Journal de bord de la VCSM P613 Charente - épisode 3 : lutter contre la pêche illicite

  • Par le capitaine Tristan Maysounave
  • Publié le 11 octobre 2024
Gendarmes de La Charente abordant un bateau de pêche en action de pêche illégale.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

En Guyane, nous avons embarqué pendant plusieurs jours à bord d’une vedette de la Gendarmerie maritime. Dans ce troisième épisode, découvrez l’engagement de son équipage en matière de lutte contre la pêche illégale, notamment le trafic de vessies natatoires qui sévit dans ce département.

En début d’année, l’équipe de Gendinfo a réalisé un reportage d’un mois en Guyane. L’objectif était de valoriser les unités de gendarmerie implantées dans ce département et de raconter leurs engagements, souvent méconnus. À cette occasion, nous avons pu réaliser une immersion aux côtés des gendarmes de la Vedette côtière de surveillance maritime (VCSM) P613 Charente, commandés par le major Aurélien Coutant.

Forte d’une Zone économique exclusive (ZEE) de 126 000 km², la Guyane française dispose d’importantes ressources halieutiques, mais ne compte que 130 bateaux de pêche déclarés. Plus de 200 espèces de poissons sont recensées. Particulièrement prisé, l’Acoupa rouge fait l’objet d’un trafic de vessies natatoires. Les Chinois prêtent en effet à cet organe, qui permet au poisson de flotter, des vertus aphrodisiaques. Humide, le kilo se revend 150 euros sur les marchés asiatiques et jusqu’à 300 euros si celui-ci a été séché. En raison de la surexploitation de ce poisson dans les pays voisins et de l’absence de coopération transfrontalière dans ce domaine, les pêcheurs du Suriname, du Guyana et surtout du Brésil, se tournent vers la Guyane française qui présente encore d’importantes ressources d’Acoupa rouge. Travaillant à bord de tapouilles (bateaux en bois typiques de la région, NDLR), dans des conditions particulièrement précaires, ces pêcheurs se livrent à une pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), avec l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs familles. La Gendarmerie maritime, la Marine nationale et leurs partenaires ont fait de la lutte contre la pêche illicite l’une de leurs priorités.

Une lutte permanente

À l’aube, nous quittons le ponton auquel nous étions amarrés à Cayenne afin de nous diriger vers la réserve naturelle nationale de l’île du Grand-Connétable. Située au large de la Guyane, elle constitue un sanctuaire pour les oiseaux et la biodiversité. Avec ses eaux particulièrement poissonneuses, cette aire marine protégée attire les convoitises des pêcheurs français comme étrangers.

Le major Aurélien Coutant aux jumelles.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

À l’aide de ses jumelles, le major Coutant scrute les navires qui croisent aux abords de l’île. Les tapouilles étrangères, notamment brésiliennes, présentent des caractéristiques spécifiques. Outre des coques différentes des bateaux français, elles sont le plus souvent équipées de moteurs à deux temps. Les postes de pilotage diffèrent également. Le pavillon qu’elles arbore facilite enfin leur identification.

« Dans les eaux de la réserve, nous contrôlons aussi bien des bateaux français que des bateaux brésiliens, explique le commandant de la vedette. Lorsque nous interceptons un navire étranger, celui-ci fait l’objet d’un déroutement et d’une destruction en raison de sa présence dans une zone protégée. Cette mesure est dissuasive. Concernant les bateaux français, ceux-ci font l’objet de plusieurs sanctions. L’amende est la plus courante. La suspension des subventions reçues de l’Union européenne constitue également un outil efficace. »

À l’issue de sa surveillance dans les eaux du Grand-Connétable, La Charente poursuit sa route en direction de l’Approuague. De part et d’autre de l’entrée de l’estuaire, la côte présente des criques et des bras de mer dissimulés dans la mangrove de la réserve naturelle nationale des marais de Kaw-Roura. Ces sites peuvent abriter des tapouilles étrangères qui voudraient se protéger du mauvais temps ou des contrôles opérés par la Gendarmerie maritime et la Marine nationale.

Concentré, l’équipage se fie également au radar. Les marins guettent les comportements des navires évoluant le long de la côte.

« Nous déterminons une zone dans laquelle nous souhaitons effectuer des contrôles et nous observons les mouvements des embarcations au cours de notre navigation, détaille le major. Si un navire se met en route à notre approche, alors il peut s’agir d’une tentative de fuite. Nous procédons de la même manière lorsque nous opérons de nuit. Nous suivons les pistes radar en naviguant discrètement et nous allumons nos spots au dernier moment afin d’identifier l’embarcation. Lorsque nous nous trouvons à proximité du Brésil, les tapouilles essaient de gagner la frontière. Dans le cas contraire, elles tentent de rejoindre des eaux peu profondes afin d’entraver notre action et de se cacher en profitant du masque offert par la végétation de la forêt équatoriale. Dans certains cas, les pêcheurs illégaux n’hésitent pas à « beacher » le bateau afin de s’enfuir à pied et d’échapper aux contrôles. »

Rapidement, la surveillance effectuée permet d’identifier un navire suspect. Le major Coutant ordonne à l’adjudant Gabriel, son commandant en second et chef de quart, de faire route à vive allure en sa direction. Aux jumelles, il observe le va-et-vient des marins sur le pont de la tapouille, baptisée Emmanuel II. Ceux-ci se débarrassent du filet afin de gagner en vitesse, mais cette réaction ne suffit pas. Alourdie par le produit de sa pêche, l’embarcation ne dispose pas d’une motorisation lui permettant de semer la vedette des gendarmes. À son approche, le commandant de La Charente effectue les sommations réglementaires. Les marins de la tapouille obtempèrent rapidement et jettent l’ancre afin de stopper l’embarcation.

Le major Coutant ordonnant à la tapouille de s'arrêter.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

« Lorsque nous nous approchons d’une tapouille que nous souhaitons contrôler, nous mesurons le rapport de force, précise le commandant en second. En raison du montant que représente le produit de leur pêche, les tapouilles étrangères peuvent se montrer hostiles à notre action en recourant à la violence. Nous favorisons le contrôle de tapouilles filles, qui ne comptent que trois ou quatre marins à bord. Lorsque nous avons affaire à des tapouilles mères, plus conséquentes, nous observons d’abord la réaction de l’équipage et jugeons de l’opportunité du contrôle. En cas de doute, c’est un no go. »

Les gendarmes Benjamin, Pierre-Marie et Maxime constituent l’équipe de contrôle. Ils se sont équipés de leurs gilets pare-balles, de brassières et de leur armement. Leurs treillis manches longues, leurs masques et leurs tours de cou leur permettent de se protéger du soleil, des piqûres d’insectes et de garantir leur anonymat. Ils embarquent à bord du T.O., initiales de Thunder One, nom donné au semi-rigide embarqué à bord de La Charente. Celui-ci est piloté par l’adjudant Gwenaël.

Gendarmes de La Charente préparant la mise à l'eau du T.O.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

« Le semi-rigide est notre outil de contrôle, explique le major Aurélien Coutant. Il faut nous voir comme un escargot. La vedette transporte le personnel, les vivres, le soutien, la base logistique. Le semi-rigide nous permet de procéder au contrôle et de dérouter la tapouille vers des eaux saines et suffisamment profondes pour agir avec la vedette. »

L’équipe de contrôle aborde la tapouille et monte sur le pont. Pendant ce temps, les gendarmes maritimes restés à bord de la vedette procèdent à la recherche du filet largué précédemment.

« Retrouver le filet est primordial, souligne le major. L’équipage pourrait le réutiliser après le contrôle. Dans le cas contraire, un filet dérivant constitue un désastre écologique. »

À bord de la tapouille, l’adjudant Benjamin procède à la saisie du produit de la pêche sous la protection de ses camarades, Maxime et Pierre-Marie. Les poissons sont recensés puis rejetés à la mer. Plusieurs heures sont nécessaires en raison des importants volumes que les cales des tapouilles peuvent contenir. Les filets restant à bord sont saisis. Les gendarmes maritimes appréhendent également les panneaux de cale permettant de conserver la pêche au frais ainsi que l’outillage utilisé pour la découpe du poisson. Lorsque la situation le permet, la glace contenue dans les cales est également retirée.

« Nous avons échangé avec le capitaine, raconte le gendarme Pierre-Marie. Il dit que si nous retirons la glace, le bateau risque de se retourner. Vu son instabilité et son état, nous pensons qu’il dit vrai. Nous n’allons pas prendre le risque de l’enlever. La saisie des panneaux de cale les empêchera de conserver le poisson au frais. »

  • Gendarmes de l'équipe de contrôle sur le pont de La Charente avant mise à l'eau du T.O.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarme à l'approche de la tapouille sur le T.O.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarmes sur la tapouille.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarmes à bord du T.O à côté de la tapouille.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarmes de La Charente sur le pont de la tapouille.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarme de La Charente tenant un poisson dans ses mains sur le pont de la tapouille.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Pêcheur retirant le produit de sa pêche des cales sous le contrôle d'un gendarme de La Charente.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarmes de l'équipe de contrôle sur le pont de La Charente avant mise à l'eau du T.O.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarme à l'approche de la tapouille sur le T.O.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarmes sur la tapouille.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarmes à bord du T.O à côté de la tapouille.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarmes de La Charente sur le pont de la tapouille.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Gendarme de La Charente tenant un poisson dans ses mains sur le pont de la tapouille.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU
  • Pêcheur retirant le produit de sa pêche des cales sous le contrôle d'un gendarme de La Charente.
    © GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Le contrôle s’avère concluant. Les gendarmes maritimes saisissent 3 kg de vessie natatoire à destination du marché asiatique et plusieurs kilomètres de filet. À l’issue du contrôle, l’équipage est invité à rejoindre le Brésil.

Le major Coutant à la radio depuis la passerelle.
© GEND/ SIRPAG/ ADC BOURDEAU

Pendant l’opération, le major a repéré des mouvements à travers la végétation de la côte. Profitant du faible tirant d’eau du semi-rigide, l’équipe du T.O. se rend sur zone et découvre une tapouille mère et une tapouille fille amarrées à couple. S’appuyant sur leur expérience, ils parviennent à leur enjoindre de se séparer afin de conserver un rapport de force favorable et ordonnent la sortie de la première vers la haute mer afin de disposer de l’appui de la vedette. Après le contrôle, les gendarmes maritimes procèdent de la même façon avec la seconde embarcation. Les opérations s’achèvent alors que la journée touche à sa fin. Les gendarmes peuvent avoir le sentiment du devoir accompli. Ce ne sont pas moins de 6 tonnes de poissons, 33 kg de vessie natatoire et 13 kilomètres de filet qu’ils sont parvenus à saisir.

La police des pêches constitue le quotidien des gendarmes maritimes de La Charente. En effet, ils effectuent environ 130 contrôles chaque année, qui donnent lieu à une centaine de procédures. Ces contrôles sont également complétés par des opérations plus conséquentes visant les tapouilles les plus hostiles à leur action.

Opérations Mako et Mokarran : frapper plus fort

En réponse à la violence à laquelle peuvent être confrontés les équipages de la Gendarmerie maritime et de la Marine nationale, plusieurs opérations d’ampleur sont fréquemment organisées afin de permettre le contrôle des navires récalcitrants.

L’opération Mako se déroule une fois par an, d’octobre à novembre, pour une durée moyenne de trois semaines. Avec l’appui des Forces armées en Guyane (FAG) et de plusieurs partenaires, des gendarmes maritimes du département et de métropole arment un élément de renseignement chargé d’identifier les tapouilles à contrôler, ainsi qu’un élément d’intervention et un élément judiciaire, dont la mission est de les arraisonner. L’opération Mako est systématiquement précédée d’un stage Impact Guyane (Instruction maritime en vue de la projection active sur le théâtre de la Guyane, NDLR) se déroulant au Centre national d'instruction de la gendarmerie maritime (CNIGM), à Toulon.

La mission Mokarran est quant à elle menée trois fois par an, pour une durée moyenne de deux à trois semaines. Des gendarmes maritimes provenant de métropole pour constituer un pool police judiciaire, sont alors déployés afin de renforcer les unités de gendarmerie maritime locales, dans le traitement des équipages des navires se livrant à des opérations de pêche INN et déroutés par des commandos marine agissant depuis les Patrouilleurs Antilles Guyane (PAG). Ils participent alors au traitement judiciaire des capitaines et des équipages des navires contrevenants.

« Les tapouilles que nous ciblons pêchent depuis des jours dans les eaux guyanaises, explique le commandant en second de La Charente. Elles ont donc plusieurs tonnes de poissons à leur bord, ce qui représente un coût important. Ils ne veulent pas perdre la marchandise et vont donc au contact afin de nous dissuader de les contrôler. Ils nous lancent des bouteilles de gaz, des planches cloutées. Les groupes d’assaut constitués dans le cadre des opérations Mako et Mokarran permettent de saturer l’adversaire. Les navires dont les équipages ont fait preuve de violence sont systématiquement détruits, ce qui tend à favoriser la diminution des actes de rébellion à notre encontre. »

Ces deux opérations peuvent bénéficier du concours de la Section de recherches (S.R.) de Cayenne, qui est alors chargé de fournir du renseignement criminel.

En 2023, les actions menées par les différents acteurs engagés dans le cadre de la lutte contre la pêche INN ont conduit à la destruction de douze navires.

Ces opérations menées en mer sont complétées par d’autres conduites à terre, notamment par le Poste des affaires maritimes (PAM) de Cayenne.


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