Le major Franky, un « mordu de cyno » depuis 20 ans
- Par le commandant Céline Morin
- Publié le 29 avril 2025

Le 2 avril 2025, le major Franky et ses deux chiens, Phantom et Ouligane, ont été récompensés lors de la 5e édition des Trophées des chiens héros, dans la catégorie « sauvetage civil ». Au cours des quatre dernières années de collaboration, le trinôme du Groupe d'investigations cynophile (GIC) de Châteauneuf-sur-Loire, dans le Loiret, a en effet cumulé plus de 300 missions de recherche de personnes disparues et de criminels en fuite. Revenant sur ses 20 ans de carrière en tant que maître de chien, ce militaire passionné explique les défis et les spécificités de sa spécialité : le pistage opérationnel.
Lorsqu’il commence à parler de son métier et de ses chiens, le major Franky est inépuisable. La passion qui l’a conduit à rejoindre la gendarmerie il y a plus de 20 ans est toujours intacte.
En 2001, quand il intègre l’école de sous-officier de Châtellerault, à l’âge de 27 ans, c’est en effet avec la ferme intention de devenir maître de chien. À l’époque, il a déjà acquis une certaine expérience du travail avec les chiens dans le monde civil en effectuant des sauvetages aquatiques avec son terre-neuve. « Cette expérience, qui m’a fait découvrir l’univers de la cynotechnie, m’a plu au point de vouloir faire un métier avec un chien d’utilité, c’est-à-dire utiliser un chien au profit des autres. C’est d’ailleurs le sens de la devise du Centre national d’instruction cynophile de la gendarmerie de Gramat : “Toi et moi pour eux”. »
Le choix de la gendarmerie comme une évidence
Plusieurs administrations et corps armés offrent cette possibilité. Mais le jeune homme connaît déjà la gendarmerie pour y avoir accompli douze mois de service militaire dans le cadre d’un volontariat service long. Outre son attirance pour le cadre militaire, il sait aussi que l’Institution offre le plus grand nombre de possibilités en matière de cynotechnie et de travail olfactif. « En gendarmerie, beaucoup de spécialités cyno reposent sur l’odorat du chien ; il n’y a pas que l’intervention, c’est-à-dire le mordant », confirme-t-il.
Mais la cynotechnie est un cercle fermé très demandé et le jeune gendarme n’a alors aucune certitude de pouvoir y entrer. « Il y avait plus de demandes que d’offres. Je le constate encore aujourd’hui en tant que conseiller technique et chef de GIC. » Il décide de tout mettre en œuvre pour y parvenir rapidement, car l’âge limite pour accéder à la spécialité est alors fixé à 35 ans (contre 45 ans aujourd’hui). Et les planètes vont s’aligner. À sa sortie de l'école, il choisit la gendarmerie départementale, « qui concentre le plus gros des effectifs de maîtres de chien », et se retrouve affecté en brigade territoriale en Alsace. « À cette époque, il n’y avait pas de tests de présélection, il fallait avant tout se faire connaître. J’ai eu la chance d’être affecté sur une compagnie où il y avait deux maîtres de chien. J’ai pu les rencontrer et participer à des entraînements avec eux. » En 2004, quand son unité est dissoute, il se voit offrir l’opportunité de basculer au Peloton de surveillance et d’intervention de gendarmerie à Strasbourg, où un poste de maître de chien est à pourvoir.
Premier stage à Gramat : spécialité intervention
En avril de l’année suivante, le militaire part enfin suivre son premier stage de formation maître de chien à Gramat, où il découvre véritablement la cynotechnie en gendarmerie. « Je savais ce que c’était que d’avoir un chien en main, j’avais pratiqué l’obéissance et j’avais quelques notions de psychologie animale, d’autant que j’étais moniteur canin. Mais pour le reste, c’était une vraie découverte, même s’il peut y avoir des similitudes avec des disciplines pratiquées dans le civil, comme le mordant sportif ou certains pistages. C’est pour cela que concernant la gendarmerie, je parle bien de pistage opérationnel. »
Avec son premier chien, Franky est affecté au domaine de l’intervention, « une technicité qui nécessite à la fois de travailler le mordant et l’olfaction du chien. » Et de préciser : « On ne choisit pas forcément sa spécialité, on pourvoit avant tout des postes vacants. Mais j’étais tellement content d'aller en stage que je me moquais bien de la spécialité et de mon affectation future. J’étais prêt à partir n'importe où en France. Ce premier stage a vraiment été une belle expérience ! »
De l’intervention à la piste !
Avec Tango, il passe ainsi cinq ans au PSIG de Strasbourg. Puis, en 2010, une nouvelle opportunité s’offre à lui : intégrer un Groupe d’investigation cynophile (GIC) dans le département voisin. « Contrairement à un PSIG, où une partie des missions est détachée du chien, en GIC on devient spécialiste canin à part entière, et c’était précisément mon objectif. »
Le gendarme arrive donc à Meyenheim, dans le Haut-Rhin (68), en tant que chef d’unité. Il doit cependant changer de spécialité : ce sera désormais la piste. « C'est une discipline qui me plaît beaucoup. D’abord parce qu’elle est profondément utile. Elle est également complexe. Elle se pratique en effet le plus souvent en milieu ouvert, sur des terrains potentiellement dangereux, où la piste subit l’impact de la météo et de l’environnement, notamment humain. Elle vous oblige donc à vous remettre perpétuellement en question. Le pistage opérationnel est la discipline de l'humilité par excellence, une discipline dans laquelle vous restez apprenti toute votre vie. Je ne suis plus sorti de la piste depuis et ça me va très bien. »
Toutes les personnes recherchées ne se trouvent pas en situation de danger. Mais lorsqu'ils sont appelés sur une disparition inquiétante concernant par exemple des personnes âgées désorientées ou des personnes dépressives potentiellement suicidaires, les maîtres de chien savent qu’ils œuvrent au profit de la sauvegarde de la vie humaine. Les missions peuvent aussi concerner des personnes qui ont eu un malaise, qui se sont blessées, ou qui ont été victimes d'un acte criminel. « Le Graal de la piste, c’est bien évidemment de retrouver la personne vivante. Mais beaucoup de missions relèvent de l’impossible. Parfois, la piste s'arrête parce que la personne a pris un train, un bus ou une voiture… Cela peut être frustrant, mais le travail du chien permet quand même d'émettre des hypothèses et d'orienter les enquêteurs sur des pistes potentielles. »
Aux disparitions de personnes, qui constituent les trois quarts de ses missions, s’ajoute le volet judiciaire comprenant la recherche d'auteurs d'infractions, mais également d’indices. « Par exemple, si un suspect est interpellé et qu’on ne retrouve pas d'objet incriminant ou d’arme sur lui parce qu’il s’en est potentiellement débarrassé, on peut utiliser le chien pour refaire l’itinéraire entre le lieu d’interpellation et celui de la commission des faits. Ce type de mission est rare, mais elles sont très intéressantes au regard de leur impact sur l'enquête », explique-t-il, avant d'illustrer son propos : « Je suis intervenu sur un cas de cambriolage où le mis en cause a été interpellé à 800 mètres du lieu du délit, mais les bijoux volés avaient disparu… On les a retrouvés dans un buisson en remontant la piste avec le chien. On peut aussi être amené à refaire l’itinéraire d’une victime. J'ai déjà eu ce type de situation avec Ouligane. Une personne avait été retrouvée grièvement blessée, inconsciente. Son état ne permettait pas de l'auditionner. Le chien a alors été sollicité pour reconstituer l'itinéraire de cette personne. L’objectif est de permettre aux enquêteurs de cibler leur enquête de voisinage ou de récupérer des images de vidéoprotection et de déterminer avec quel tiers la victime a pu entrer en contact. Dans ce cas précis, il s'agissait d'une agression. »
Plus de 1 000 missions de pistage opérationnel en 20 ans
En 20 ans de carrière, avec ses cinq chiens successifs, le major Franky a ainsi réalisé plus de 1 000 missions de pistage opérationnel. Depuis quatre ans, il est accompagné sur le terrain par Phantom, un berger allemand de travail âgé de 5 ans, et par Ouligane, une Saint-Hubert âgée de 6 ans. Le premier est formé piste-défense et la seconde piste froide. Le 2 avril 2025, le trio du GIC de Châteauneuf-sur-Loire a été mis à l’honneur lors de la soirée annuelle des Trophées des chiens héros, dans la catégorie « chien de sauvetage civil ». Ensemble, ils ont totalisé plus de 300 missions de recherche de personnes disparues et de criminels en fuite. Le flair des deux chiens a ainsi permis de retrouver 46 personnes, dont 22 étaient encore en vie, et d’identifier ou d’interpeller dix auteurs de crimes et délits.
En pistage classique, le major Franky est appelé à intervenir dans les six départements du Centre-Val de Loire. Mais concernant la piste froide, pour laquelle il n’y a que douze chiens formés en gendarmerie, le militaire peut être sollicité dans des régions qui n’ont pas cette technicité : « Dans la zone de défense ouest, nous sommes deux dans cette spécialité, le second étant à Rennes. Lorsqu’il y a besoin d’un chien piste froide dans le Centre-Val-de-Loire, en Bretagne, dans les Pays de la Loire ou en Normandie, c'est prioritairement l’un de nous qu’on sollicite. Je me rends également de temps en temps en région parisienne, jusqu’en Bourgogne. »
Phantom et Ouligane : la carte de la complémentarité
Pour le militaire, Phantom et Ouligane sont plus que des compagnons de travail, ce sont des compagnons de vie, puisqu’ils vivent au domicile de leur maître et partagent sa vie de famille depuis l’âge de deux mois. C’est avec fierté que le major Franky parle d’eux : « Phantom est un chien très fusionnel et très respectueux. Il fait preuve d’une grande disponibilité et d’une grande abnégation. Il s’investit beaucoup et sur la durée ; il faut d’ailleurs être vigilant à ce qu’il ne s’épuise pas. Plus indépendante que Phantom, Ouligane est une chienne très sensible, dotée d’un grand nez. Elle réfléchit beaucoup et elle est capable de démêler des situations complexes, détaille le militaire. J’ai vraiment plaisir à travailler avec eux sur le terrain et de les avoir à la maison. »
En mission, ses deux chiens sont complémentaires : « Phantom peut travailler en pistage jusqu’à 24 heures après une disparition, ce qui est un délai important pour un chien piste-défense. Il est aussi plus polyvalent. Étant dressé au mordant, il est prioritairement engagé sur les recherches de malfaiteurs, jusqu’à la phase d’interpellation. Il possède aussi un module de détection, ce qui signifie qu’il peut travailler sur une zone ou dans un bâtiment et détecter une présence suspecte sans avoir d’odeur de référence ciblée, comme c'est d'usage pour le pistage. Ouligane est ce qu’on appelle un chien de piste froide. Elle peut intervenir dans des conditions plus compliquées, c’est-à-dire au-delà de 24 heures et dans une limite longue de 7 à 10 jours après la disparition, ou sur des terrains complexes, comme en zone urbaine. Au-delà de 10 jours, on sort du cadre d’emploi, même si j’ai effectué quelques pistages dans ces conditions avec Ouligane, notamment en 2024 dans le Loir-et-Cher, en forêt, terrain où elle excelle. »
Le délai entre la disparition d'une personne et l'engagement du chien est donc crucial. « En règle générale, plus on attend et plus les risques pour la vie de la personne recherchée augmentent. En outre, la piste se dégrade avec le temps et sous l’effet des conditions météorologiques, notamment de la chaleur, et quel que soit le chien engagé, son travail deviendra difficile. »
La distance est aussi un facteur de complexité : « Au-delà de 3 km, cela devient compliqué. J’ai l’avantage de pouvoir faire travailler mes deux chiens en relais sur des distances plus longues. Mais les cas de pistes remontées sur plus de 5 km sont exceptionnels. L'année passée, Ouligane en a remonté une sur 7 km, ce qui constitue mon record de distance depuis le début de ma carrière, avec une issue positive en prime. Mais la qualité de l’odeur est également fondamentale. Chaque mission de pistage nécessite donc une analyse approfondie en amont. »
D’anecdote en anecdote, le major Franky ne tarit pas d’éloges sur les capacités de ses deux compagnons de travail. Pourtant, il ne suffit pas d’avoir un bon chien, il faut aussi qu'il ait un bon conducteur. Dans la conduite d'une mission, le maître de chien reste un enquêteur. « Nous devons échanger avec les enquêteurs en charge. C’est à nous de trouver la bonne odeur de référence pour que le chien ne parte pas sur une mauvaise piste. Si un objet a été touché par plusieurs personnes, il faudra alors discriminer les odeurs. »
Sortir des sentiers battus à l’entraînement
Et le major d’insister sur l’importance de l’entraînement : « Quelle que soit la discipline, pour performer il faut s’entraîner. C’est pareil pour le chien. Même s’il est doté de bonnes qualités, il n’y a rien de magique. Il ne faut donc pas faciliter sa tâche lors de l’entraînement, car la réalité du terrain est souvent difficile. Même s’il faut aussi organiser des exercices plus ludiques, il est nécessaire de sortir des sentiers battus pour ne pas être pris au dépourvu le jour J. Il faut travailler dans des environnements variés, par exemple en montagne ou sur le littoral, ainsi que sur de nouvelles odeurs, comme celles d’enfants en bas âge, de personnes âgées ou de personnes malades, et surtout de personnes que le chien ne connaît pas ; on ne peut pas se contenter de rechercher les camarades de l’unité. Le travail est un concept humain ; les chiens ont besoin d’une dépense à la fois physique et intellectuelle. Quand on leur propose une activité de pistage, où ils doivent réfléchir et analyser, ça leur fait du bien, ils sont contents. En tant que maître de chien, il faut donc être besogneux, faire preuve de rigueur, savoir tirer parti de ses échecs pour rebondir et trouver des solutions à l’entraînement. Ce travail, on ne le fait pas seul. Le pistage opérationnel est une discipline qui nécessite en effet de travailler avec une équipe, des contrôleurs de piste, des conducteurs expérimentés, des traceurs. C’est ce qui permettra de progresser lors des entraînements », conclut le militaire, qui ne se sépare jamais bien longtemps de ses deux chiens… Un cas à part ? Dans une certaine mesure certainement, mais pas unique non plus, car dans cette spécialité, les liens entre les maîtres et leurs chiens transforment souvent le métier en passion !
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