[ Grandes Affaires Criminelles ] La tuerie du Grand-Bornand : l'affaire Flactif

  • Par la rédaction du site PJGN
  • Publié le 26 mars 2021, mis à jour le 13 juin 2023

Il y a tout juste 20 ans, Grégory, 7 ans, Laetitia, 9 ans, Sarah, 10 ans et leurs parents, Xavier Flactif et Graziella Ortolano ont été assassinés dans leur chalet au Grand-Bornand, en Haute-Savoie. Au début, personne ne pensait à un meurtre quand le fils de Graziella Ortolano, la compagne de Xavier Flactif, découvre le chalet de ses parents complètement vide ce 12 avril 2003. Une rumeur circule : la famille Flactif se serait enfuie à l'étranger, laissant tout derrière elle...

Grâce à des techniques de pointe, les experts de l'Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) ont réussi à établir que le chalet des Flactif a été méticuleusement rangé pour dissimuler des meurtres atroces. 

Retour sur cette affaire criminelle qui a défrayé la chronique, où comment l’étude des dents des victimes, l'analyse de l'ADN, les empreintes digitales, les traces de sang relevées, ont permis d’éclairer les circonstances de ce quintuple meurtre. 

 

"L’affaire Flactif dans l’émail du filet" Ou comment l’étude des dents des victimes et des traces de sang ont permis d’éclairer les circonstances du quintuple meurtre du Grand-Bornand en 2003. Cette affaire criminelle qui a défrayé la chronique à la suite de la disparition et des meurtres d'un promoteur immobilier nommé Xavier Flactif, de sa femme Graziella et de leurs trois enfants, est racontée par une équipe de journalistes de "les jours" en immersion au PJGN. Ils racontent de l'intérieur les plus grandes enquêtes sur des meurtres que la science aide à résoudre...

Nous avons tous une véritable carte d’identité en bouche. On peut identifier quelqu’un, même s’il n’a jamais reçu aucun soin dentaire, sur la base d’un panoramique ou d’une radio intrabuccale de deux ou trois dents... » nous dit posément Aimé Conigliaro, d’un air un rien mutin, quand il nous reçoit dans son bureau, lunettes rondes sur le nez et cravate aux tons violets impeccablement nouée autour du cou.

« La courbure de la racine des dents, la forme d’un canal radiculaire, la forme des sinus : tout cela permet de nous différencier», insiste-t-il, montrant un poster au fond bleu duquel se détache des photos en noir et blanc de rangées de ratiches enclavées dans une mâchoire. Il faut dire qu’à 63 ans l’expert en odontologie médico-légale, qui a rejoint l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) en 1997, a vu passer sous son microscope quantités d’émaux différents.

De toutes ses interventions, il se souvient particulièrement de celle effectuée en 2003 au Grand-Bornand, en Haute-Savoie.

Bref rappel des faits :

Cette année-là, le 12 avril, Mario, 14 ans, arrive en taxi pour passer quelques jours de vacances dans le luxueux chalet habité par sa mère, Graziella Ortolano, son beau-père, Xavier Flactif, et leurs enfants : Sarah, 10 ans, Laetitia, 9 ans, et Grégory, 6 ans. La maison est vide, parfaitement rangée, le réfrigérateur plein. Un repas est prêt. Au bout de quelques heures, inquiet de ne toujours voir arriver personne, il prévient les voisins, qui avertissent la gendarmerie.

Toutes les pistes sont alors envisagées : la fuite, l’accident, l’enlèvement ou le meurtre. Le 20 avril, huit scientifiques de l’IRCGN débarquent sur les lieux. Aimé Conigliaro est parmi eux. « Il y avait également avec moi des experts des traces de sang, de l’ADN et des empreintes digitales », se remémore-t-il. Bref, tout ce que le pôle forensique de la gendarmerie peut mettre à disposition lorsqu’une potentielle scène de crime doit être examinée.

Aimé Conigliaro, expert en odontologie médico-légale, a rejoint l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale en 1997 — Photo Florian Garcia Sirpa Gendarmerie - tous droits réservés

Après quelques heures de recherches, un technicien en identification criminelle, un TIC, présente à Aimé Conigliaro de petits éléments blancs qu’il a trouvés dans les interstices qui séparent les lattes du plancher. « Il me demande si ce sont des morceaux de dents. Leur texture et leur forme me font penser que ça peut effectivement être de l’émail dentaire », explique l’expert. Plus tard, de retour dans ses laboratoires, il examine les prélèvements et confirmera qu’il s’agit bien d’émail humain, provenant de dents de lait : « Au microscope électronique à balayage, l’émail humain a un maillage particulier, en forme de nid d’abeilles, différent de celui de tous les autres animaux », poursuit-il. Cette découverte, ajoutée à celle d’une douille de petit calibre et ainsi qu’à celle de traces de sang, soigneusement lavées mais visibles au révélateur Blue Star, permettent au parquet d’Annecy d’ouvrir une information judiciaire pour « enlèvement et séquestration ».

 

David Hotyat passe rapidement aux aveux et conduit les enquêteurs dans la forêt de Thônes, où il dit avoir incendié les cinq corps...

 

Les traces de sang prélevées sont analysées. Le 5 mai 2003, le procureur de la République révèle à la presse qu’elles contiennent les ADN des cinq membres de la famille Flactif ainsi que celui d’un inconnu. Commence alors une gigantesque campagne de prélèvements d’ADN (lire l’épisode 2, « L’affaire Kulik, un “cold case” craqué grâce à l’ADN »). Plus d’une centaine sont effectués, en commençant par l’entourage proche des Flactif. Début juillet, le sixième ADN est identifié : il désigne David Hotyat, voisin de la famille et locataire d’un de leurs chalets. Après l’avoir placé un moment sur écoute afin d’accumuler les éléments de preuve du quintuple meurtre dont ils le soupçonnent, les gendarmes interpellent le mécanicien et trois complices, le 16 septembre 2003. Dès les premières heures de sa garde à vue, l’homme passe aux aveux et conduit les enquêteurs dans la forêt de Thônes, à une dizaine de kilomètres du Grand-Bornand, où il dit avoir incendié les cinq corps.

Le chalet de la famille Flactif au Grand-Bornand, en Haute-Savoie, lors des investigations des gendarmes en avril 2003 — Photo Pascal Fayolle/Sipa.

Aimé Conigliaro se rend de nouveau sur place avec plusieurs de ses collègues. Les gendarmes espèrent trouver des preuves de la présence des parents et de leurs trois enfants sur les lieux, mais il ne reste quasiment rien des cadavres calcinés. Les dents sont les parties les plus dures du corps humain et les moins susceptibles, avec les os, d’être parties en fumée. « Nous avons délimité des petits carrés de 20 centimètres de côté dans le foyer de crémation. À chaque carré était associée une équipe qui y enlevait les gros éléments puis tamisait ce qui restait, explique l’expert. L’endroit était très escarpé et il avait beaucoup plu depuis le mois d’avril. L’eau avait ruisselé et nous pensions qu’elle avait pu emmener avec elle ce que nous recherchions. Alors nous avons décidé d’investiguer aussi les contrebas du foyer. » Ils retrouveront, de fait, des ossements et des morceaux de dents dans de grosses canalisations d’eau situées à distance de l’incendie originel. « Nous avons travaillé quatre à cinq jours sur place, mis les prélèvements sous scellés avant de les examiner au labo », décrit Aimé Conigliaro. Un travail très méthodique dont le but principal est d’identifier les victimes et de confirmer que leurs corps ont tous été éliminés par le feu. Revenu à l’IRCGN, l’équipe du département « médecine légale et odontologie » isole et comptabilise tous les morceaux de dents avant d’essayer de les faire coïncider les uns avec les autres. Un puzzle monocolore en 3D. « Une fois les dents reconstituées, pour celles en tout cas qui étaient en morceaux, nous avons pu identifier s’il s’agissait de molaires, d’incisives ou de canines. Voir lesquelles avaient fait l’objet de soins dentaires. Et définir également le degré d’évolution de leurs racines », détaille le presque retraité.

Nous avons retrouvé dans le foyer et les canalisations des éléments prothétiques des deux parents, ce qui nous a permis de les identifier. Aimé Conigliaro, expert en odontologie médico-légale de la gendarmerie

En amont de ce travail, Aimé Conigliaro a en effet contacté les dentistes des Flactif. Et leur a réclamé toutes les données nécessaires à son analyse. « Je demande les schémas dentaires, les radios, des informations sur la présence de prothèses : appareil dentaire en résine, couronnes, bridges… », précise-t-il.

Le panoramique dentaire permet à l'odontologie de procéder à l'identification comparative. 

Une radio panoramique dentaire est un cliché radiographique qui permet d’avoir une vue de l’ensemble de la denture en un seul cliché. Cet examen permet d’observer les arcades dentaires, les mâchoires supérieure et inférieure, les sinus maxillaires et les fosses nasales.

Lorsque les dentistes ont un modèle en plâtre de la denture de leurs patients, c’est pour lui la panacée. « Nous avons retrouvé dans le foyer et les canalisations des éléments prothétiques des deux parents, ce qui nous a permis de les identifier, retrace l’expert. Mais nous n’avions obtenu aucune information sur la dentition des enfants. » Alors il lui a fallu associer un âge aux dents reconstituées pour les attribuer à chacun des trois enfants. Plusieurs schémas décrivant l’évolution au cours du temps des éruptions dentaires, la position des dents définitives et celle des dents de lait en fonction de l’âge lui permettent de faire cette évaluation. Grâce notamment à la représentation établie en 1941 par Isaac Schour et Maury Massler, anciens chercheurs de l’université de l’Illinois à Chicago, pionniers dans les sciences odontologiques. Un schéma qui décline, en jaune et bleu, l’évolution de la dentition humaine entre 5 mois in utero et 35 ans. Car Aimé Conigliaro l’affirme au journaliste surpris qui lui fait face : non, il n’y a pas de grande variabilité entre individus sur ce point.

« Une fois que j’ai rédigé mon rapport et que je l’ai envoyé à l’enquêteur, mon travail est fini », explique l’expert. « Je ne me replonge dans l’affaire que lorsque je reçois une convocation pour aller déposer aux assises. J’y présente les principaux éléments de mon expertise. » Dans l’affaire Flactif, Aimé Conigliaro a projeté une présentation Powerpoint dans laquelle les photos de chacune des dents retrouvées ou reconstituées étaient affichées. « Seul l’avocat général m’a posé une question, qui concernait les très petits morceaux de dents retrouvés dans les rainures du parquet du chalet. Il voulait savoir si cet émiettement pouvait être la conséquence d’une pathologie dentaire. Ou le résultat de coups violents assénés aux victimes. » La réponse de l’expert est retranscrite stricto sensu dans un article du Monde de l’époque, écrit par Pascale Robert-Diard : «Les fractures retrouvées sur les dents postérieures, dont des dents lactéales, ne peuvent s’expliquer que par un ou plusieurs énormes coups portés par un objet contondant. »

 

David Hotyat dit avoir tué Xavier Flactif avant d’abattre Graziella Ortolano et les enfants. Les expertises d’Aimé Conigliaro contrediront cette version

 

L’information n’a rien d’anodine. Elle va, avec d’autres éléments, permettre aux jurés de se faire un avis sur le déroulement du quintuple meurtre. Lors de ses aveux, en septembre 2003, David Hotyat avait en effet confié avoir tué Xavier Flactif, promoteur immobilier aux combines douteuses, en lui tirant accidentellement une balle dans la tête, avant d’abattre Graziella Ortolano et ses enfants pour faire disparaître les témoins du premier homicide. Les expertises d’Aimé Conigliaro et de ses collègues spécialisés en balistique et en analyse de traces de sang, ainsi que l’étude des emplois du temps des membres de la famille, contrediront cette version.

 

David Hotyat après son arrestation par les gendarmes en 2003 — Photo Le Dauphiné libéré/PhotoPQR/MaxPPP.

Les faits se seraient en réalité passés ainsi : lorsque David Hotyat est arrivé, armé, dans le chalet du Grand-Bornand, il a d’abord tué les trois enfants, la forme des taches de sang retrouvées sur un mur étant caractéristique de coups portés par un objet contondant ou de coups de poing sur des visages ensanglantés. Graziella Ortolano a ensuite été assassinée en entrant dans le chalet, une heure plus tard, d’autres traces de sang évoquant également l’existence de coups portés. Arrivé le dernier, Xavier Flactif a enfin été abattu. À l’issue du procès d’assises, David Hotyat est condamné à la perpétuité, avec une peine de sûreté de dix ans. Sa compagne, qui a très vite avoué l’avoir aidé à nettoyer de fond en comble le lieu du crime, écope de dix ans de prison ferme. Un couple d’amis lui ayant prêté main forte pour déplacer les corps, entre de sept et dix ans. La cupidité, la jalousie et la haine envers une famille mal-aimée dans la petite ville auraient été à l’origine de ces meurtres.

 

Aimé Conigliaro est intervenu sur le meurtre de Maëlys, 8 ans, le 27 août 2017. Il n’en dit pas un mot, l’évocation des affaires en cours est proscrit...

 

Dans son bureau du Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale, à Pontoise, Aimé Conigliaro fait une pause. Il propose un café. Deux de ses collègues passent dans le couloir. Ils chambrent le doyen de la maison, celui qui en connaît tous les arcanes. Sur le mur à sa droite, des photos de groupe témoignent de moments de partage avec les équipes de l’IRCGN. Et des badges à son nom, pendus à des punaises, lui remémorent ses participations annuelles au congrès de l’American Academy of Forensic Sciences. Il y a de la fierté dans les yeux de celui qui a commencé sa carrière un CAP de prothésiste dentaire en poche. Récemment intervenu sur le meurtre de Maëlys, 8 ans, le 27 août 2017 – Nordahl Lelandais est mis en examen dans ce dossier –, il n’en dit pas un mot, l’évocation des affaires en cours étant proscrit. Mais à l’évocation du crime, un voile pudique brouille un instant son regard. Derrière son apparente bonhomie, Aimé Conigliaro a vu défiler depuis vingt-trois ans tant d’histoires sordides.

 

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Lire aussi :

> Affaire Flactif racontée dans le Parisien Weekend par les experts de l'IRCGN, à travers les indices recueillis sur la scène de crime

 

> Affaire Flactif, la preuve par le sang (documentaire vidéo tourné au PJGN  via youtube) :

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