Le gendarme du XIXe siècle, homme-orchestre de la sécurité publique

  • Par Jean-Noël Luc, professeur émérite à la Sorbonne
  • Publié le 23 avril 2020
n°270 du 16 janvier 1896
© Le Petit Journal

Un voyage dans le temps, deux siècles en arrière, à la découverte des gendarmes sauveteurs. À l'époque déjà, les brigades de gendarmerie se montrent en capacité de réagir à plusieurs niveaux face aux catastrophes et autres dangers : prévention, secours, coordination des autres intervenants, maintien de l’ordre et enquête.

« Une milice dévouée pour les calamités publiques » ? Si l’on en croit cet argument d’un député, la gendarmerie mérite l’augmentation de ses effectifs, demandée par le ministère en 1840. Ses premiers textes organiques restent pourtant très discrets sur cette fonction. Il faut attendre le troisième, le décret du 1er mars 1854, pour que le devoir de l’Arme envers « toute personne qui réclame son secours dans un moment de danger » soit explicitement rattaché à « l’une de [ses] principales obligations : veiller à la sûreté individuelle » et précisé en plusieurs articles, notamment en cas d’incendie. Mais dans les faits, les brigades ont assuré très tôt des missions d’assistance – une preuve supplémentaire de l’intérêt d’observer les pratiques au-delà du cadre réglementaire.

Au feu !

L'incendie est une menace prégnante dans une société où les toitures de chaume forment des cibles faciles en cas d’accident ou de malveillance. Pour sauver leur mobilier, des villageois s’exposent, comme à Saint-Jean-Brévelay (Morbihan), le 28 avril 1901 : « les enfants du fermier s'attardent pour grouper quelques objets, ils se cramponnent aux meubles, ils vont périr », raconte le Livre d'Or de la Gendarmerie, avant de célébrer le courage du maréchal des logis Jobert, parti à leur secours et tué par la chute d'une poutre.

Vite prévenus par les habitants et, le plus souvent, les premiers représentants de l’autorité arrivés sur les lieux, quelles sont les missions des gendarmes ? Tout ce que le décret de 1854 récapitule, à savoir : « [ordonner] toutes les mesures d’urgence », « sauver les individus en danger », « requérir le service personnel des habitants », « empêcher le pillage des meubles et effets évacués », enquêter sur les causes du sinistre, arrêter les suspects éventuels. Leur rôle est d’autant plus important que les pompiers restent très rares dans les campagnes, mal formés et inégalement équipés. En 1851, un lieutenant suggère même, sans succès, que toutes les brigades soient dotées de pompes à incendie.

Autres catastrophes et autres dangers

L'eau effraie au moins autant que le feu. La gendarmerie est très active lors des grandes inondations de la Loire, en octobre 1846. D’après le général Ornano, propriétaire d’un château en Indre-et-Loire, « les services qu'elle a rendus doivent être d'autant plus appréciés que, sur beaucoup de points, les gendarmes se trouvaient seuls au milieu d'autorités civiles peu énergiques et d'une population dont l'activité était paralysée par l'immensité même des malheurs dont elle se voyait menacée ». Les brigades contribuent aussi à la prévention des risques. À l'approche des crues de 1872, celles de Lozère reçoivent des ordres « pour prévenir les habitants des dangers et les informer des moyens de s'en prémunir ».

Les gendarmes interviennent également pour dégager les blessés, et parfois contenir leurs proches, lors des collisions entre des trains ou des coups de grisou dans les mines. Restés à leur poste pour rassurer les populations et organiser le départ des réfugiés, tous ceux de Saint-Pierre disparaissent pendant la terrible éruption de la Montagne Pelée, le 8 mai 1902. Dix-sept sont ensevelis sous les cendres ; neuf tués les jours suivants en traquant des pillards. Autre terrain d’action : la lutte contre les épizooties et les épidémies, pendant lesquelles les brigades rendent compte de la propagation du fléau et donnent des conseils utiles. « Il faudra faire connaître, dans les tournées, que le seul moyen infaillible pour éviter la variole est la vaccination », explique la hiérarchie, en Sologne, au début du xxe siècle. Célèbre avocat de la cause hygiéniste, le docteur Armaingaud expérimente alors un autre dispositif dans le Languedoc : « Dès que les gendarmes apprennent qu'une maladie épidémique et contagieuse sévit dans une maison, ils s'y rendent, ouvrent leur cahier et lisent les mesures à prendre aux parents des malades. »

Dernière menace, plus fréquente : les animaux, au premier rang desquels les loups, contre lesquels des battues sont régulièrement organisées, avec le concours des brigades. Sont également considérés comme dangereux, et ce tout au long du siècle, chiens enragés, chevaux emballés et bovins déchaînés. À Nevers, le 8 juin 1878, le gendarme Guillaume « se fait particulièrement remarquer par son courage et son sang-froid en s’élançant à la rencontre d’une vache furieuse qui venait de blesser cinq personnes, dont une mortellement, et qu’il réussit à tuer à coups de sabre après avoir été renversé deux fois par cette bête. »

Une reconnaissance publique et institutionnelle

La gratitude des populations s'exprime souvent dans la presse. « L'eau augmentait toujours. Il fallait prendre un parti décisif, car le moindre retard pouvait être funeste, raconte leJournal d'Issoire, en 1842. Soudain, le gendarme, ne consultant que son courage et son dévouement, traverse l'eau qui le sépare de la maison de M. Faugières, s'y introduit et revient avec ce citoyen sur ses épaules. » La mise en scène dramatique fait ressortir l’héroïsme du militaire, un procédé fréquent dans les colonnes et surtout dans les dessins, hauts en couleurs, du Petit Journal, premier quotidien de France dans les années 1890.

n°1003 du 6 février 1910
© Le Petit Journal

Dès le milieu du siècle, au moins, certains officiers comprennent les retombées positives de « la communication », pour utiliser un terme actuel, à propos de l’assistance apportée par les brigades à leurs administrés. Faire connaîtrela vaillance et l’efficacité des gendarmes contribue à diffuser l'image d'une institution protectrice et pas seulement répressive. La plus grande partie des chroniques d'actualité du Journal de la Gendarmerie, lancé en 1839, est consacrée au récit des « belles actions » de gendarmes sauveteurs, dont plusieurs sont cités à l’ordre de leur légion. Sur les 400 militaires, en moyenne, bénéficiaires chaque année de cette distinction au milieu du siècle, un tiers environ sont récompensés pour des enquêtes menées à bien, des arrestations dangereuses et des opérations de maintien de l'ordre difficiles. Les autres, une grosse majorité, sont distingués pour des actions de secours, parmi lesquelles la maîtrise d'animaux emballés devance largement le sauvetage des noyés et la lutte contre l'incendie.

Est-ce à dire que tous les membres des brigades assument pleinement leurs missions d'assistance ? Une partie des témoignages flatteurs doit être reçue avec prudence, car certains gendarmes, en quête de récompenses, enjolivent la réalité avec la complicité de notables locaux dont ils tiennent la plume. Au cours des années 1850, le Journal de la Gendarmerie exprime sa méfiance devant le flux de lettres décrivant des actes héroïques, tandis que la hiérarchie commence à vérifier l’ampleur du risque pris par les intervenants. Rares dans les rapports de punitions consultés, les sanctions pour défaut d’assistance révèlent les défaillances de certains hommes. En 1866, l’un d’entre eux est retrouvé endormi dans une barque, en pleine crue de la Loire ! « Si vous n'en avez que comme celui-là, vous pouvez bien rester à la caserne », s'indignent les habitants, dont la colère est à la mesure des attentes suscitées par la présence d’une brigade : le devoir de secours s'est bien installé dans l'imaginaire social.

Que montre ce rapide coup d’œil sur le rôle et l’image des gendarmes sauveteurs, il y a deux siècles ? Au-delà de leur bravoure, incontestable malgré quelques égarements hagiographiques, la capacité des brigades à réagir à plusieurs niveaux : prévention, secours, coordination des autres intervenants, maintien de l’ordre et enquête. Où la gendarmerie trouve-t-elle les moyens de cette polyvalence au service de la continuité de l’État ? Dans son maillage territorial, achevé au niveau de chaque canton en 1850, son organisation et son mode d’action militaires et, enfin, sa conversion empirique et progressive à la culture du service public, bien avant que cette notion ne se consolide, à la fin du siècle.

Ce panorama est élaboré à partir des ouvrages suivants : Arnaud Houte, Le Métier de gendarme national au XIXe siècle, Paris, PUR, 2010 ; Édouard Ebel et Yann Galéra, Les Gendarmes de la Belle époque au miroir du Petit journal, Paris, SHD, 2005 ; Jean-Noël Luc (dir.), Histoire des gendarmes, de la Maréchaussée à nos jours, Paris, NME, 2016.

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