Mois de l’innovation - PHIDIAS : la modélisation d’une scène de crime en 3D bientôt accessible à tous les gendarmes ?

  • Par Pablo Agnan
  • Publié le 22 novembre 2022
Une scène de crime fictive modélisée en 3D grâce à un drone.
© PJGN

Tous les deux ans, la fondation Maréchal Leclerc de Hauteclocque récompense les meilleures innovations issues des armées et de la gendarmerie nationale. Si les gagnants ne sont pas encore connus, PHIDIAS constitue un sérieux prétendant dans la course au titre. Développé par cinq experts de l’IRCGN, ce projet vise à apporter la modélisation 3D à tous les gendarmes.

Du crash de l'A320 de la Germanwings aux charniers découverts en Ukraine, la modélisation 3D d’une scène de crime ou d’un accident est utilisée depuis plusieurs années par les gendarmes. D’abord en 2006, avec la photogrammétrie, « technologie (…) qui a perdu de sa superbe dans les années 2010, supplantée à l’époque par les scanners laser », écrivaient, en 2019, trois militaires de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), dans la revue Experts.

« Plus rapide et dont les processus de traitement sont automatisés », cette technique comporte néanmoins un inconvénient majeur : son coût, de l’ordre de 30 000 à 50 000 euros. « Donc, en partie pour des raisons budgétaires, cette solution n’est pas déployable à grande échelle », concluaient-ils. Un prix qui limitait aussi l’utilisation de cette technologie à un panel restreint d’experts.

Or, « grâce aux avancées scientifiques, de nouveaux moyens de collecte des traces, plus efficaces, apparaissent. L’utilisation d’outils numériques, de plus en plus intégrés aux actions techniques et scientifiques, permet de gagner en efficience. » Pour appuyer leurs propos, les gendarmes font notamment référence aux drones, qui ont rendu « le besoin en 3D de plus en plus prégnant sur le terrain, et ce, majoritairement sur des dossiers ne relevant pas de l’expertise. »

Des dossiers comme des accidents de la route. Là où auparavant les gendarmes réalisaient des croquis à main levée, ils peuvent désormais utiliser la 3D, sans faire appel aux experts de l’IRCGN. « C’était un travail très long et très fastidieux à effectuer, se remémore le lieutenant-colonel Hervé Daudigny, l’un des trois gendarmes auteurs de la note. Ils y passaient un temps infini, en multipliant les mesures sur le terrain lorsque les résultats ne concordaient pas. »

La modélisation 3D accessible à tous

Aujourd’hui, grâce à la démocratisation de l’utilisation des drones, à la présence d’appareils photographiques numériques dans de nombreuses unités, ou même des capteurs intégrés aux terminaux NÉOGEND 2, la modélisation en 3D d’une scène de crime ou d’un accident est à portée de main de chaque gendarme. Et ce, à l’aide d’une technique éprouvée par les experts de l’IRCGN : la photogrammétrie. « Elle a retrouvé ses lettres de noblesse avec l’intégration d’algorithmes permettant (…) de réaliser un modèle 3D quasiment sans intervention humaine. » Tous ces éléments, couplés entre eux, ont donné naissance au projet PHIDIAS.

« PHIDIAS, c’est simplement l’accès à la modélisation 3D à l’ensemble des gendarmes », résume le lieutenant-colonel Hervé Daudigny, l’un des cinq militaires à l’initiative du projet. Actuellement commandant de compagnie à Nancy, l’ancien expert de l’IRCGN a testé cette nouvelle solution avec ses personnels. À l’aide d’un drone, ils ont simplement réalisé une série de prises de vue selon un schéma préétabli, avant d’envoyer les photos à un supercalculateur, qui leur a renvoyé ensuite une image aérienne de type croquis. L’ensemble de ces opérations (prise de vues, transfert des photographies et calcul automatique) a été réalisé en moins de trois heures.

Un nuage de points est une représentation numérique 3D d'un objet ou d'un espace. Si ici l'image est fixe, le buste, lui, peut être vu sous tous ses angles, grâce à un simple lecteur de document au format PDF.

© PJGN

Lors du développement du projet, il y a sept ans, l’une des difficultés rencontrées par les gendarmes a été le coût engendré par le matériel informatique requis, ainsi que les logiciels de photogrammétrie et leur complexité d’utilisation. En effet, pour l’emploi voulu par les militaires, il aurait fallu que chaque brigade dispose d’un programme onéreux et d’ordinateurs ultra-puissants, pour pouvoir réaliser des calculs mathématiques complexes.

La solution a donc été de « créer un serveur de calcul en central. À l’intérieur, se trouve le logiciel de modélisation 3D que nous avons acheté, ainsi que nos solutions informatiques développées en interne. Grâce à cela, n’importe quel gendarme dispose d’un accès direct à une puissance de calcul importante et disponible depuis n’importe quel poste Intranet de la gendarmerie. »

Figer la scène de crime dans l’histoire

Dans les films ou les séries policières, les premières actions effectuées sur une scène de crime par les enquêteurs sont les constatations. Au cinéma comme dans la vie réelle, « si elles sont incomplètes ou non-pertinentes (...), une perte d’informations irréversible se produit », indiquent les auteurs de l’article « Phidias, la modélisation 3D pour tous les gendarmes ». Elles constituent d’ailleurs « la pierre angulaire de tout procès », comme l’affirmait Marc Bischoff, pionnier de la police scientifique.

Pour le lieutenant-colonel Daudigny, « la modélisation d’une scène de crime en 3D permet de la figer dans l’histoire et, par conséquent, offre l’opportunité de revenir dessus 10, 15, 20 et même 30 ans après les faits. » Ainsi, cette technique octroie à l’enquêteur la possibilité de prendre de la hauteur par rapport à sa scène de crime : « Parfois, lorsqu’on revisualise la scène après coup, on va y voir d’autres éléments passés inaperçus sur le moment. »

L' orthophotographie est une photographie aérienne ou satellitaire dont on a corrigé les déformations dues au relief du terrain, à l'inclinaison de l'axe de prise de vue et à la distorsion de l'objectif. En criminalistique, cette technique permet de figer la scène d'un crime ou d'un accident, et par exemple, de mieux déceler les traces de ripage.

© PJGN
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La modélisation 3D confère donc une meilleure compréhension de la scène de crime, mais pas seulement a posteriori. Elle permet en effet de visualiser les interactions qui se sont déroulées au moment des faits et donc d’appliquer de manière visuelle le principe d’échange de Locard : « Lorsqu'un acte criminel se produit, l'individu responsable laisse des traces de sa présence et emporte avec lui des traces du lieu où il se trouvait. » Sur un accident de la route, cela donnerait : « Quel véhicule est entré en collision avec tel autre. Grâce à la modélisation 3D, ça se devine très facilement. »

La seconde révolution de Phidias

Si la modélisation 3D n’ouvre pas de nouvelles perspectives en tant que telle, PHIDIAS attire un public que n’attendaient pas ses créateurs, grâce à son mode d’acquisition accessible et son coût abordable. « À l’origine, ce projet était destiné aux gendarmes. Aujourd’hui, on a vraiment eu un éventail assez large de différentes unités, qu’elles soient opérationnelles ou logistiques, issues de différentes armées, composées de militaires ou de civils, qui se sont montrées intéressées par le projet. »

De l’instruction au RETEX, en passant par de l’acquisition d’objectif pour les forces spéciales, les armées ont été séduites par le projet PHIDIAS. Pas étonnant pour un programme nommé en l’honneur d’un sculpteur grec qui aurait révolutionné sa discipline en la faisant passer de l’art archaïque à la parfaite harmonie entre le réel et l’abstrait, et donc, de l’imaginaire à la réalité.

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