Haute-Garonne : les gendarmes gardent le contact avec les victimes de violences intra-familiales

  • Par le commandant Céline Morin
  • Publié le 03 mai 2020
Depuis son domicile, la maréchal des logis-chef Magalie prend chaque jour contact avec les victimes de violences conjugales identifiées durant la période de confinement.
Depuis son domicile, la maréchal des logis-chef Magalie prend chaque jour contact avec les victimes de violences conjugales identifiées durant la période de confinement.
© Région de gendarmerie d’Occitanie

Face à l'augmentation des cas de violences au sein des foyers depuis le début du confinement, le groupement de gendarmerie de Haute-Garonne a mis en place une cellule de circonstance afin de garder le contact avec les victimes identifiées durant cette crise. Évaluer la situation, les fragilités et les besoins, détecter les situations préoccupantes afin d'y dédier une surveillance particulière, telles sont les missions quotidiennes de deux gendarmes toulousaines.

 

Le confinement tend à exacerber les Violences intra-familiales (VIF) dans les environnements qui y sont déjà propices, tout comme il tend à en générer dans des familles jusqu'alors préservées. Avec les restrictions de déplacement, pas d'échappatoire aux tensions, pas de soupape pour libérer le stress généré par le confinement, seulement une cohabitation permanente... avec parfois un conjoint ou un proche violent. Les autorités ont rapidement pris la mesure du danger tapi à l'intérieur même des foyers. Les dispositifs d'alerte ont ainsi été renforcés, offrant aux victimes plusieurs moyens de signaler leur situation : le 17 bien-sûr, le 39-19, le 119 pour l'enfance en danger ou encore, depuis le 31 mars dernier, le SMS au 114. Elles peuvent aussi contacter, 24h/24 et 7j/7, la brigade numériquevia les réseaux sociaux, le tchat ou un formulaire, ou encore signaler une situation de violence, de façon anonyme et gratuite, sur la plateforme gouvernementale arretonslesviolences.gouv.fr. Des points de contact ont également été mis en place dans les centres commerciaux et dans les pharmacies, où les victimes peuvent se signaler. Enfin, malgré les mesures de confinement, il leur est rappelé qu’elles peuvent fuir en cas de danger pour signaler la situation aux forces de l’ordre ou se réfugier chez des proches. Ces différents services s’adressent aussi bien aux victimes qu’aux témoins de situations de violences.

Mise en place de dispositifs de contact et de suivi des victimes

Très vite aussi, les Groupements de gendarmerie départementale (GGD) ont pris cette problématique à bras-le-corps, afin de prévenir l'augmentation des violences intra-familiales sur leur territoire, en détectant les situations à risque. C'est ainsi que différents dispositifs de suivi et de contact avec les victimes de VIF ont été mis en place à travers le territoire, au niveau des groupements ou des compagnies, à l'instar de la cellule de circonstance créée dans le département de la Haute-Garonne depuis la fin mars.

Au cours des dix premiers jours de confinement, la lieutenante-colonelle Caroline Auzeville, chef du Bureau Sécurité Publique Partenariat (BSPP) de la Région de gendarmerie d’Occitanie, constate en effet une forte augmentation des VIF, de l'ordre de plus 120 %, et tire le signal d'alerte.

L'activité du BSPP se trouvant logiquement réduite du fait des mesures de confinement et de la suspension induite des opérations de police judiciaire, d'ordre public ou encore de prévention, l'officier décide de réorienter les cinq militaires sous ses ordres sur de nouvelles missions. Son idée est de soulager les unités de terrain, largement engagées au quotidien dans les opérations de contrôle, tout en permettant aux personnels de son bureau de participer à l'effort collectif en ayant une utilité au niveau opérationnel, en dépit, pour certains, du confinement imposé du fait de leur situation personnelle.

D.R.

Deux militaires en télétravail au contact des victimes

Fin mars, elle scinde ainsi le BSPP en deux cellules, l'une dédiée au contact avec les veuves et veufs des militaires de la gendarmerie et la seconde au suivi des victimes de VIF durant la crise du COVID-19.

Coordonnée par un adjudant-chef du BSPP, la cellule est armée par une maréchale des logis-chef également affectée au BSPP et une gendarme du Centre opérationnel de la gendarmerie (COG). « Ces deux militaires ont été placées très tôt en confinement sur décision du commandement, mais elles souhaitaient vraiment participer à la mobilisation de la gendarmerie dans ce contexte particulier, confie la LCL Auzeville. Particulièrement expérimentées et dotées d'une appétence et d'une expérience avérées dans le domaine de la prévention et du traitement des violences conjugales, elles ont immédiatement affiché un réel enthousiasme pour cette mission spécifique temporaire. »

Détecter les situations à risque

Concrètement, toutes deux sont chargées de prendre contact par téléphone avec les victimes de VIF, identifiées à l'occasion des interventions pour différends familiaux survenues durant la période de confinement. Sur la base d'un questionnaire ciblé, élaboré pour l’occasion par une association partenaire, France Victimes 31, les deux militaires évaluent la situation, mettent en exergue les éventuelles fragilités ou les besoins et surtout peuvent détecter une aggravation depuis l'intervention de la gendarmerie qui nécessiterait une intervention rapide et une prise en charge accélérée de la victime.

C'est d'ailleurs une autre plus-value apportée par le BSPP. Travaillant tout au long de l'année en lien avec de nombreuses associations d'aide aux victimes, ses personnels sont ainsi en mesure, dans le cadre de cette cellule de suivi, de s'appuyer sur ce réseau afin d'accompagner une victime qui en aurait besoin.

« Les situations jugées préoccupantes sont signalées à l'unité compétente et font l'objet d'un suivi particulier dans le cadre des services de surveillance, explique la LCL Auzeville. L’adjudant-chef à la tête de la cellule centralise en effet les fiches des deux opératrices et les transmets aux unités concernées en soulignant les points de vigilance. La brigade sait ainsi exactement les contacts qui ont été pris et éventuellement ce qu'attend la victime en termes de prise en charge ou de discrétion. »

Cette cellule de circonstance, qui ne traite que des faits survenus durant le confinement, vient ainsi compléter le suivi réalisé par ailleurs par les unités territoriales à l'attention des victimes connues pour des faits antérieurs au confinement et faisant l'objet de procédures judiciaires.

Cette vigilance est plus que jamais de mise, puis qu’après une brève accalmie début avril, les VIF sont reparties à la hausse. En moyenne, sur la période allant du 17 mars au 15 avril, le groupement de Haute-Garonne a ainsi enregistré une augmentation de plus de 80 %.

La maréchal des logis-chef Magalie à l'écoute

Depuis son bureau improvisé dans son appartement, la maréchal des logis-chef Magalie explique sa mission, dont la première étape consiste à aller rechercher dans les compte-rendus opérationnels toutes les interventions relatives à des différends familiaux, « pas seulement les cas de violences caractérisées, cela peut être des disputes. Je repère aussi les interventions où des enfants étaient présents. »

Puis, après les avoir classées par ordre de priorité, elle contacte la victime via le numéro stipulé dans la fiche rédigée par l'unité intervenante. « J'appelle en numéro masqué. En l'absence de réponse, je laisse systématiquement un message expliquant que j'appelle de la part de la gendarmerie pour connaître l'évolution de la situation, précise la chef. J'effectue en général trois appels, en laissant à chaque fois un message, toujours avec beaucoup de bienveillance. Dans le dernier, je rappelle notamment tous les numéros d'écoute et d'alerte à leur disposition pour pouvoir être pris en charge en cas de souci : le 17, le 39-19, le 114 ou encore le numéro de l’association France victimes 31, avec laquelle on travaille ». Ces dispositifs, la chef les rappelle bien évidemment à chaque victime qu'elle a au bout du fil.

À la suite du premier contact, guidé par le questionnaire fourni par France victime 31, la chef Magalie est à même de juger de la situation. « En fonction de certains critères, je peux décider d'effectuer un second appel la semaine suivante pour voir si la situation n'a pas évolué, ou bien, quand je sens une situation complexe ou pouvant être amenée à dégénérer, je le signale dans le tableau récapitulatif que je transmets tous les soirs à mon chef de cellule, et dans lequel je précise mes orientations, que ce soit une vigilance particulière de l'unité territoriale ou une transmission à l'Intervenant social de la gendarmerie (ISG), par exemple, souligne-t-elle. Certaines victimes essaient de minorer les faits, en pointant leur caractère exceptionnel. Pour ma part, en revanche, je ne minimise jamais l'intervention. Et le fait même que nous les appelions montre bien que nous prenons chaque situation au sérieux et qu'elles ne sont pas oubliées. »

Une démarche bien accueillie

Sur la trentaine d'appels passés chaque jour, la chef parvient en moyenne à entrer en contact avec une dizaine de victimes, parmi lesquelles des femmes comme des hommes. Les entretiens peuvent durer jusqu'à une trentaine de minutes. « Il arrive que l'on déborde un peu du cadre du questionnaire. Entre le contexte du confinement et le fait que j'aborde leur problème avec une dynamique différente des procédures classiques de la gendarmerie, les gens ont tendance à davantage se livrer, à expliquer le contexte familial, économique... »

Et la démarche plaît ! L'accueil est positif, à de rares exceptions près, au point d'étonner la chef.

« Pour avoir été sur le terrain pendant 15 ans, je sais que ce n'est pas toujours évident, mais là, honnêtement, je n'ai eu que des retours positifs. Mes interlocuteurs, femmes comme hommes, sont très contents de recevoir notre appel. Même quand ils estiment que tout va bien, ils sont satisfaits de la démarche. »

Et pour la gendarme aussi, l'expérience est réussie : « C'est une mission qui me satisfait complètement. C'est un domaine qui me tenait particulièrement à cœur quand j'étais en unité et là, en étant moi-même confinée, je retrouve ce contact avec le terrain, qui me permet de me sentir utile. En plus tout se joue dans la bienveillance, il n'y a pas de procédures derrière. C'est vraiment du contact. »

Des résultats probants

Depuis la mise en place de la cellule, 181 victimes ont été contactées par téléphone. Parmi elles, 31 n'ont pas répondu, sept ont sollicité un hébergement d'urgence, vingt-six ont souhaité l'intervention de l'ISG pour une prise en charge au plan social, neuf ont demandé à être rappelées régulièrement durant le confinement pour être tenues au courant des suites de l'enquête ou du fait de leur inquiétude quant au comportement de leur conjoint. Enfin, douze personnes ont été identifiées comme se trouvant dans une situation préoccupante et ont été signalées à l'unité territorialement compétente pour un suivi adapté. Certaines victimes ont rappelé les militaires pour leur signaler que leur situation avait favorablement évolué, notamment avec le départ du mis en cause, treize conjoints violents ayant en effet quitté le domicile et deux autres ayant été hospitalisés en psychiatrie.

Une levée progressive du dispositif

Cette cellule de circonstance prendra fin progressivement à compter du déconfinement. « L'idée n'est en effet pas de rendre brutalement cette mission aux unités, mais de la faire perdurer le temps que celles-ci retrouvent une activité normale, conclut la LCL Auzeville. Et comme beaucoup d'événements dont le BSPP s'occupe, à l'instar des courses cyclistes, sont susceptibles d’être annulés, nous ne devrions pas avoir de difficulté à maintenir la cellule jusqu'aux vacances scolaires. »

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Numéros d'urgence

  • Police - Gendarmerie : 17
  • Pompier : 18
  • Service d'Aide Médicale Urgente (SAMU) : 15
  • Sourds et malentendants : www.urgence114.fr ou 114 par SMS
  • Urgence Europe : 112

Sécurité et écoute

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  • Maltraitance personnes âgées ou en situation de handicap : 39 77

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