OCBC : portrait d’un office spécialisé dans le trafic d’art

  • Par Pablo Agnan
  • Publié le 23 juillet 2020
© Pablo Agnan

Enquêter est un art, et qui de mieux que les enquêteurs de l’OCBC pour le prouver ? Depuis 45 ans, l’office central de lutte contre le trafic de biens culturels traque les criminels spécialisés dans le recel et le vol d’objets précieux. Encore (trop) méconnu du grand public, l’office a pourtant récemment fait la Une à l’occasion d’un coup de filet retentissant dans le milieu feutré du monde de l’art et des antiquaires parisiens. Portrait.

En juin 1943, les deux millions d’hommes des 9e, 2e et 4ePanzerarmee des forces de la Wehrmacht entament les derniers préparatifs de l’opération Zitadelle, plus connue sous le nom de Bataille de Koursk, la « dernière grande » offensive allemande. Pour rappel, plus tôt dans l’année, en février pour être exact, la 6e armée, commandée par le maréchal Paulus, capitulait à Stalingrad, complètement encerclée et acculée par les forces soviétiques.

Ce contexte incite les forces du Troisième Reich à effectuer un repli stratégique du Caucase vers les frontières de l’actuelle Ukraine. Malgré cette défaite, l’Allemagne Nazi domine encore toute l’Europe, de la Bretagne à l’ouest de la Russie, et continue sa politique de spoliation d’œuvres d’art. Un dépouillement estimé aujourd’hui à plus de cinq millions de tableaux et sculptures.

Un phénomène qui préoccupe outre-Atlantique. À 8 000 kilomètres de Koursk, la même année, le commandement militaire allié sculpte les derniers contours du Monuments, Fine Arts and Archives program (le « programme [de sauvegarde] de l'art, des monuments et des archives »). Plus connus sous le nom de Monuments Men, les membres de cette unité, au nombre de 350, sont originaires de treize nations différentes.

Leur unique mission est de récupérer les très nombreuses œuvres d’art pillées par les nazis à travers toute l’Europe. L’existence de cette unité a été popularisée d’abord en 2009, grâce au livre Monuments Men de Robert Edsel, puis en 2014, par l’adaptation cinématographique du même nom, réalisée par George Clooney, avec notamment Jean Dujardin.

Pillage d’antiquités en zone de guerre : le nouveau fléau

Si le 7art américain a largement participé à la renommée de cette brigade et de sa mission, la France, elle aussi, tente de le faire avec sa propre unité. Et cette fois-ci, c'est le petit écran qui s'est attaqué au sujet en 2017. Baptisée l’Art du crime, cette fiction policière tricolore a mis en lumière une autre troupe, 100 % française : l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC). Bien moins connu que la feue organisation américaine, cet office a pourtant fait la Une des médias en juin dernier, à l’occasion d’un coup de filet retentissant dans le milieu feutré du monde de l’art et des antiquaires parisiens.

Cinq personnes, « parmi les plus respectées dans le monde des antiquités à Paris, considérée comme l’une des places fortes mondiales du secteur », selon le Parisien, ont été interpellées par les enquêteurs de l’OCBC. Les membres de ce « club des cinq » sont soupçonnés d'avoir blanchi des antiquités et des œuvres d'art volées ou pillées dans plusieurs pays du Moyen-Orient en proie à l'instabilité politique. L’objectif de ce trafic, estimé à plusieurs dizaines de millions d’euros, était ensuite de revendre légalement ces œuvres à des particuliers fortunés, mais aussi à de grandes institutions culturelles, comme Le Louvre Abou Dhabi ou le MET de New York.

Cette enquête de longue haleine « a permis de mettre en lumière un mode opératoire bien huilé, qui durait depuis plusieurs dizaines d’années et met en cause des professionnels peu scrupuleux du marché de l’art », sourit le colonel Didier Berger, chef de l’OCBC depuis l’été 2018.

L’art de l’enquête

Si ce genre d’enquêtes devient de plus en plus récurrent, l’office ne limite pas son champ d’intervention au trafic d’antiquités pillées en zone de guerre. « Le bien culturel a une signification très large », insiste l’officier. En effet, en se référant à la définition de l’UNESCO, tous les objets dotés d’un intérêt historique, archéologique et artistique peuvent être considérés comme étant des biens culturels. Et tous ceux qui trafiquent illégalement ces objets peuvent se retrouver dans le viseur de l'OCBC.

Autant dire qu'ils sont nombreux : voleurs d'objets, receleurs, escrocs, faussaires... Selon le chef de l'office, ils ont néanmoins un point commun : « tous ont un lien direct ou indirect avec des professionnels du marché de l'art, qu’ils soient parisiens ou en province. » Les experts, chargés d’authentifier l’origine de l’objet vendu, « ont un rôle déterminant dans ce trafic. Or ils ne possèdent pas de statut juridique solide. Aucun diplôme n’est exigé pour être expert en œuvre d’art, c’est donc la porte ouverte à de nombreuses déviances observées.» Ils ne ressemblent en rien à l’image d’Épinal véhiculée par certaines fictions, comme dans Un beau voyou avec Swann Arlaud, et encore moins celle de Vincent Cassel dans Ocean Twelve.

« Un métier qui demande des capacités d’analyse et de pouvoir supporter une grosse charge de travail »

Face à ces « experts », les enquêteurs de l'OCBC, eux, ne se revendiquent pas comme des spécialistes en matière d'art. Si des formations à l'école du Louvre leur permettent de parfaire leurs connaissances dans ce domaine, ce sont avant tout des enquêteurs endurcis. « C’est un métier qui demande des capacités d’analyse et de pouvoir supporter une grosse charge de travail », résume laconiquement le colonel Berger. Cette grosse charge de travail représente une quarantaine d'enquêtes par an, pour seulement vingt limiers (dix gendarmes et dix policiers).

Analyse des pigments de couleur afin d’identifier un faux tableau.

© OCBC

Un travail de bénédictin donc, effectué depuis 45 ans au sein de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), à Nanterre. « Nous avions prévu de fêter notre anniversaire, mais c’est malheureusement tombé durant le confinement », regrette le colonel Didier Berger. Historiquement, l’office a été créé pour lutter contre « des faits liés à la délinquance d’appropriation en rapport avec le monde de l’art, notamment les vols dans les musées, dans les châteaux et dans les églises. » Cette délinquance a évolué. Aujourd’hui, les enquêteurs concentrent leurs investigations sur « des affaires liées à la délinquance économique et financière touchant le monde de l’art, du faux à la tromperie, en passant par l’escroquerie et le blanchiment, portant sur des enjeux financiers très élevés. L’objet d’art est un vecteur très prisé pour le blanchiment d’argent sale, et le faux (œuvre d’art, certificat d’authenticité) est une menace avérée pour le marché. »

La France, 4e au classement du patrimoine mondial de l’UNESCO

Selon l’UNESCO, le trafic d’art serait le « 3e trafic au monde », derrière celui des armes et de la drogue. Une affirmation « difficile à mesurer », aussi bien pour le chef de l’office que pour Interpol. Depuis plusieurs années, l’organisation policière internationale déplore un véritable déficit de remontée d’informations. Et pour cause, dans le monde, les unités comme l’OCBC sont très rares. « Les carabiniers italiens sont les plus nombreux, avec 200 personnels. Les Espagnols comptent une vingtaine d’enquêteurs », détaille l’officier.

Mais après, c’est le vide sidéral : les Belges et les Anglais ont seulement et respectivement deux et trois personnes dédiées à ce domaine d’investigation. Quant aux Américains, « ils montent en puissance sur cette thématique, notamment au sein du FBI et du HSI (douanes américaines). Ils ont bien appréhendé les enjeux liés à l’interconnexion potentielle entre le trafic d’antiquités provenant du Proche et Moyen-Orient et le financement du terrorisme », avant de préciser : « même si cela reste encore à démontrer sur le plan judiciaire. »

Avec la vingtaine d'enquêteurs, plus la dizaine de personnels administratifs, l'OCBC fait donc figure de bon élève. Et comme tout crack, il cherche continuellement à s’améliorer. Si 60 % des dossiers de l’office concernentla plaque parisienne, le reste concerne la province. « Les régions PACA, bordelaise, frontalières avec la Suisse, sont des lieux de résidence de particuliers disposant d'un niveau de vie élevé. Elles sont propices à de nombreuses escroqueries basées sur des objets d’art. Nous avons même repéré de fausses galeries d’art destinées à vendre des œuvres contrefaites ou à détecter des victimes potentielles d’escroqueries avec des préjudices très élevés. »

« Nous nous positionnons dans la complémentarité avec les unités… Notre connaissance des rouages, parfois obscurs, du marché de l’art peut s’avérer déterminante dans la résolution d’une affaire ou l’exploitation d’un renseignement »

Pour relayer son action, l'OCBC dispose de 80 correspondants au sein des Sections de recherches (S.R.) et des SRPJ (police). Mais, selon le colonel Didier Berger, cela reste encore insuffisant : « Historiquement, nous travaillions avec les S.R. et les Brigades de recherches (B.R.) locales », explique-t-il, avant de renchérir : « mais les opportunités d’échanger avec les unités ont progressivement diminué avec la baisse du nombre de vols dans les églises et les châteaux. »

Une évolution qu'il souhaiterait infléchir : « Je me suis fixé pour objectif de développer les partenariats et les échanges d’informations avec les unités de gendarmerie. Nous nous positionnons dans la complémentarité avec elles. On ne revendiquera jamais la direction d'enquête si l’unité souhaite la conserver. Notre connaissance des rouages, parfois obscurs, du marché de l’art peut s’avérer déterminante dans la résolution d’une affaire ou l’exploitation d’un renseignement. »

Découverte d'un atelier de fabrication de faux tableaux en 2018.

© OCBC

Malgré les enjeux financiers colossaux, « l'hétérogénéité des réglementations sur le plan international ne facilite pas la transparence des transactions. » Pourtant, les circuits du marché de l'art, eux, s'internationalisent et les criminels profitent de « l’existence de zones franches », comme à Genève, au Luxembourg, aux Émirats arabes unis (EAU) et même au Delaware, aux États-Unis, pour dissimuler leurs œuvres d’art. Ces lieux, à l'instar des paradis fiscaux, « renforcent l’opacité de ce trafic et rendent le travail de traçabilité des objets culturels et de leurs flux financiers, plus complexe. »

Ces difficultés à la pelle n'empêchent pas l’office d'obtenir de beaux succès. Fin décembre 2019, les enquêteurs ont interpellé, en flagrant délit, six individus d’origine chinoise et espagnole, projetant un casse au musée chinois du château de Fontainebleau. En 2015, l'appui de l'OCBC à la S.R. de Bourges avait permis d'interpeller trois individus suspectés d'un vol au château de Fussy (18). Leur butin, estimé à 1 500 000 euros, comprenait quatre véhicules, dont une Aston Martin et une Maserati, 80 tableaux, une dizaine de statues et d'autres objets de valeur.

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