En Nouvelle-Calédonie, la crise a démontré la pertinence de la chaîne de soutien intégré de la gendarmerie
- Par le capitaine Tristan Maysounave
- Publié le 31 octobre 2024

Militaires des différents corps (officier de gendarmerie, officier du corps technique et administratif, sous-officiers de gendarmerie et du corps de soutien technique et administratif de la gendarmerie nationale) ou personnel civil, ils racontent comment ils ont participé à la manœuvre exceptionnelle de soutien mise en œuvre pour répondre à la crise qui a secoué la Nouvelle-Calédonie à compter du mois de mai 2024.
Le 13 mai 2024, des émeutes contre le dégel du corps électoral éclatent en Nouvelle-Calédonie. Concentrées les premiers jours sur la zone du Grand Nouméa, elles s’étendent progressivement à l’ensemble de la Grande Terre, avec le blocage total de pans entiers du territoire. Confrontée à un véritable mouvement insurrectionnel, la gendarmerie déploie rapidement des moyens opérationnels exceptionnels. Elle projette notamment 35 Escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et renforce le dispositif d’intervention spécialisée sur place à hauteur de 180 militaires, grâce à la projection d’effectifs issus du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et de ses antennes. Le succès de cette manœuvre n’aurait pu être possible sans la mobilisation totale de la chaîne locale de soutien intégré, renforcée par des militaires projetés depuis la métropole.
Colonel Niels Deverre, chef d’état-major du Commandement de la gendarmerie pour la Nouvelle-Calédonie
« Mon rôle consiste à piloter le soutien opérationnel, logistique, financier et humain afin de donner aux échelons de commandement les moyens de réaliser les missions opérationnelles.
À partir du 13 mai, nous avons connu une perte de mobilité importante avec le blocage des axes majeurs. Les émeutiers avaient mis en place de nombreux barrages. Nous avons donc dû réaliser une montée en puissance inédite, avec l’acheminement de renforts exceptionnels dans des conditions dégradées. Les 45 km de route entre l’aéroport international et Nouméa n’étant pas sécurisés, l’État a mis en place un double pont aérien inédit. Entre la métropole et l’aéroport de Nouméa - La Tontouta, puis jusqu’à l’aéroport de Nouméa – Magenta, dont la piste est trop courte pour les vols long-courriers. Des avions Casa et des hélicoptères de manœuvre de l’armée de l’Air et de l’Espace effectuaient donc des norias entre les deux aéroports.
Nous avons reçu 1 000 renforts en une semaine. Nous avons accueilli jusqu’à 35 escadrons, ce qui allait bien au-delà de toutes les hypothèses planifiées. En conséquence, la chaîne de soutien a dû faire preuve d’énormément d’adaptation, en valorisant les contacts déjà établis avec les fournisseurs, les restaurateurs et les hôteliers, pour loger et nourrir ces renforts, alors même que les chaînes logistiques étaient paralysées. Dans certains endroits cela n’a pas été simple, car nous dépassions largement les capacités d’hébergement des hôteliers. Il a fallu ensuite être en mesure de tenir dans la durée. Je salue la réactivité de l’administration centrale, qui a projeté, dès les premières heures de la crise, des renforts spécialisés, notamment les logisticiens du Service de soutien à la projection opérationnelle (SSPO). Ces renforts ont épaulé la chaîne locale, permettant l’absorption de la charge de travail, mais ont aussi apporté une expertise qui n’était pas forcément disponible sur le territoire. Enfin, ils ont assuré la parfaite synergie avec les services de métropole et les autres acteurs institutionnels en Nouvelle-Calédonie.
L’autre point clé de la réussite a été la parfaite symbiose avec les Forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC). Leur soutien a été déterminant. Elles se sont mises en ordre de bataille et ont massivement mis leurs moyens et matériels à notre disposition. Les FANC ont notamment mobilisé leurs avions et hélicoptères afin de mettre en place le pont aérien. Les moyens aériens des FANC ont également été déterminants pour projeter des renforts dans les brigades isolées, parfois même assiégées, et pour mettre en sécurité les familles de gendarmes. L’interopérabilité entre la gendarmerie et les FANC a été remarquable.
La crise a démontré la pertinence du modèle de soutien intégré. La gendarmerie est maîtresse de sa chaîne de soutien et n’est pas tributaire de prestataires extérieurs. C’est aussi cette intégration qui lui confère sa capacité de montée en puissance rapide. Ses corps militaires de soutien constituent un atout. En raison de leur statut, ces personnels font preuve d’une disponibilité totale. Ils bénéficient par ailleurs, en outre-mer, d’un logement concédé par utilité de service, généralement en caserne, ce qui a permis de compter sur eux malgré le blocage des axes. Enfin, ils ont une formation militaire et disposent d’une arme de service, ce qui leur a permis de participer activement à la défense des casernes pendant la crise. Mais je veux aussi saluer l’engagement de nos personnels civils, dont certains ont travaillé littéralement jour et nuit, par exemple pour réparer les nombreux véhicules endommagés et préserver notre mobilité.
Il est important de renforcer l’attractivité des métiers de soutien et de valoriser leur rôle, tout en sensibilisant les jeunes recrues sur les engagements auxquels elles peuvent être confrontées. Servir en outre-mer constitue une expérience professionnelle enrichissante. Il est néanmoins important d’avoir à l’esprit que les engagements dans ces territoires peuvent se transformer en opérations de « théâtre intérieur », avec les mêmes facteurs d’adversité que les opérations extérieures.
Je retiendrai la capacité de mobilisation exceptionnelle de l’ensemble de la gendarmerie face à cette crise, de surcroît dans un contexte olympique, et la résilience de nos personnels. Cette expérience a encore renforcé ma fierté dans notre institution. »
Carol, cheffe du bureau soutien finances du Commandement de la gendarmerie pour la Nouvelle-Calédonie
« Nous sommes dimensionnés pour accueillir neuf escadrons et nous avons dû en soutenir 35. Les renforts sont arrivés rapidement. L’enjeu a été de les équiper et de les loger. Heureusement, le bureau soutien finances peut compter sur des personnels particulièrement impliqués. Nous avons dû trouver des véhicules, notamment en ayant recours à la location de manière massive. En raison des émeutes, les parcs automobiles des agences de location risquaient d’être incendiés, ils préféraient donc nous louer leurs véhicules. Nous avons également contacté les hôteliers. Nous avons dû trouver des solutions d’hébergement, souvent dans l’urgence. Certains gendarmes ont passé des nuits entières dans des hangars destinés à des véhicules Centaure ou à l’aérogare. La gendarmerie mobile a démontré toute sa résilience et sa capacité d’adaptation. La détermination et l’état d’esprit des gendarmes servant dans cette subdivision d’arme nous ont fortement aidés.
Il a également fallu nourrir tout le monde. Les quinze premiers jours, les restaurateurs n’avaient plus de matières premières. Nous avons distribué des milliers de rations de combat. Progressivement, nous avons mis en place de nombreuses conventions en nous appuyant sur nos réseaux professionnels et personnels. Certains jours, j’ai reçu plus d’une centaine d’appels. Le rythme s’est un peu calmé depuis la mi-août. Pouvoir participer à l’une des plus importantes opérations menées par la gendarmerie dans son histoire constitue une chance incroyable. »
Commandant Cédric, chef de bureau soutien finances, détaché au Commandement de la gendarmerie pour la Nouvelle-Calédonie en tant que chef de la cellule de coordination des moyens logistiques
« Assez rapidement, la gendarmerie a projeté d’importants moyens logistiques, qu’il s’agisse de ressources humaines ou de véhicules blindés. Nous sommes aujourd’hui rentrés dans une phase de stabilisation. La date du 24 septembre 2024 constituait néanmoins un point d’attention. Nous avons donc préparé un dispositif particulier en prépositionnant des unités feu partout sur le territoire, en complément de la dotation déjà détenue par les escadrons de gendarmerie mobile.
Je n’avais jamais connu une telle manœuvre dans ma carrière. Cette expérience m’a permis de travailler aux côtés de nouveaux camarades et de participer à une opération dépassant le cadre normal de ce que nous pouvons connaître habituellement. Je me sens bien mieux armé pour la suite de ma carrière. »
Adjudant Tommy, affecté au Centre de soutien automobile de la gendarmerie (CSAG) de Nouméa
« La gendarmerie a perçu beaucoup de véhicules afin d’équiper les unités arrivées en renfort. Elle a par exemple procédé à l’achat de 111 pick-up Toyota Hilux. En raison des émeutes, les véhicules faisaient l’objet de nombreuses crevaisons et de caillassages, nous obligeant à changer les vitres et les pare-brises. Nous continuions également à effectuer les révisions, tant sur les véhicules de location que ceux détenus par la gendarmerie. De nombreuses entreprises ont été incendiées. En conséquence, dès que nous trouvions un fournisseur disposant des pneus correspondants ou des bonnes pièces détachées, nous achetions le stock complet.
Nous avons bénéficié de renforts venant de la métropole. Nous étions répartis en trois équipes de huit. Afin de pouvoir répondre en permanence aux besoins, nous avons travaillé 24h/24 sous le régime des 3x8. Le rythme a été très soutenu, mais nous avons pu compter sur notre excellente cohésion. C’est aussi dans ce genre de situation que l’on perçoit l’intérêt du statut militaire.
Je ressens une véritable fierté d’avoir pu participer à cette manœuvre logistique. Je n’avais jamais vécu une telle expérience dans ma carrière. Mais c’est aussi pour ça que je me suis engagé. »
Major Christophe et adjudant Guillaume, affectés au Groupement de gendarmerie mobile (GGM) III/3 de Nantes, constituant le Groupement tactique gendarmerie (GTG) centre en Nouvelle-Calédonie
« Nous avons été déployés en Nouvelle-Calédonie dès le 19 mai 2024, en tant que Groupement tactique gendarmerie (GTG) centre. Positionnés à La Tontouta, nous avions pour missions de rétablir la viabilité de l’axe reliant l’aéroport à Nouméa, d’accueillir les unités arrivant en Nouvelle-Calédonie et de permettre leur transfert jusqu’à l’aéroport de Magenta, où elles étaient alors prises en compte par les autres GTG.
Nous avons vécu des moments particulièrement forts ces derniers mois. L’engagement auquel nous avons dû faire face est comparable à certaines situations que nous pouvons rencontrer en opérations extérieures. La gendarmerie mobile s’est particulièrement adaptée et a fait preuve d’une capacité de coordination remarquable. Nous avons mangé des rations de combat pendant presque deux mois. Notre génération avait déjà été confrontée à des opérations rustiques, ce qui n’était pas forcément le cas des plus jeunes. Ça restera une très belle expérience pour eux. »
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