Maintien de l'ordre : Français et Allemands échangent leurs savoir-faire
- Par la capitaine Gaëlle Pupin
- Publié le 17 octobre 2018
Face à la violence croissante des manifestants au cœur des Zad et à la nécessité constante de s'adapter aux nouveaux modes d'action de l'adversaire, la Cellule nationale d'appui à la mobilité (Cnamo) a organisé, du 8 au 11 octobre, un séminaire sur le sujet en coopération avec ses homologues allemands. L'occasion de partager son savoir-faire et d'échanger à propos de leur technicité commune.
« Qu'il s'agisse de Notre-Dame-des-Landes, de Bure ou de Strasbourg, du côté français, ou de la forêt de Hambach, en Allemagne, nous sommes confrontés à des activistes faisant preuve de plus en plus de violence et d'ingéniosité dans leurs modes d'action, explique l'adjudant-chef Philippe Chochoy, chef de la Cellule nationale d'appui à la mobilité (Cnamo). Face à des adversaires déterminés, n'hésitant pas à ''gazer'' les forces de l'ordre, nous devons adapter nos interventions, afin de garantir la sécurité de l'ensemble des membres de l'équipe. »
Développement nécessaire d'une nouvelle technicité
Lors de certaines opérations sensibles d'ordre public (évacuation de Zad notamment), des manifestants mènent des actions d'entravement ou érigent des obstacles sur des axes (activistes enchaînés à une voie de chemin de fer via un ''tube'' passant sous les rails, cabanes dans les arbres, etc.). « Face à ces nouveaux modes de contestation, apparus en France vers 2009-2010, nous ne disposions pas de moyens de réaction immédiate, car les gendarmes mobiles n'avaient ni le matériel ni de formation spécifique pour réduire ce genre d'incident », précise l'ADC Chochoy.
C’est donc dans ce contexte que la Cnamo a vu le jour en 2011.
Cette unité, composée de militaires équipés de moyens spécifiques, projetables en tout point du territoire, est dédiée aux désentravements complexes de personnes ainsi qu'au dégagement d'obstacles sensibles. Elle a vocation à être engagée au sein d'un Groupement tactique de gendarmerie (GTG), en appui des unités confrontées, lors de leur progression, à divers obstacles. Elle intervient également lors d'opérations sensibles (escortes de convois ferroviaires de déchets nucléaires, rassemblements de chefs d'État, etc.), nécessitant la coordination de plusieurs unités des forces mobiles. Dans ce cas, le commandant de la cellule reçoit ses ordres du commandant de Groupement opérationnel de maintien de l'ordre (GOMO) ou de GTG.
120 jours en mission extérieure
« Lorsque la Cnamo a été créée, il n'existait pas de doctrine d'emploi, précise le gradé. Nous étions seulement cinq militaires dotés de compétences diverses et variées (franchissement opérationnel, secours, etc.). Nous nous sommes donc logiquement tournés vers nos homologues allemands, confrontés à ce type d'interventions spécifiques depuis près de 25 ans. » Au gré des stages et des échanges entre les deux pays, le savoir-faire de la cellule s'est étoffé et les techniciens se sont aguerris.
Dès sa création, la cellule réalise des dossiers d'objectifs à Notre-Dame-des-Landes. Puis, elle est successivement engagée à Sivens, Roybon, Agen, Notre-Dame-des-Landes, Bure et Strasbourg. « L'équipe totalise 120 jours en mission extérieure depuis le début de l'année, précise l'ADC Chochoy. Les GTG commencent à savoir ce que nous sommes capables de faire, en verticalité comme en terrestre. »
Ajustement perpétuel aux modes d'actions de l'adversaire
Les interventions réalisées ces derniers mois, notamment à Notre-Dame-des-Landes, ont donné une orientation spécifique aux échanges franco-allemands. La Cnamo, organisatrice du séminaire cette année, a en effet choisi le thème de ''la violence de l'adversaire''.
« Nos homologues allemands ont très récemment fait face à de nombreux manifestants, installés dans deux immenses villages dans les arbres en forêt de Hambach. En termes d'intervention en verticalité, à part échanger sur nos techniques respectives, nous n'avons pas grand-chose à leur apprendre. En revanche, leurs adversaires sont, en général, bien moins vindicatifs que les nôtres. C'est en ce sens que notre expérience peut leur apporter un vrai ''plus''. » La cellule a ainsi mis en place des thèmes concrets, inspirés des dernières confrontations auxquelles elle a dû faire face dans les Zad.
Échanges et exercices concrets
Après une demi-journée d’échanges sur les expériences de l'année écoulée, onze spécialistes des Abteilungen de la Bundespolizei de Blumberg, Ratzburg, Hünefeld, Sankt-Augustin et Degendorf se sont ainsi retrouvés confrontés, le temps d’un exercice, à une dizaine d'activistes retranchés sur le toit d'un hangar. Le mode d'intervention est maîtrisé, même si la virulence des manifestants surprend quelque peu les techniciens allemands.
Le lendemain, ils doivent extraire un blessé d'une scène de crime, en assistance aux unités de police judiciaire. Selon le scénario, il s'agit d'un règlement de comptes entre bandes rivales. L'environnement dégradé doit donc être pris en compte, car des adversaires violents peuvent revenir sur les lieux. Principale difficulté : la scène n'est accessible que par un viaduc. Et quelques incidents ont été programmés au cours de l'exercice…
« Le déroulé du séminaire permet d'appréhender tout le spectre de l'intervention, rappelle l'ADC Chochoy. Ainsi, en fin de semaine, un exercice permettra de confronter nos camarades à des adversaires particulièrement agressifs. Face à un individu susceptible de mettre en danger leur intégrité physique ou celle de leurs camarades, ils devront adapter leur réaction en utilisant les moyens de force intermédiaire à notre disposition pour traiter ce genre d'incident, et que nous leur aurons préalablement présentés. »
Faire face à la virulence des opposants
Selon les membres de la cellule, la virulence des opposants rencontrés sur les Zad est l’une des principales difficultés auxquelles ils ont été confrontés. Projectiles divers, huile, excréments… les exemples de l'ingéniosité des activistes pour ralentir les interventions de la Cnamo ne manquent pas. Mais lorsque deux d'entre eux ont été ''gazés'' à Strasbourg, pendant un secours vertical, ils ont pris conscience que le mode d'action de leurs adversaires franchissait un nouveau palier.
« Lors de chacune de nos interventions, nous respectons un protocole, précise l'ADC Philippe Chochoy. Chaque opération de désentravement fait l'objet d'un enregistrement vidéo. Tant en raison des risques encourus pour les tiers que pour les militaires de la cellule ! Dans le même état d'esprit, le soutien sanitaire est impératif. » De même, la présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent, chargé de constater les circonstances de l'intervention, est obligatoire en toutes circonstances, notamment lorsque la cellule intervient auprès d'une personne qui présente un état de vulnérabilité manifeste (blessure visible, état de santé fragile, etc.)
Renforcement des liens franco-allemands
La différence des moyens et des matériels en dotation dans l’unité française et chez ses homologues allemands est l'occasion de comparer et d'échanger sur la pertinence des équipements et leur utilisation concrète en intervention. « Nous leur envions notamment leurs camions, permettant d'accéder rapidement à l'ensemble de leur matériel. »
Mais au-delà de ces considérations techniques, cette coopération permet parfois de mener des réflexions plus élaborées. « Notre double spécialité a notamment suscité l'intérêt de nos homologues. En effet, nous intervenons tant en verticalité qu'en milieu terrestre, alors qu'ils sont spécialisés en techniques et tactiques d'intervention en hauteur et en profondeur (TMHT) et doivent de fait faire intervenir une autre équipe pour désentraver une personne. L'intégration de cette composante terrestre est désormais à l'étude en Allemagne. »
La coopération franco-allemande va encore plus loin, puisqu'un livret sur le franchissement terrestre et vertical est en cours d’élaboration. « Il s'agit d'un livret commun avec des mots d'ordre, des mots-clés et des actions simples avec leur correspondance dans l'autre langue. Un projet nécessaire, car les gendarmes de la Cnamo ont également vocation à intervenir au profit de leurs camarades allemands », rappelle l'ADC Philippe Chochoy.
Danny Sue, gruppenführer (chef de groupe), est ravi du déroulé de ce nouveau séminaire. « A priori, on pourrait penser que la langue est une barrière, qu'elle pourrait occasionner des difficultés pour les échanges. Il n'en est rien. Selon les exercices et les thèmes abordés chaque année, nous mélangeons même parfois les équipes françaises et allemandes. La spécialité est identique, les techniques d'intervention sont les mêmes. Nous nous comprenons sur la tactique à adopter. Chacun profite de l'expérience de l'autre. Cette complicité technique entraîne, au final, de vrais liens de camaraderie et d'amitié. »
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