Secours à haut risque pour les gendarmes du PGHM de Chamonix
- Par Antoine Faure avec le CEN André-Vianney
- Publié le 01 avril 2022
Quatre heures après sa chute au fond d’une crevasse, sur le massif du Mont-Blanc, un skieur suisse a pu être secouru par les gendarmes du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Chamonix, au prix d’une importante prise de risques. Récit.
Lundi 28 mars, 15 h 30. La salle de régulation « Cordiale » du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Chamonix reçoit un appel. Un skieur randonneur signale la chute de son compagnon de cordée, sur le glacier de la Jonction. Les deux hommes, non encordés, redescendaient de leur ascension du Mont-Blanc par l’itinéraire des « Grands Mulets », un véritable dédale de crevasses dans lequel le cheminement est difficile. La saison traditionnelle pour réaliser cette course s’étend généralement de mars à mai, mais cette année, les conditions sont mauvaises : manque de neige, crevasses très ouvertes, ponts de neige fragiles… C’est précisément l’un de ces ponts de neige, enjambant une crevasse, qui a cédé sous le poids de l’alpiniste.
Les premiers à marcher du PGHM arrivent sur place à 15 h 45, héliportés par le Choucas 74 de la Section aérienne de gendarmerie (SAG) de Chamonix. L’adjudant Denis est le chef de caravane. Il est accompagné du maréchal des logis-chef (MDC) Axel et du médecin des hôpitaux du Mont-Blanc de permanence. « Nous avons pu localiser la victime à la voix, au fond d’une crevasse entourée d’un chaos de séracs (blocs de glace de grande taille formés par la fracturation d'un glacier, NDLR) et de blocs de granit, en équilibre très précaire, relate Denis. L’homme criait, mais n’était pas visible. »
L’amas de glace et de roche se trouve alors en plein soleil ; il craque de partout et de petits fragments se détachent régulièrement, menaçant directement les gendarmes. « Il était évident que le gendarme secouriste au fond du trou serait en danger de mort permanent, poursuit le chef de caravane. Mais en entendant la victime crier ainsi, j’ai pris la responsabilité de poursuivre l’opération. Pour une personne décédée, nous n’aurions jamais pris ce risque, mais là, c’était impossible de le laisser. »
Bouger les blocs un par un
Comme souvent dans ces secours, chaque minute compte. Malgré le risque très important, Axel descend donc en rappel au fond de la crevasse, assuré par son chef de caravane, pour tenter d’apercevoir le skieur enseveli. Cela s’avère impossible. Denis sollicite alors le renfort de deux autres équipes avec des moyens de déblaiement lourds. L’adjudant-chef Frédéric, le MDC François, le major Matthieu et le gendarme François se projettent rapidement sur le lieu de l’accident.
La problématique consiste à bouger les blocs rocheux, un par un, pour accéder à la victime, sans toutefois que ce déplacement ne provoque son écrasement définitif. Chacun perçoit alors pleinement le péril mortel auquel il s’expose, au vu de l’importance du risque d’éboulement total de la tour de glace qui les surplombe. Mais l’équipe décide de poursuivre cette intervention hors du commun.
Le chantier s’organise au mieux. Lignes de vie, relais, treuil et amarrages sont mis en place sur zone, pour, d’une part, pouvoir travailler dans une relative sécurité, et d’autre part, harnacher chaque bloc rocheux afin de les déplacer. « Nous avons eu besoin de beaucoup de matériel, parce qu’on en abandonnait au fur et à mesure au fond du trou », ajoute Denis.
Afin de minimiser les risques, la décision est prise de limiter le nombre de personnels à deux gendarmes dans la crevasse. Un premier bloc rocheux d’un mètre cube est déplacé. La victime, toujours invisible, continue de parler aux gendarmes secouristes. L’homme est conscient et orienté, mais ne parle que le suisse allemand, ce qui ne rend pas la communication aisée. Ces échanges renforcent la volonté des gendarmes d’accéder au plus vite au skieur en détresse. Le dégagement d’un deuxième bloc leur permet de voir enfin la tête et les épaules de la victime.
Stabilisation médicale avant évacuation par hélicoptère
À 18 h 40, un dernier bloc est retiré. Un premier bilan permet de constater des lésions importantes au niveau du bras gauche, complètement écrasé, une hypothermie déjà sévère et des traumatismes légers multiples. Le risque principal dans ces cas peut survenir en sollicitant trop vite la victime : le sang trop froid circulant de nouveau peut provoquer un arrêt cardiaque brutal.
Les gendarmes réalisent plusieurs gestes de secourisme permettant l’immobilisation partielle de la victime avant son extraction de la crevasse. « Nous avons fondu en larmes quand il est sorti, souffle Denis. Nous avons craqué nerveusement après un stress de tous les instants. »
La mission n’est cependant pas terminée. Son état nécessite une stabilisation avant son transport. Le médecin, aidé par les gendarmes, enraye une hémorragie externe et administre des antalgiques. Certaines « pauses respiratoires » rendent l’état de la victime de plus en plus inquiétant. À 19 h 30, cette dernière est finalement évacuée par Choucas 74 en direction de l’hôpital d’Annecy.
Le lendemain, les nouvelles sont rassurantes. L'homme a été opéré du bras : trois fractures à l’humérus ont été dénombrées. Arrivé à l’hôpital en état d’hypothermie sévère (26 °C), son réchauffement s’est bien passé et, a priori, aucune séquelle neurologique n’est décelée, la victime se souvenant de tous les événements.
Une haute vision de leur métier
Lors de ce secours, les gendarmes du PGHM de Chamonix ont été très clairement exposés à un danger mortel de sur-accident. Outre les six militaires présents sur le glacier, six autres étaient prêts à partir pour faire face à ce risque. Enfin, trois gendarmes, dont l’officier commandant les opérations, le chef d’escadron André-Vianney, suivaient l’opération, minute par minute, en salle de régulation. « J'aurais parfaitement compris qu'ils reculent face une telle situation, reconnaît ce dernier. Et j'aurais défendu coûte que coûte leur décision. Mais je suis extrêmement fier qu'ils soient allés au bout de cette opération exceptionnelle. Je leur tire mon chapeau, et je tiens à souligner leur courage et la haute vision qu’ils ont de leur métier. »
« C’est la mission la plus périlleuse que j’ai eu à diriger, estime Denis. C’était un engagement permanent pendant près de quatre heures. Entre nous, on se pose encore la question de savoir si nous avons eu raison, mais au vu du résultat, on ne peut rien regretter. Nous avons rencontré l’épouse de la victime et son compagnon de cordée. C’était un bel échange, très émouvant. »
De la salle de régulation au fond de la crevasse, tous ont vécu des heures longues et éprouvantes, sous haute tension, où la confiance que chacun place en l’autre a été déterminante. C’est au prix de cette mise en danger et de cet altruisme qu’ils ont pu, ensemble, sauver la vie d’un homme.
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