La gendarmerie roumaine
- Par l’aspirant Anthony Bruillard, du centre de recherche de l'école des officiers de la gendarmerie nationale
- Publié le 01 juin 2018
La gendarmerie roumaine présente, dans le vaste panorama des gendarmeries du monde, un visage atypique. Son histoire remonte aux temps de l’éveil national et suit tous les aléas du pays au XXe siècle. Elle est aujourd’hui le produit original de cette histoire nationale tourmentée, et de l’influence des modèles français, centre-européens et soviétique qui ont prévalu successivement.
À l’occasion des cent ans, le 1er décembre prochain, de la « Grande Union », qui marque la réintégration de la Transylvanie à la nation roumaine, revenons sur le passé et le présent de cette institution qui a contribué à forger ce pays depuis 170 ans.
Un peu d’histoire
L’histoire de la gendarmerie roumaine débute en 1850, par la création d’un régiment de gendarmes, dans ce qui est alors la principauté de Moldavie. La première moitié du XIXe siècle est, en effet, le temps d’une extraordinaire diffusion du modèle de la gendarmerie en Europe de l’Est : après l’Empire ottoman et la Russie, l’Autriche vient de créer le sien après les soubresauts révolutionnaires qu’elle a connus 1848.
Lorsque, neuf ans plus tard, le prince Alexandru Ioan Cuza réunit sous une seule couronne cette principauté à celle de Wallachie, celui-ci décide non seulement de conserver l’Arme, mais d’étendre ses prérogatives à l’ensemble du nouvel État, qui devient en 1862 la Roumanie.
Votée à l’initiative d’un gouvernement conservateur et agrarien, la loi du 1er septembre 1893 réforme profondément l’institution, désormais appelée gendarmerie rurale (jandarmeria rurală) et surtout, la dote d’une autonomie institutionnelle. Elle illustre la volonté du gouvernement que la loi de l’État soit incarnée et défendue jusqu’aux lieux les plus reculés du pays. Elle moule aussi la gendarmerie roumaine selon le modèle français, centralité du commandement et maillage territorial serré.
Tant comme police aux armées que comme force combattante, la gendarmerie roumaine participe activement à tous les conflits dans lesquels le pays se trouve engagé : les guerres balkaniques de 1877-78 et de 1913, puis la Première Guerre mondiale, où elle s’illustre en organisant la retraite de 1916, puis la réunion de la Transylvanie, et enfin la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle elle est tristement associée au régime autoritaire d’Antonescu et à la déportation des Juifs et des Tziganes.
En 1949, la gendarmerie est dissoute par le pouvoir communiste et ses personnels intégrés aux troupes du ministère de la Sécurité de l’État (securitate) ou à la milice (i.e. la police). Quelques mois après la chute de Nicolae Ceaucescu, la securitate disparaît, et le 5 juillet 1990, ses troupes, rattachées au ministère de l’Intérieur, reprennent le nom de gendarmerie roumaine. À la suite de la suspension du service national, celle-ci devient, en 2007, une force entièrement composée de professionnels.
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La gendarmerie roumaine contemporaine, en relevant l’uniforme et les traditions de la gendarmerie d’avant 1949, s’en veut l’héritière. Elle s’en distingue pourtant nettement quant à ses missions et à sa structure. La gendarmerie de l’après 89 est, en effet, entièrement dédiée aux missions de sécurité et d’ordre publics.
Organisation et missions actuelles
Héritière des troupes de la securitate, il a fallu à la gendarmerie de 1990 se trouver une identité et un rôle nouveaux dans un pays en pleine transition démocratique. Une question centrale taraudait le gouvernement : fallait-il restaurer la gendarmerie telle qu’elle était avant 1949 ? Autrement dit, adopter un système policier dualiste, à la française ?
La loi du 18 juin 1998 renonce à cette possibilité : la gendarmerie est une force de maintien de l’ordre et de protection des institutions. Cette loi insiste également sur la militarité du corps, tout en rappelant qu’il est une composante intégrante des forces de sécurité intérieure. Les conflits de compétences entre police et gendarmerie persistent toutefois jusqu’au vote de la loi n°550/2004 du 29 novembre 2004. Les missions de chacun des deux corps sont alors clairement établies, tandis que la démilitarisation de la police, en 2002, les distingue encore davantage.
Texte de référence, la loi de 2004 définit de façon exhaustive, en son article 19, les missions de la gendarmerie roumaine. Celles-ci sont massivement de l’ordre de la police administrative, tandis que les missions de police judiciaire, réduites à la portion congrue, se bornent au constat et à la répression des contraventions, ainsi que, dans les cas de crimes et délits flagrants constatés par les militaires, le rassemblement des éléments nécessaires à l’engagement des poursuites.
Lui incombent en revanche, et de façon exclusive, les missions de maintien de l’ordre public lors des grands rassemblements, et en cas de troubles, de rétablissement. Conséquence de son statut militaire, elle est appelée, en cas de guerre, à être mise à la disposition de l’État-major des armées. En revanche, les missions de police aux armées sont assurées par la police militaire (poliția militară), qui relève du ministère de la Défense.
Aux côtés des autres forces de sécurité intérieure, elle concourt à la protection des hautes autorités de l’État et à celle des dirigeants étrangers en visite officielle en Roumanie, à la sécurisation des frontières, des massifs montagneux et des zones touristiques (le delta du Danube et la côte de la mer Noire notamment), à la lutte antiterroriste, à la recherche d’individus en fuite, évadés ou déserteurs, mais également à la protection de la faune et de la flore sauvages.
Elle assure, par décision gouvernementale ou ministérielle, la garde de certains lieux, la protection de certains biens, l’escorte de convois présentant une importance ou une sensibilité particulière. En situation de catastrophe, qu’elle soit naturelle, écologique ou d’origine humaine, elle participe aux secours aux personnes et à la gestion de leurs conséquences.
Relevant du ministère des Affaires intérieures, de même que la police roumaine (poliția română) et la police aux frontières (poliţia de frontieră), la gendarmerie roumaine est placée sous l’autorité d’une inspection générale, installée à Bucarest.
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La gendarmerie romaine est organisée territorialement à raison d’un commandement par département (judeţ), soit 41 au total. Ces commandements, installés dans le chef-lieu de chaque judeţ, sont appelés inspections départementales (inspectorate de jandarmi judeţene, IJJ).
Il faut y ajouter les huit groupes mobiles (grupari de jandarmi mobile), respectivement basés à Bacau, Braşov, Cluj Napoca, Constance, Craiova, Ploiesti, Targu Mures et Timişoara. Relevant directement de l’inspection générale, chacun d’eux est chargé du maintien et du rétablissement de l’ordre public sur un territoire couvrant plusieurs județe. Une brigade spéciale d’intervention (BSIJ), baptisée du nom du redoutable grand-duc de Walachie « Vlad Tepes », et bénéficiant d’une compétence sur l’ensemble du territoire, est appelée à lutter contre les menaces les plus graves, en particulier les attaques terroristes.
La formation des officiers de la gendarmerie est assurée par un organisme ministériel : l’école de police « Alexandru Ioan Cuza », située à Bucarest, mais au sein de laquelle les élèves-officiers suivent un cursus de trois années qui leur est spécifique. Quant aux sous-officiers, ils sont formés pendant un an dans l’une des deux écoles militaires de sous-officiers de la gendarmerie : « Petru Rareş », à Fălticeni ou « Grigore Alexandru Ghica », à Drăgăşani.
La gendarmerie roumaine dispose, en outre, d’un centre de formation supérieure : l’école d’application « Mihai Viteazul » à Rosu, dans la proche banlieue de Bucarest. Créé en 2002, il est le produit d’une coopération avec le centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (24). Sa mission est d’assurer la formation, le perfectionnement et la spécialisation des militaires de la gendarmerie, en vue de l’exécution de maintien de l’ordre et de la conduite de missions à l’étranger. Enfin, trois centres de formation spécialisée existent : à Ochiuri, pour le maintien de l’ordre, à Sinaia, pour les interventions en montagne, et enfin à Gheorghieni, pour l’intervention professionnelle.
Quant à son action internationale, la gendarmerie roumaine a rejoint la FIEP (association internationale de gendarmeries et forces de police à statut militaire) en 2002, tandis qu’elle déployait 115 militaires dans le cadre de l’opération UNMIK au Kosovo. En 2009, elle est devenue membre de la Force de gendarmerie européenne (FGE ou Eurogendfor). Actuellement, elle déploie 25 militaires à l’étranger, notamment dans missions de formation, dans le cadre de missions de l’Union européenne au Mali, en Géorgie et en Ukraine, dans celui de l’Otan en Afghanistan, ainsi que dans celui de l’ONU, en République démocratique du Congo.
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