En Guyane, les gendarmes protègent les tortues de l’Amana

  • Par le capitaine Tristan Maysounave
  • Publié le 28 mai 2024
Gendarme et garde de la RNNA remettant une tortue à l'eau.
© GEND/ ADC. ANDRÉ

Ces dernières années, la gendarmerie a fait de la préservation de l’environnement l’une de ses priorités. En métropole et en outre-mer, elle œuvre dans ce domaine, à l’image des gendarmes de Guyane qui agissent aux côtés des acteurs locaux, afin de protéger les tortues marines de la Réserve naturelle nationale de l’Amana, à l’ouest du territoire.

Alors que le soleil se lève doucement et irradie de ses premiers rayons le rivage d’Awala-Yalimapo, à l’ouest de la Guyane française, les quelques pêcheurs présents sont témoins d’un étrange spectacle. Les gendarmes de la Brigade territoriale autonome (BTA) de Mana (compagnie de gendarmerie départementale de Saint-Laurent-du-Maroni) et les gardes de la Réserve naturelle nationale de l’Amana (RNNA), courbés, inspectent la plage des Hattes, l’une des plus belles du département. Ils recherchent des traces caractéristiques et des zones où le sable a été retourné. Après plusieurs minutes, leur persévérance finit par payer. Ils viennent de découvrir les premiers œufs pondus par des tortues au cours de la nuit : le comptage peut commencer.

Plage sur laquelle les gendarmes et gardes procédent au comptage.
© GEND/ G.R. / ADC.BOURDEAU

La RNNA, d’une superficie de 14 800 hectares, s’étend sur 45 kilomètres, sur les communes de Awala-Yalimapo et Mana, entre la rivière Organabo et le fleuve Maroni. Classée en 1998, elle protège l’un des sites les plus importants au monde pour la reproduction de quatre espèces protégées de tortues marines : la tortue luth, la tortue verte, la tortue olivâtre et la tortue imbriquée. Afin de préserver ces espèces menacées d’extinction, les acteurs de terrain se sont coordonnés en 2014 autour de la mise en place d’un Plan national d'actions en faveur des tortues marines en Guyane. De façon à mieux lutter contre le braconnage de ces vertébrés, une convention a été conclue entre la BTA de Mana, territorialement compétente, et la RNNA. Ce dispositif s’inscrit dans la volonté de la gendarmerie de faire de la protection de l’environnement l’une de ses priorités. L’Institution a ainsi identifié cinq champs de compétences, dont la protection du milieu ambiant et du vivant. Dans cette perspective, gendarmes et gardes de la RNNA mènent conjointement ou séparément des actions visant à préserver les quatre espèces de tortues marines, dont les femelles peuvent venir pondre jusqu’à sept fois dans une même saison. Une mission atypique mais plus qu’essentielle à la sauvegarde de cette exceptionnelle biodiversité.

Recenser les tortues pour mieux connaître l’évolution de leurs populations

Afin de pouvoir évaluer l’évolution des populations des quatre espèces de tortues, les gendarmes effectuent deux patrouilles de comptage par semaine en période de ponte. Celle-ci ayant lieu essentiellement la nuit et à marée haute, les gendarmes planifient leurs services en fonction du calendrier des marées. Ils se déplacent à l’aube, avant que les traces et les nids ne soient recouverts par le sable, et interviennent afin de protéger les vertébrés le cas échéant.

« Awala est historiquement une zone de ponte majeure, mais la survie de plusieurs espèces de tortues est menacée en raison du réchauffement climatique, de l’érosion et du braconnage, explique l’adjudant-chef André, adjoint au commandant de la BTA de Mana. L’année dernière, nous avons recensé 100 pontes de tortues luth sur la plage des Hattes, contre plusieurs milliers dans les années 1990. Celles des tortues vertes restent heureusement conséquentes. En 2009, j’étais venu ici alors que j’étais encore gendarme mobile et j’avais pu observer des pontes de tortues luth. J’ai ensuite effectué mon changement de subdivision d’arme et j’ai rejoint la brigade de Mana en tant que gendarme départemental. Le sujet de la protection des tortues me passionne. »

ADC André échangeant avec un habitant.
© GEND/ G.R. / ADC.BOURDEAU

Sur la plage des Hattes, l’adjudant-chef engage la conversation avec Yves. Habitant le village d’Awala-Yalimapo depuis 40 ans, ce dernier dresse le même constat : « La grosse luth (surnom donné à cette espèce en raison de ses dimensions exceptionnelles, NDLR) a commencé à disparaître. À l’époque, il y avait des tortues luth partout. La plage s’étendait beaucoup plus loin au large, mais elle disparaît progressivement avec l’érosion. Certains habitants vont même devoir être relogés en raison de ce phénomène. »

La tortue luth : qui est-elle ?

    • La plus grande tortue du monde
La tortue luth, de son nom scientifique Dermochelys coriacea, est la plus grande des sept espèces actuelles de tortues marines, la plus grande des tortues de manière générale, et le quatrième plus grand reptile après trois espèces de crocodiles. Vivant au moins 50 ans, certains spécimens peuvent atteindre trois mètres et peser une tonne. Capable de nager jusqu’à 40km/h et de s’aventurer jusqu’à 1 300 mètres de profondeur, elle a la particularité de ne pas avoir de carapace osseuse mais de disposer d’une fine peau recouvrant une épaisse couche de graisse, lui donnant ainsi l’aspect du cuir. Comme les autres tortues marines, la tortue luth est incapable de se replier à l’intérieur de sa carapace.

    • Présente dans tous les océans de la planète
La tortue luth fréquente tous les océans de la planète. Elle migre en fonction des populations de méduses et autres céphalopodes qui composent la majorité de son régime alimentaire.

    • Une reproduction fixe
Une femelle utilise toujours le même site de ponte. Elle effectue en moyenne 2 à 3 pontes, espacées de 10 à 15 jours. Chaque ponte est composée de 100 à 200 œufs. L’incubation dure 60 à 70 jours. Le parcours entre le nid et l'océan est jonché d’obstacles, puisque les prédateurs sont nombreux à attendre les nouveaux nés : oiseaux, crabes, chiens, etc.

    • Une espèce menacée
La survie de la tortue luth est gravement menacée par le braconnage, les filets de pêche, l'urbanisation du littoral, l’érosion, le changement climatique et la pollution. La présence de sacs en plastique dans les mers et les océans, que les tortues confondent avec des méduses, entraîne une augmentation de leur mortalité. L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), organisation intergouvernementale consacrée à la conservation de la nature, classe la tortue luth dans sa liste rouge comme espèce vulnérable à l'échelle mondiale. Kwata, l’une des principales associations d’étude, de gestion et de préservation de l’environnement en Guyane, alerte sur le risque d’extinction de cette espèce à court terme. Elle a ainsi constaté la disparition de plus de 95 % des nids de tortues luth dans l’ouest guyanais depuis 20 ans et la destruction de 45 à 60 % de leurs nids chaque année.

Source : portails des parcs nationaux de France et de l’association Kwata.

  

Agir sur le terrain pour prévenir et dissuader

« Avec les agents de la réserve, nous effectuons régulièrement des patrouilles conjointes, poursuit l’adjudant-chef André. Nous nous appuyons sur une convention que nous avons signée il y a plusieurs années et que nous avons renforcée l’année dernière. Outre les actions destinées au comptage, nous effectuons des patrouilles aléatoires dans l’ensemble de la réserve en fonction des renseignements collectés par les gardes. En raison de la difficulté d’accès de plusieurs sites, certaines patrouilles s’effectuent en pirogue ou en 4x4. Nous devrions également percevoir des quads prochainement. Les gardes disposent d’une expertise technique complémentaire de l’aspect dissuasif de notre présence. 30 à 40 % des œufs étaient braconnés, mais ce dispositif a quasiment permis d’éradiquer le braconnage l’année dernière. »

Gendarmes et gardes engagés la nuit.
© GEND/ ADC. ANDRÉ

En plus de ces patrouilles, gendarmes et gardes de la RNNA mènent des actions de prévention. Bien que le commandant de la BTA de Mana, le major Philippe, soit le référent environnement de l’unité, les quatre autres sous-officiers de la brigade y participent également. Ils sont renforcés ponctuellement par des réservistes et continuellement par trois gendarmes mobiles détachés, qui reçoivent une formation spécifique. « Le renfort des gendarmes mobiles est primordial, souligne l’adjoint au commandant de brigade. À leur arrivée, nous les formons sur l’information au public et les bonnes pratiques à diffuser, puis nous leur expliquons comment déterminer si un nid a été braconné ou victime d’un prédateur naturel, notamment canin. »

La gendarmerie forte de la diversité de ses métiers et de ses missions

Avec plus de 300 métiers et bien plus encore de missions, la gendarmerie donne continuellement à découvrir, comme le raconte le gendarme Antonin, de l’Escadron de gendarmerie mobile (EGM) 47/3 de Châteauroux : « Avec mes camarades, nous sommes positionnés trois mois en renfort de la brigade territoriale de Mana. Nous assurons la sécurisation des plages et nous luttons contre le braconnage des tortues. Je ne connaissais pas cette mission avant d’être projeté en Guyane. Il s’agit d’une action atypique et exceptionnelle, qui illustre la diversité du métier de gendarme. »

En période de ponte, les réservistes accompagnent le public pour leur permettre de découvrir cet évènement extraordinaire sans commettre de gestes qui pourraient nuire aux tortues. Au cours de la ponte, qui peut durer jusqu’à deux heures, ils leur apprennent ainsi à ne jamais éclairer l’animal ou encore à ne jamais se positionner entre la tortue émergeant de la mer et le haut de la plage, cette situation pouvant la conduire à faire demi-tour. Les gendarmes sensibilisent également les populations locales, avec l’aide des gardes de la RNNA. La majorité d’entre eux sont originaires des villages alentour, ce qui facilite les relations avec les habitants. « De nombreuses communautés vivent sur le territoire, explique le gradé. Nous comptons des populations amérindiennes, Hmong, Bushinengué, Saramaca ou encore javanaises. Outre la problématique du marché noir sur lequel se revendent les œufs de tortues, plusieurs communautés avaient pour coutume d’en consommer. Nous dialoguons avec ces populations et leurs chefs coutumiers afin de les sensibiliser sur la préservation de ces espèces et les peines encourues en matière de braconnage. Nous sommes parfois sollicités pour participer à des réunions coutumières, au cours desquelles nous présentons nos résultats. »

Et ailleurs ?

« Les plages de Cayenne et de Rémire-Montjoly constituent également des lieux de ponte très prisés des tortues luth, olivâtres et vertes, explique le lieutenant-colonel Amaury Le Pape, commandant la compagnie de gendarmerie départementale de Matoury. Nous réalisons des services avec les acteurs de protection de la nature, comme l’association Kwata, avec laquelle nous avons signé une convention. Lorsque nous sommes avisés de la présence d’une tortue luth, nous nous rendons sur la plage et établissons un périmètre de sécurité, afin d’éviter qu’elle ne soit dérangée. Mission atypique mais utile ! »

Traquer les braconniers afin de les traduire en justice

Les cinq gendarmes affectés en permanence à la BTA de Mana sont tous Officiers de police judiciaire (OPJ). Lorsqu’ils constatent la présence d’indices ou obtiennent des renseignements laissant supposer qu’un nid a fait l’objet d’une intervention humaine, ils initient des enquêtes visant à identifier les potentiels braconniers. « La réponse pénale a été importante l’année dernière, se félicite l’adjudant-chef André. Trois personnes ont été confondues et l’une d’entre elles a été condamnée à 10 mois de prison ferme. La justice se montre intraitable envers les récidivistes, ce qui est une bonne chose. »

Ces prochaines années, gendarmes et gardes de la RNNA continueront à intensifier leurs actions afin de préserver les tortues marines. Une opération de repeuplement a également été lancée, avec la création d’une écloserie à Awala-Yalimapo, inaugurée en 2023 par Hervé Berville, secrétaire d’État chargé de la Mer et de la Biodiversité. Les nids naturels sont désormais déplacés dans l’écloserie, afin de les soustraire aux principales menaces et d’augmenter leurs chances de survie.

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