Le 45e Bataillon de chars de combat de la gendarmerie à Stonne

  • Par le Lieutenant-colonel (r) Édouard Ebel, Service historique de la Défense
  • Publié le 12 juillet 2020
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Une décision du 15 mai 1933 instaure un « groupe spécial autonome de garde républicaine mobile », qui s’organise autour de deux compagnies de chars et une d’automitrailleuses Panhard. Installé à Satory, dans l’ouest parisien, il est initialement équipé de chars Renault FT17. Cette unité vient renforcer le dispositif du maintien de l’ordre mis en place au sein de la gendarmerie en 1921. Peu de temps après sa création, ce corps est rebaptisé du nom de « groupe spécial blindé de garde républicaine mobile », qui est rattaché à la première légion de Garde républicaine mobile (GRM).

Dès 1939, 3 500 gendarmes de la GRM sont mobilisés pour protéger les frontières et assurer l’encadrement des compagnies de frontaliers mobilisées sur la ligne Maginot et des groupes de reconnaissance de l’infanterie. En Moselle par exemple, la compagnie de Longeville-lès-Saint-Avold se bat avec succès contre les Allemands. Tirant les leçons de la Première Guerre mondiale, où le rôle des gendarmes dans sa mission de prévôté avait été critiqué, l’institution décide de mettre en place une unité combattante destinée à participer directement au conflit.

La création d’une unité de combat

La création du 45e Bataillon de chars de la gendarmerie (BCG) résulte d’une directive ministérielle du 26 octobre 1939. L’état-major de l’armée hésite un temps à accepter la sollicitation de la gendarmerie, au moment où il a un fort besoin d’une force prévôtale1. L’accord est finalement donné pour instaurer une formation composée de dix-neuf officiers de gendarmerie, deux d’infanterie, 266 gradés et gendarmes, dix sous-officiers d’infanterie et 269 caporaux et chasseurs, pour un total de 566 hommes. L’appel aux volontaires suscite des candidatures de gendarmes du groupe spécial et de la gendarmerie départementale, ainsi que d’hommes issus du 505e régiment de chars de combat de Vannes. Rapidement, la nouvelle unité s’organise sous la direction du capitaine Bézanger, malgré la pénurie de matériel et les dysfonctionnements – qui vont jouer un rôle important dans la défaite. Le 15 mars 1940, une note du grand quartier général prévoit la création de la 3e division cuirassée, qui stationne à Reims et doit être organisée en deux demi-brigades, la 5e équipée de chars lourds et formée par les 41e et 49e Bataillons de chars de combats (BCC), et la 7e de chars légers H 39, constituée par les 42e BCC et le 45e BCG. L’infanterie comprend le 16e bataillon de chasseurs portés. Le 28 avril 1940, les troupes et les chars sont envoyés à Boult-sur-Suippes et Bazacourt, où l’instruction se poursuit.

Le 45e BCG à Stonne

Les événements s’accélèrent avec l’invasion du 10 mai 1940. Alerté le 12 mai, le bataillon a pour ordre de se déplacer en direction du Nord-Est. Le 14, il se porte vers le bois de Raucourt, où il se livre à quelques actions limitées, puis se dirige vers le village de Stonne, dans les Ardennes. Ayant reçu l’ordre d’appuyer l’infanterie qui tient la bourgade, il participe du 15 au 19 mai aux violents combats qui l’opposent à la 10ePanzerdivision. Les attaques s’engagent le 15 mai pour la possession de Stonne et d’une butte appelée « pain de sucre », ancien tumulus de l’époque gallo-romaine. Les régiments d’élite allemands se heurtent à une défense acharnée des positions françaises. Du 15 au 18 mai, la commune est prise et reprise six fois par les belligérants, dénotant l’âpreté des engagements.

Le 18 mai au matin, le 45e BCG ne dispose plus que de cinq chars intacts, malgré toute la ferveur et l’énergie engagées pour réparer au plus vite les blindés. Les engins, privés de direction, sont ainsi employés à la lisière des bois pour contrôler les débouchés du champ de bataille. Ces combats retardateurs permettent aux unités de chars d’éviter momentanément une percée des adversaires. Ce répit est mis à profit pour réparer un matériel qui a beaucoup souffert. À titre d’exemple, un des blindés a subi les impacts de dix-huit obus antichars.

Les combats de Tannay

Le 19 mai 1940, le 45e BCG est envoyé quelques kilomètres en arrière, dans le village de Tannay. L’unité prend ses positions dans la matinée du 23 mai et parvient à repousser les Allemands, notamment dans les bois du mont des Cygnes et aux lisières du bois de Sy. Ils viennent alors porter assistance aux éléments de cavalerie accrochés à Tannay. Les 2e et 3e compagnies, commandées par les capitaines Delpal et Gobet, se portent en avant sous un feu très concentré d’artillerie et de bombardements aériens. La 3e compagnie atteint assez rapidement son objectif et parvient à établir la liaison avec l’infanterie française. Il s’avère cependant impossible de dépasser la crête militaire de la cote 276. Une seconde vague d’assaut est nécessaire pour procéder à l’arrêt des adversaires. Un officier allemand évoquera plus tard ces « Français qui ne veulent à aucun prix abandonner Tannay et l’importante cote 276 ». Cette journée coûte la vie à deux officiers, deux sous-officiers et deux gendarmes du 45e BCG, alors que l’on déplore onze blessés. L’unité est ensuite regroupée le 25 mai pour s’y réorganiser. Malgré les efforts et les récupérations sur le terrain, une vingtaine de blindés seulement sont en état de fonctionnement le 7 juin.

Le 45e BCG participe alors à des combats retardateurs2. L’ennemi s’étant infiltré, les militaires de l’unité se placent aux ordres d’un groupement blindé de la 3e division cuirassée. Le 45e bataillon participe à une grande contre-attaque dans le village de Perthes, ce qui permet un moment de mettre un frein à l’avancée allemande. Le 11 juin, l’unité est envoyée vers la rivière de la Suippe. Là encore les affrontements sont rudes. Le 12 juin par exemple, la 3e compagnie perd ses trois derniers chars, tandis que le reste du bataillon est quasiment anéanti. Débute alors une retraite qui prend fin le 17 juin.

Le bilan des combats

Au cours de ces combats, les pertes se chiffrent à trente tués, quatre disparus et 59 blessés sur un effectif total de 566 officiers, gradés, gendarmes et chasseurs. Trente-quatre chars sur quarante-cinq ont été détruits. Dans une allocution prononcée le 6 juillet 1946, à l’occasion de l’inauguration du monument de la gendarmerie à Versailles, le général Buisson, commandant de la 3e division cuirassée, soulignera les « actes d’héroïsme » du 45e BCG et ses hommes « qui ne connaissent qu’une consigne : obéir, se battre jusqu’au dernier, ne jamais se replier sans ordre, tenir, les dents serrées, à un contre dix et mourir en soldat, la tête haute ». Ces combats, de l’aveu même des adversaires, ont mis en lumière le courage et l’énergie des soldats. Ils amèneront le ministre des Forces armées, Pierre Teitgen, à citer à l’ordre de l’armée le 45e bataillon de chars légers de la gendarmerie : « Belle unité de chars de combat, composée d’éléments de la gendarmerie, animée comme cette dernière du sentiment de devoir et remarquablement imprégnée par la noblesse de la discipline. Sous le commandement du chef de bataillon breveté Bézanger, a participé brillamment à tous les combats de la 3e division cuirassée en mai et juin 1940, jusqu’au sacrifice total de tous ses chars, remplissant les missions confiées avec une généreuse ardeur et un sens tactique très sûr […] a mérité pleinement une place d’honneur dans les annales de gloire de la gendarmerie ».

Les militaires de la 3e division d’infanterie motorisée et de la 3e division cuirassée de réserve auront opposé une résistance farouche aux Allemands, mettant hors de combat 12 000 d’entre eux. Ces engagements ont momentanément préservé les voies menant à Paris et vers la vallée du Rhône, retardant ainsi d’un mois l’avancée allemande3. Au plan stratégique la bataille de Stonne tourne plutôt à l’avantage des Allemands, car elle ne fait que freiner le grand mouvement des Panzerdivision visant à prendre à revers l’armée française entre Sedan et Dunkerque. Il est sûr que la hâte dans l’organisation de la défense a nui à la cohésion des troupes. Les problèmes matériels ont également joué un grand rôle dans le dénouement des combats. Le manque de communication entre les blindés par exemple, de même que les pénuries d’essence ou encore le défaut de pièces de rechange ont eu des effets délétères sur l’efficacité des unités.

Le bataillon de chars, seule unité opérationnelle de gendarmerie pendant la campagne de France, disparaît après la signature des accords d’armistice, le 22 juin 1940. Cependant, dès 1944, une nouvelle force blindée de gendarmerie est instaurée. Installée à Satory, elle prend le nom en 1954 de Groupement blindé de la gendarmerie mobile (GBGM). Conçu comme une réserve gouvernementale, le GBGM servira en Algérie et sera intégré dans le dispositif de la défense opérationnelle du territoire.

 

 

1 - TÊTEVUIDE Clément, Des chars pour les gendarmes ? Du Groupe spécial blindé au 45e bataillon de chars légers de combat de la gendarmerie, de sa genèse, à partir de 1933, à la campagne de 1940, master II, sous la dir. de Jean-Noël Luc, Paris-Sorbonne, 2015, 135 p. (publication dans la revue Force publique. Revue de la SNHPG, n° 10, 2016).

2 - DAGNICOURT Éric (chef d’escadron), « Le 45e Bataillon de Chars de la Gendarmerie », Histoire de Guerre, Blindés & Matériel, n° 82, avril-mai 2008, pp. 26-35.

3 - AUTANT Jean-Paul, avec le témoignage et la contribution de LEVIEUX Jean-Pierre, La bataille de Stonne, mai 1940. Un choc frontal durant la campagne de France, Nice, Éditions Bénévent, 2009, 372 p.

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