Montée en puissance du dispositif de lutte contre l’immigration clandestine sur le littoral nord
- Par la capitaine Sophie Bernard
- Publié le 30 décembre 2020
Face à l’augmentation massive de migrants tentant de traverser la Manche, le groupement de gendarmerie du Pas-de-Calais (GGD 62) a intensifié, début décembre, sa Lutte contre l’immigration clandestine (LIC), en élargissant son dispositif. Organisés en Brigade de gestion des événements (BGE), les gendarmes locaux surveillent les côtes, renforcés par 90 réservistes, dont les deux tiers viennent de différentes régions de France.
Zodiacs, pédalos, paddles, canoës, voire même piscine gonflable ou radeau improvisé avec des bouteilles d’eau… Depuis maintenant deux ans, le phénomène des small boats s’est amplifié sur le littoral nord. Alors que les migrants essayaient auparavant de rejoindre le Royaume-Uni essentiellement par les voies terrestres, ils sont de plus en plus nombreux à tenter la traversée des eaux glacées de la Manche, en s’aventurant plus au nord ou au sud.
London calling, le phénomène
Si cela s’explique notamment par le barriérage et le renforcement des contrôles sur les axes et au niveau de l’Euro-tunnel, le Brexit et le rétablissement des frontières lié à la crise sanitaire ne semblent pas non plus étrangers au phénomène : « Nous avons constaté une augmentation massive des tentatives de traversée entre les deux phases de confinement, mais aussi après chaque annonce liée au Brexit », remarque le colonel Frantz Tavart, commandant le groupement de gendarmerie départementale du Pas-de-Calais.
Iraniens, Irakiens, Syriens… Ils sont des centaines, chaque mois, à vouloir gagner les terres britanniques, dans l’espoir d’une vie meilleure. Beaucoup comprennent l’anglais, voire le pratiquent, certains ont déjà un réseau installé là-bas, et tous pensent que, sur place, le marché ultra libéral leur permettra de trouver plus facilement un travail. Mais le London calling n’est souvent qu’un mirage et la traversée de l’autoroute maritime peut virer au drame. « Il y a une réelle dimension humanitaire dans cette mission. Sept migrants ont péri dans ces eaux cette année ! », déplore le colonel.
Opération Poséidon
Si les gendarmes locaux tentaient déjà d’endiguer le phénomène, renforcés par 45 réservistes issus du Pas-de-Calais et des autres groupements de la région des Hauts-de-France, le dispositif a été élargi ces dernières semaines. Cela s’inscrit dans la volonté du président de la République, exprimée en novembre dernier, de renforcer le contrôle aux frontières face aux crises sécuritaire et sanitaire, en doublant les forces engagées. À l’instar de « Limes » aux frontières avec l’Espagne et l’Italie, ici l’opération « Poséidon » consiste à contrôler la zone afin d’empêcher toute traversée.
Dès le mois de novembre, trois Brigades de gestion des événements (BGE) ont été instituées dans le groupement. Placées au cœur du dispositif, elles sont constituées de 40 gendarmes volontaires issus des unités locales. Cela évite ainsi de désorganiser les brigades et permet de guider les 90 réservistes venus en appui. D’autant que parmi ces renforts, près des deux tiers ne connaissent pas le secteur, puisque pour doubler les effectifs, la gendarmerie a fait appel à des réservistes volontaires venus de différentes régions de France.
En cette première quinzaine de décembre, 48 réservistes des Sections de réserve territoriale (SRT) de Normandie, d'île-de-France et du Grand Est ont ainsi gagné le Pas-de-Calais. Un Détachement de surveillance et d’intervention réserviste (DSIR), composé de douze personnels issus de toute la région des Hauts-de-France, vient s’y ajouter. Celui-ci est renouvelé chaque semaine. Tous sont logés sur place, afin d’éviter les convocations quotidiennes, de réduire les temps de déplacement, mais aussi de mieux couvrir les 70 kilomètres de côte, en se répartissant trois secteurs s’étendant du nord de Marquise au sud de Neufchâtel-Hardelot. Enfin, une trentaine de réservistes « locaux » complètent le dispositif en sillonnant la côte de Oye-Plage et de Merlimont.
Une mission réserviste hors norme
C’est une mission pas comme les autres qui attend ces réservistes issus des quatre coins de France. D’une part, elle nécessite une réelle disponibilité, puisqu’ils sont employés sur place plusieurs jours durant et assurent une permanence 24 heures/24, alternant des patrouilles de trois toutes les six heures. C’est aussi une expérience humaine, puisqu’ils sont logés, par binôme, dans les chambres d’un même hôtel. « C’est une très belle mission pour un réserviste ! La variété des profils (NDLR : anciens de l’arme, agents de sécurité, étudiants, etc.) est très enrichissante et source de cohésion », remarque le chef de la SRT Normandie.
Une mission atypique également, car ils ne connaissent pas la région. « Les gendarmes des BGE les aident à s’approprier le terrain. Des services conjoints sont programmés en début de mission, pour leur montrer les lieux les plus propices où les passeurs peuvent cacher du matériel, voire des migrants », explique le chef d’escadron Alexandre Gerland, commandant la compagnie de Calais. En cas de découverte de matériels (gilets de sauvetage, zodiacs, moteurs, etc), les réservistes contactent les BGE, qui se chargent de les saisir. En fonction de leur état, ils sont jetés ou entreposés avant d’être réattribués, par une commission administrative, à d’autres unités, à la SNSM, voire à des clubs de voile. De même, s’ils trouvent des migrants, les réservistes se chargent de les secourir, avant que les militaires ne contrôlent leur identité et contactent la Police aux frontières (PAF), pour les suites à donner en matière de procédure, tout particulièrement lorsqu’un passeur est identifié au milieu des migrants.
Une diversification des moyens
En deux ans, les passeurs ont largement eu le temps de s’approprier eux aussi le terrain et de s’organiser. Attentifs à la météo, ils connaissent bien la cartographie et profitent des spécificités du terrain (dunes, bosquets, blockhaus, falaises, etc.) pour mieux camoufler migrants et matériels en zone d’attente. Aussi, les patrouilles sillonnent les plages, empruntent les nombreux chemins côtiers, repèrent les éventuelles caches, tout en recherchant du renseignement au contact de la population.
Les gendarmes peuvent également compter sur différents moyens financés en partie par les Britanniques. La majorité des traversées s’effectuant la nuit, des lunettes thermiques leur permettent de repérer toute activité humaine. Les compagnies sont également dotées de véhicules 4X4 pour récupérer plus facilement le matériel retrouvé. Formés aux premiers secours et au pilotage d’embarcation, les militaires du Peloton de surveillance et d'intervention gendarmerie (PSIG) de Marck expérimentent, pour leur part, des patrouilles nautiques, afin d’obtenir une vue dégagée des côtes. Un ballon captif, gonflé à l’hélium et équipé de caméras, devrait même être installé prochainement sur le littoral.
Autant de moyens engagés qui font déjà leurs preuves ! « Depuis une semaine, il y a moins de matériel retrouvé sur les plages et de passeurs en repérage. Il semblerait que notre présence soit particulièrement dissuasive et qu’ils se sentent obligés de se ré-articuler », observe, avec satisfaction, le chef de la SRT Grand Est.
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