Mayotte : le système de cartographie de crise de la gendarmerie, un outil mobile et autonome
- Par Le capitaine Tristan MAYSOUNAVE et Hélène THIN
- Publié le 31 décembre 2025
Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido dévastait le département de Mayotte. Sur ce territoire, où tout est à reconstruire, des gendarmes quadrillent le ciel à bord d’un hélicoptère équipé d’un Système de cartographie de crise (SC2). Une équipe de GendInfo a rencontré le chef d’escadron Jean-Christophe Grosse, affecté au Centre national des opérations (CNO) de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN). Actuellement projeté à Mayotte, il est le référent national du SC2 pour l'ensemble de la gendarmerie.
Mon commandant, en quoi consiste le Système de cartographie de crise (SC2) ?
Le Système de cartographie de crise a été conçu par des officiers du Centre de planification et de gestion de crises (CPGC), unité antérieure au Centre national des opérations (CNO). L’idée a germé en 2013, les premiers travaux de conception ont débuté en 2014, et les premiers essais ont été lancés en 2015, quelques mois après le crash de l'A320 de la Germanwings, qui a confirmé le besoin. Développé en coopération avec une petite PME de l’Hérault, cet outil unique en France a été déployé par la gendarmerie nationale à partir de 2016. La première mission de certification en outre-mer a été réalisée à Mayotte.
Utilisé sur un théâtre de crise, cet outil permet aux militaires de produire une cartographie actualisée, intégrant les modifications provoquées sur l’environnement par un événement d’origine naturelle ou humaine. Le résultat ainsi obtenu est proche de celui de l'imagerie satellitaire, mais les délais de réalisation sont beaucoup plus restreints.
Transportable depuis Paris par voie aérienne, ce système autonome est employable partout dans le monde. Il est ainsi régulièrement projeté en Outre-mer, dans différentes situations de crise. Embarqué sur hélicoptère, l’équipement comprend un pod, doté d’une caméra et d’une unité centrale, que nous venons fixer sur le bras multifonctions de l’appareil (EC135 ou EC145). Composée d’un ordinateur très puissant, la chaîne de traitement nous permet ensuite d'exploiter et de transformer la donnée pour produire une carte. L’imprimante rend possible l’édition de cartes à grande échelle et à gros volume, en fonction des besoins exprimés par le commandement.
Performant, mobile et autonome, ce système constitue un appui pour le commandement opérationnel local, grâce à l’apport de données et de cartographies actualisées, essentielles à la conduite de la manœuvre.
Quelle est, et quelle sera, l’utilisation des cartographies ainsi produites ici, à Mayotte ?
La cartographie permet de mesurer l’étendue des dégâts, quel que soit le type d’habitat (illégal ou en dur), pour pouvoir guider l’intervention des services de l’État. La cartographie est également utilisée afin de rechercher d'éventuelles tombes à proximité des habitations.
D’ici quelques semaines, elle permettra également d’estimer l’avancement de la reconstruction de l’archipel, particulièrement en ce qui concerne l’habitation illégale. Elle pourra aussi, en temps voulu, être utilisée à des fins judiciaires.
Pourriez-vous expliquer la méthode de programmation et d’acquisition des images aériennes ?
La zone et l’altitude de survol sont programmées à partir d’un logiciel d’information géographique libre et gratuit, nommée « QGIS ». L’altitude de vol a une incidence directe sur la résolution de l’image. Plus l’hélicoptère vole bas, meilleure est la résolution. Les détails sont ainsi plus précis, mais la superficie couverte également plus restreinte. A contrario, plus l’appareil vole haut, plus la superficie couverte est large. Quand l’hélicoptère vole à haute altitude, moins de quatre heures sont nécessaires pour cartographier 200 km². L’altitude est donc déterminée en fonction de l’objectif de la mission.
La stratégie globale d’acquisition des images est définie en collaboration avec le Commandement de la gendarmerie de Mayotte (COMGENDYT) ; le système de cartographie de crise étant un outil d’aide à la décision mis à sa disposition. Pour l’heure, nos missions se concentrent principalement dans les zones constituées d’habitations illégales.
Une fois les images collectées, une heure est nécessaire afin de procéder au traitement des données et à l’édition de la carte. Le délai de production est donc très court. Si l’analyse des images est actuellement réalisée à l’œil nu, l’intégration future de l’Intelligence artificielle (I.A.) pourrait constituer une aide certaine, notamment en matière de reconnaissance. L’I.A. en cartographie en est encore à ses balbutiements, mais elle devrait fortement se développer dans les prochaines années.
Pourriez-vous décrire le fonctionnement du pod, ainsi que le déroulement des missions à bord de l’hélicoptère ?
Alimenté par une batterie, le pod est un système autonome et totalement indépendant de l'hélicoptère, bien que fixé sur l’appareil. La tablette à laquelle il est relié est également autonome en électricité. Les ressources électriques de l'hélicoptère ne sont donc pas sollicitées. Ainsi, en cas d’interruption de la mission par l’aéronef, le pod peut poursuivre sa tâche indépendamment de l’appareil. Tout l’intérêt de ce système réside dans son autonomie.
Une fois la programmation de la mission saisie sur la tablette, un logiciel entre en action afin de déterminer les photographies à prendre, en fonction de l'altitude de vol et de la résolution des images. Lorsque l’hélicoptère, et donc le pod, pénètrent la zone cible, les prises de vue photographiques se déclenchent automatiquement, suivant une fréquence définie selon l'altitude. L’appareil quadrille alors la zone suivant un plan de vol spécifique. Toutes ces photos, prises successivement, seront ensuite assemblées numériquement via le module « terre » du système de cartographie de crise, afin d’obtenir une grande image de la zone. Nous pourrons alors zoomer dans l’image ainsi obtenue, et y ajouter certaines données, telles que les routes.
Assis à l’arrière de l’appareil, face à la tablette, sur laquelle les photographies s’affichent quasiment en temps réel, l’opérateur du SC2 veille au bon déroulement de la manœuvre. En communication permanente avec le pilote de l’hélicoptère, il participe aux opérations, en coordination avec celui-ci. Son rôle consiste à guider le pilote, notamment lorsque l’appareil dévie légèrement de sa trajectoire, change d’altitude ou modifie sa vitesse. Il effectue un contrôle qualité des images et réalise les réajustements nécessaires afin que les prises de vue soient parfaitement exploitables.
Comment le SC2 est-il aujourd’hui déployé sur le territoire, et quelles sont les avancées attendues ?
La gendarmerie nationale est aujourd’hui la seule à posséder un tel système. Après avoir été mis en place au Centre national des opérations (CNO) en 2016, il a par la suite été déployé dans les zones de défense et de sécurité sud et sud-ouest. L’accent a ensuite été mis sur le recrutement et la formation des opérateurs SC2. À partir de 2020, l’expérimentation d’un nouveau pod a été lancée, permettant l’acquisition de données tridimensionnelles.
Fin 2024, la gendarmerie a fait l’acquisition d’un système de cartographie de crise complet au profit de la région Nord, laquelle n’en était pas encore dotée. Le déploiement de trois nouveaux pods est prévu dans l’Hexagone courant 2025, tandis que les quatre pods existants seront équipés de nouvelles technologies. L’acquisition de nouveaux matériels a été obtenue par le référent national (également directeur de programme), en lien avec la Direction des opérations et de l'emploi (DOE) de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN).
Dans quel cadre cet outil est-il employé, et quelle est sa plus-value ?
À ce jour, le système de cartographie de crise est employé sur des théâtres de crises très diverses, mais aussi sur des manœuvres d'ordre public. Il est couramment utilisé dans le cadre de catastrophes naturelles, telles que le cyclone Chido. C’est d’ailleurs au moment de la tempête Alex que le SC2 a acquis ses lettres de noblesse. Les images alors réalisées avaient permis de rendre compte de l'ampleur de la catastrophe, et avaient été présentées au président de la République devant se rendre auprès des sinistrés, ainsi que des forces de l'ordre présentes sur place.
Pour la première fois, en août 2024, le système a été utilisé à des fins judiciaires dans le cadre du crash des deux avions Rafale en Meurthe-et-Moselle, dans le but d’appuyer les enquêteurs de la Section de recherches (S.R.) de la gendarmerie de l'Air.
L’outil a également été employé lors de grands événements, tels que les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. La cartographie alors réalisée en amont visait à diriger les services de secours et les forces de l’ordre au bon endroit, dans les meilleurs délais, en cas de signalement.
Comment s’organise la formation des opérateurs SC2 ?
Nous disposons aujourd’hui d’un vivier d’une quarantaine d’opérateurs. Un stage est prévu courant 2025 afin d’en former de nouveaux, et d’élargir ce vivier. Répartis aux quatre coins de la métropole, ces opérateurs sont une ressource relativement rare. Tous suivent une formation initiale de trois semaines, dont deux sont exclusivement consacrées à la maîtrise du logiciel de cartographie, et la dernière dédiée à l’utilisation du pod.
Quant à la formation continue, elle s’appuie sur des référents placés au sein même des centres zonaux des opérations, et chargés de l’animation du réseau. Des stages de recyclage devraient être organisés par le CNO l’année prochaine au sein des différentes zones.
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