Le maréchal des logis-chef Jennifer, une gendarme engagée auprès des victimes sourdes et malentendantes

  • Par le capitaine Charlotte Desjardins
  • Publié le 05 mars 2023
La maréchal des logis-chef Jennifer signe son surnom devant un véhicule sérigraphié
© D.R.

En 2019, le maréchal des logis-chef Jennifer, de la brigade territoriale autonome de Saint-Gély-du-Fesc, dans l’Hérault, a commencé à se former à la pratique de la langue des signes dans le cadre d’un partenariat entre le Groupement de gendarmerie départementale de l’Hérault (GGD 34) et la plateforme inclusive CESDA, qui travaille auprès des déficients auditifs. Désormais référente départementale en langue des signes pour la gendarmerie, elle souhaite améliorer l’accueil des personnes sourdes et malentendantes dans les unités locales.

L’accueil du public est l’un des piliers du travail du gendarme, et le maréchal des logis-chef (MDC) Jennifer en est convaincue. Elle est rentrée en gendarmerie il y a vingt ans, à l’âge de 19 ans, comme gendarme adjoint volontaire. L’apprentissage de ce métier, auquel elle ne se destinait pas forcément au départ, a fini par devenir une évidence. D’abord en brigade dans l’Allier, elle est ensuite affectée au Pays basque, avant d’intégrer l’École de sous-officiers de gendarmerie (ESOG) de Châteaulin, puis d’arriver à Saint-Gély-du-Fesc en 2009.

C’est très tôt qu’elle est confrontée au handicap, puisque son propre frère est malentendant.

Mais à cette époque, l’oralisation est encouragée pour les sourds, et non l’usage de la langue des signes. Elle ne la pratique donc pas particulièrement. Néanmoins, ce désir d’apprendre la Langue des signes française (LSF) est ancré en elle depuis longtemps. Elle nourrit déjà cette idée au moment où elle entre en gendarmerie, mais le coût particulièrement élevé l’empêche dans un premier temps d’y donner suite.

Dans le cadre de son travail, elle a été confrontée plusieurs fois à des personnes sourdes, lui permettant alors de constater que la communication pouvait s’avérer très compliquée entre elles et les gendarmes. Il n’est en effet pas aisé pour les personnes souffrant d’un handicap auditif de se faire comprendre, d’autant plus si elles sont également illettrées comme cela peut se produire. Cela peut engendrer pour ces victimes une certaine difficulté à faire la démarche de se présenter dans une brigade.

Ainsi, un jour, se présente à la brigade une femme atteinte de surdité qui a été victime de viol.

Pour la gendarme, c’est l’élément déclencheur, car lorsque ces personnes sont victimes, non seulement elles sont plus vulnérables, mais la difficulté à se faire comprendre peut rendre plus complexe la démarche de dépôt de plainte et du processus qui s’en suit. « J’ai reçu cette femme, et on a discuté par écrit. J’ai trouvé cela vraiment frustrant, pour une affaire aussi grave, parce que je n’ai pu lui proposer un rendez-vous qu’une fois avoir trouvé un interprète, c’est-à-dire une semaine plus tard, et pour moi, ce n’est pas possible dans ce type d’affaire. Il aurait au moins fallu que je puisse lui parler de manière plus accessible pour elle, dans sa langue. Ça a été le déclencheur, il fallait que je le fasse », explique-t-elle.

Une formation commencée à titre personnel qui se poursuit dans le cadre d’un partenariat

Jennifer décide alors de se former à l’apprentissage de la LSF sur son temps personnel. Elle parvient ainsi à atteindre le niveau A2.3 [NDLR : maîtriser une structure de base de la LSF pour une expression fluide]. Cela lui permet d’acquérir des bases solides dans la pratique et la connaissance de la langue des signes, mais aussi d’aborder les choses d’un point de vue psychologique, pour mieux comprendre les personnes malentendantes et adapter certains comportements pour les accueillir de la meilleure manière possible. Il peut s’agir, par exemple, de fermer la porte de la salle pour éviter les bruits parasites et parler lentement, ce qui permet d’articuler et donc facilite la lecture sur les lèvres.

Cette formation lui demande un investissement personnel important, tant en temps que financièrement, car pour parvenir à ce niveau, elle a dû débourser près de 2 500 euros.

Faute de moyens, mais aussi afin de garder un peu de temps pour sa famille et ses autres engagements, elle met alors sa formation en pause. En effet, la gendarme est aussi mariée, maman de trois enfants, et s’investit dans le scoutisme auprès des jeunes.

Une initiative du Groupement de gendarmerie départementale de l’Hérault (GGD 34)

Au cours de l’année 2021, dans le cadre de « #RépondrePrésent », le Groupement de gendarmerie départementale de l’Hérault (GGD 34) organise, avec le Centre d’Éducation Spécialisé pour Déficients Auditifs (CESDA) du département, convaincu que la gendarmerie peut apporter quelque chose à ses jeunes, deux journées d’activité à leur attention. Ils sont ainsi accueillis pour participer à plusieurs rencontres qui les ravissent, à l’instar du travail sur le Code de la route avec les gendarmes de l’EDSR (Escadron Départemental de Sécurité Routière), du parcours en conduite accompagnée sur la place d’arme en lien avec Groupama, de la rencontre avec un jeune chiot Saint-Hubert et son maître du Groupe d’investigations cynophile…

Des relations sont nouées avec le centre pour faire de la prévention auprès des jeunes. C’est dans ce cadre qu’un partenariat voit le jour à l’initiative du groupement, pour lequel la prise en compte de ce public apparaît comme une évidence. Une demi-journée de sensibilisation est organisée au sein du GGD 34, avec l’équipe du centre. Celle-ci suscite un véritable engouement : un personnel par unité (soit environ 40) est présent afin de mieux envisager les enjeux, les limites et les problématiques de la surdité. Le lendemain, un appel à volontaire est lancé auprès des gendarmes du groupement : le CESDA propose de financer la formation d’un militaire en vue de devenir référent départemental et être primo-intervenant en cas de dépôt de plainte. C’est le maréchal des logis-chef Jennifer qui se détache, tant par sa motivation que ses bases solides en LSF. Après accord de sa hiérarchie, dès le mois d’octobre 2021, elle commence à se rendre au CESDA pour une session hebdomadaire d’1 h 30, qu’elle poursuivra jusqu’en mai 2023, date à laquelle elle pourra valider le niveau A2.

Un accueil plus adapté pour les victimes sourdes

L’idéal pour la gendarme serait de pouvoir continuer à apprendre, notamment par l’acquisition du niveau B, qui aborde un vocabulaire spécifique et lui permettrait d’approfondir les notions liées au travail des gendarmes et de la Justice.

Néanmoins, même si aujourd’hui Jennifer ne maîtrise pas encore ces aspects, elle retire déjà beaucoup de ce qu’elle a appris pour communiquer avec les personnes atteintes de surdité. « Celles-ci sont reconnaissantes de l’accueil qui leur est fait, de l’attention qui leur est portée, et c’est un excellent début pour les mettre en confiance afin de recueillir leurs plaintes et les accompagner, témoigne la gendarme. Quand j’arrive et que je signe avec eux, ils se mettent à avoir le sourire. Le simple fait de voir que je fais l’effort améliore déjà leur accueil, même si à un moment donné on passe par l’écrit, car je n’ai pas tout le vocabulaire. Mais au moins ils repartent contents. J’ai vu la différence entre les prises en compte de personnes avant et après avoir appris la langue des signes. Et rien que pour ça, ça vaut le coup. Je ne pourrai pas être interprète, car je n’ai pas le niveau, mais ça améliore l’accueil. »

Il est important de souligner que le gendarme ne se substitue pas ici à l’interprète, mais a bien le rôle de primo-intervenant, d’accueil. Lors d’une prise en charge de victime, il faut en effet compter environ 48 heures avant l’arrivée d’un interprète. Ce délai ne permet pas une prise en charge satisfaisante et explique souvent que les victimes sourdes et malentendantes renoncent à se déplacer.

Au-delà de ce meilleur accueil des victimes, la MDC a déjà pu mettre à profit cet apprentissage en intervenant auprès des jeunes du centre, avec la Maison de protection des familles (MPF), pour désamorcer des situations de harcèlement.

Une convention signée au niveau national avec la FNSF

Au niveau national, la prise en compte du handicap est aujourd’hui incluse dans la formation initiale et continue des gendarmes. Par ailleurs, une convention a été signée en 2021 avec la Fédération nationale des sourds de France (FNSF), en vue d’améliorer la qualité de la prise en charge et de l’accompagnement des victimes souffrant de surdité. En outre, en fonction des besoins rencontrés sur le terrain, des partenariats peuvent être noués au niveau local, afin de répondre à la demande, comme l’illustre celui signé avec le CESDA. Cette belle initiative permet de mieux répondre aux besoins de ces victimes plus vulnérables.

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