Les incorrigibles, un roman édifiant sur l’enfer du bagne

  • Par Antoine Faure
  • Publié le 29 juillet 2022

Cet été, que diriez-vous d’embarquer sur un cargo de la Compagnie générale transatlantique, avec le lieutenant de gendarmerie Léon Cognard, en direction de Cayenne et de son bagne ? C’est le voyage, éprouvant mais passionnant, que propose Patrice Quélard, lauréat en 2021 du prix du roman de la gendarmerie, dans son nouveau livre : Les Incorrigibles.

Le 2 mars 2021, dans le train qui le conduit de Paris à Saint-Nazaire, quelques heures seulement après avoir reçu le prix du roman de la gendarmerie pour son livre Place aux Immortels, Patrice Quélard se plonge dans la lecture d’Au bagne, reportage d’Albert Londres, réalisé en 1923 pour le compte du journal le Petit Parisien. « Je n’avais pas prévu d’écrire une suite à Place aux Immortels, assure-t-il, mais le texte de Londres a agi comme un déclic. Ça se passe à peu près à la même époque, et il se trouve que, par le plus grand des hasards, à la fin de Place aux Immortels, mon héros, Léon Cognard, partait de Saint-Nazaire pour l’Amérique du Sud, en prenant la ligne transatlantique. »

Beaucoup de moi en lui

« J’avais créé le personnage de Léon Cognard en songeant aux gendarmes qui avaient refusé de prendre part aux expulsions des congrégations, par conviction religieuse, ou, comme lui, par conviction humaniste (voir Place aux Immortels, NDLR), explique Patrice Quélard. Ce sont les gendarmes eux-mêmes qui m’ont incité à lui redonner vie dans une nouvelle aventure. Lors de la remise du prix du roman de la gendarmerie, j’ai en effet croisé plusieurs officiers qui m’ont dit : “On a adoré ce personnage, on a envie de le revoir !” Et je me suis rendu compte que, moi aussi, j’avais envie de le revoir. » Ou plutôt de le réécrire.

Une fois terminée la lecture du reportage d’Albert Londres, Patrice Quélard décide donc que cette deuxième aventure aura pour décor Cayenne et son bagne. Il se met à éplucher de nombreux témoignages. « Comme beaucoup de monde, je ne connaissais guère que le roman Papillon et son adaptation au cinéma (avec Dustin Hoffman et Steve McQueen, NDLR). Or, j’ai besoin de m’appuyer sur de solides bases historiques pour pouvoir développer ensuite mon imaginaire. »

Ce souci du réalisme est effectivement l’une des qualités du roman, comme du précédent. Tout en suivant une intrigue riche, écrite avec une plume alerte et fluide, on apprend quantité de choses au fil de pages agrémentées d’anecdotes qui, loin d’être de simples digressions, enrichissent le récit. « J’ai un côté perfectionniste, avoue l’auteur. Je me documente beaucoup, en lisant notamment des thèses de doctorat. J’aime l’idée que mes livres soient aussi pour le lecteur une expérience d’immersion dans l’époque. »

Après l’horreur de la Grande guerre, voilà donc le lieutenant Léon Cognard confronté à un autre enfer, celui du bagne à Cayenne. Un monde de souffrance, de déchéance, d’humiliations, de tortures physiques et psychologiques, qu’on a peine à imaginer. Léon s’y rend avec en tête une idée fixe : améliorer le sort de Marcel Talhouarn, un « inco », pour incorrigible, c’est-à-dire un bagnard qui s’est plusieurs fois évadé, et qui se retrouve emprisonné à Charvein, le pire camp de Guyane. « Léon est un justicier jusqu’au boutiste, fort en gueule, sanguin, un peu tête brûlée diront certains. Il y a sans doute beaucoup de moi en lui, reconnaît son créateur. Il est obsessionnel, un peu autiste, avec une fâcheuse tendance à bloquer sur les défauts d’un visage. Bon, chez lui, c’est poussé à l’extrême, alors que moi, j’essaye de me contrôler ! »

La mission Harpie en prologue

Réaliste l’est aussi le prologue du roman, qui se déroule de nos jours en Guyane, où la gendarmerie lutte depuis de nombreuses années contre l’orpaillage illégal. « Ce prologue était important pour moi. Je voulais tisser un lien entre le passé et le présent et aussi donner un coup de chapeau aux gendarmes qui sont engagés là-bas, dans des conditions difficiles. Par l’intermédiaire du Service d’information et de relations publiques des armées-gendarmerie (SIRPA-G), j’ai pu contacter l’adjudant-chef David, actuellement affecté à la brigade motorisée de Louvres, dans le Val-d’Oise, qui a pris part à la mission Harpie en Guyane et avait écrit l’ouvrage Garimpeiros : la lutte contre l'orpaillage illégal racontée par un gendarme. Il a accepté de corriger les épreuves afin que le texte colle au plus près à la réalité. Il a été d’une très grande aide, notamment pour la description du camp des garimpeiros. »

Actuellement enseignant et directeur d’école à Saint-Nazaire, Patrice Quélard est devenu écrivain aux abords des rivages de la quarantaine, d’abord avec des albums illustrés pour la jeunesse, puis avec un premier roman intitulé Fratricide, qui se déroulait, déjà, pendant la première Guerre mondiale. « Très tôt, dès l’école primaire, j’ai eu des dispositions pour l’écriture. J’ai toujours écrit, mais j’ai longtemps repoussé la décision d’envoyer mes textes à des maisons d’édition. Ce premier roman a d’ailleurs mis beaucoup de temps à voir le jour. Le prix du roman de la gendarmerie pour Place aux Immortels m’a permis d’être édité dans une grande maison (les Éditions Plon, NDLR). »

Patrice écrit dès qu’il en a le temps, « car ça me permet de m’évader d’une réalité sociale que je côtoie au quotidien et qui est souvent dure », et lit aussi, beaucoup. « Un peu de tout, des essais, des romans, de la bande dessinée… En ce moment, je suis quand même très focalisé sur Albert Londres ! En l’espace d’un an, j’ai dû lire à peu près tout ce qu’il a écrit. C’était un visionnaire. » Il travaille actuellement sur un roman proche de l’autofiction, mais envisage déjà d’offrir au gendarme Cognard un dernier tour de piste, dans un troisième tome qui bouclerait une trilogie. « J’aimerais combler les trous de sa biographie, et peut-être aussi raconter sa vieillesse. Les héros sont souvent dans la force de l’âge. J’ai envie de l’imaginer à la fin de sa vie. » Une excellente nouvelle pour tous ceux qui ont aimé Place aux Immortels et Les Incorrigibles.

À noter :

Les incorrigibles aux Éditions Plon, 432 pages, 19 €.

 

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