engagement et gendarme dans la manière d’incarner la tête d’une force aussi ancienne et aussi importante. On voit bien à quel point ces sept siècles d’histoire s’enrichissent du maillage territorial, de la proximité avec les Français, pour former cette culture tout à fait particulière que nos interlocuteurs incarnent en tant que directeurs généraux.

Mais avant tout, la gendarmerie reste une organisation, au sens social du terme, de 100 000 femmes et hommes, auxquels s'ajoutent plus de 30 000 volontaires, qui doit s’inventer et se réinventer dans un cadre sociétal et institutionnel qui a considérablement évolué au cours des 25 ans que couvrent nos entretiens, mais encore plus au cours des dix dernières années. Il y a eu une accumulation de défis à relever, certains propres à la mission et d’autres propres à l’environnement.

© Sirpa Gend – GND F. Garcia

L’élaboration de cet ouvrage vous a-t-elle permis de découvrir ou de redécouvrir certaines facettes de la gendarmerie ?

Alain Bauer : Quand on fait un livre, on ne sait rien, sinon on ne le fait pas. Ce que l’on sait nous permet juste de recadrer le sujet et de poser des questions détaillées et plus précises, mais on reste dans le questionnement, nous ne sommes pas dans une démarche de confrontation de notre savoir par rapport à un autre. Donc on peut dire que nous avons tout redécouvert.

Nous avons surtout découvert des individus. J’ai eu la chance de travailler avec tous les directeurs généraux que nous avons interviewés, mais ces échanges, hors de tout cadre ou process institutionnel, m’a permis de les redécouvrir de manière très différente. C’est pour cela que nous avons hésité avec l’histoire intime, parce qu’il y a un côté très intime dans ces échanges.

Marie-Christine Dupuis-Danon : J’avais plutôt côtoyé les gendarmes dans le cadre d’échanges sur des sujets de fond. La réalisation de cet ouvrage m’a permis d’enrichir cette connaissance, d’incarner les différentes missions de l’Institution et de constater à quel point son champ d’intervention est vaste. Aujourd’hui, je vis en ambassade, où je croise des gendarmes au quotidien, dans un autre contexte. Ce sont à chaque fois des rencontres humaines formidables, dont le point commun est ce socle de valeurs qui fondent l’engagement du gendarme. Et c’est sûrement ce que le lecteur retiendra.

Aujourd’hui, au regard de tous vos entretiens et de ce que vous avez appris, si vous deviez décrire brièvement l’Institution, que diriez-vous ?

Alain Bauer : Je pense que c’est une institution qui a cessé de s’inquiéter pour son avenir et qui est probablement la mieux préparée à affronter des temps difficiles, parce qu’elle a quitté la dimension binaire pour entrer dans le numérique, parce qu’elle agit, y compris récemment, de manière virtuelle, et parce qu’en fin de compte elle a atteint une certaine plénitude et a cessé de s’arc-bouter, de se recroqueviller, de se rétracter pour aller résolument de l’avant… On le sent dans les témoignages recueillis, mais surtout dans le climat général.

Je ne sais pas si la crainte d’une disparition a provoqué ce sursaut incroyable auquel on assiste de temps en temps dans les grandes batailles militaires, ce que j’appelle le syndrome du « village gaulois », mais j’ai vraiment senti qu’en dix ans, la crainte et le pessimisme liés à l’intégration au ministère de l’Intérieur s’étaient dissipés. Plus encore, la gendarmerie est passée de l’inquiétude au soulagement, portée par une vraie dynamique. Elle porte ainsi des projets innovants sur l’ensemble de son spectre d’action : Neogend, les évolutions technologiques, les drones, mais aussi la formation permanente, ou encore la gestion des doctorants, des sujets que la gendarmerie a pris à bras-le-corps depuis longtemps.

Marie-Christine Dupuis-Danon : Ce que je retiens, c’est vraiment l’ancrage de la gendarmerie dans son histoire, dans sa culture, dans sa militarité, et forte de ça, cette capacité à aller au contact, à faire face, à se déployer, à innover, à s’emparer des nouveaux sujets. C’est très frappant. Pour résumer en une formule, c’est pour moi des racines et des ailes. Les racines de son histoire, de ses valeurs et les ailes formées par ce déploiement de savoir-faire, de compétences, de l’énergie de ces hommes, de la force humaine et de l’innovation.

Vous nous avez annoncé un troisième volet. De quoi traitera-t-il ?

Alain Bauer : Le troisième volet, qui sortira dans un ou deux ans, portera sur la création de la DCRI-DGSI, là encore avec une gestation qui s’étend de 2012-2022. Nous procéderons de la même manière, en nous entretenant avec tous les acteurs, à la différence près qu’il y aura un ancien président de la République, d’anciens ministres, notamment de l’Intérieur… Et là encore, avec mon statut hybride, puisque c’est sur la base du rapport de 1988 que l’on voit apparaître une DGSI en 2012-2014.

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