Les plongeurs du tombant des Américains, une enquête de la gendarmerie maritime de Nice

  • Par le chef d'escadron Charlotte Desjardins
  • Publié le 16 avril 2024
Une grosse caisse métallique, comportant un cable jaune, est extraite de la mer. Sur la gauche de l'image, deux hommes à bord d'un cannot pneumatique, supervisent la manoeuvre
© D.R.

Les 7 et 12 décembre 2023, deux corps non-identifiés sont repêchés en Méditerranée. L’enquête est conduite par la Brigade de gendarmerie maritime (BGMAR) de Nice.  

C’était il y a 31 ans, le 4 décembre 1993. Daniel, 36 ans, Christian, 40 ans et Philippe, 22 ans, explorent le tombant des Américains, falaise sous-marine mythique du Cap de Nice, aujourd’hui appelée tombant Orlamonde. Mais ce jour-là, un seul d’entre eux est remonté…
Le 30 octobre 2023, la brigade de gendarmerie maritime de Nice reçoit l’appel d’un centre de plongée niçois. Un de leurs plongeurs, lors d’une sortie technique au trimix au tombant Orlamonde, a vu ce qui semble être un corps humain à 115 mètres de profondeur… Il a laissé une ligne de vie en jalon à une quinzaine de mètres de sa découverte et alerté le club une fois ressorti. Les gendarmes avisent alors le magistrat de permanence de la découverte et l’enquête commence sous la direction de l’adjudant Yann.

La plateforme du Jason, remorqueur de haute-mer
© BGMAR Nice

De la technique et de l’imprévu

Dès le départ, une question se pose : comment descendre à une telle profondeur ? La gendarmerie ne dispose pas de cette technicité. Une réquisition extérieure s’impose. Avec l’accord du magistrat, l’adjudant Yann fait alors appel au Centre expert dans la plongée humaine et l’intervention sous la mer (CEPHISMER). Ce dernier possède des robots téléopérés appelés « ROV » (Remotely Operated Vehicle) qui, guidés par un opérateur depuis la surface, peuvent descendre jusqu’à une profondeur de 2 000 mètres.
Le CEPHISMER ne disposant pas d’embarcation, il faut dès lors trouver un navire support pour conduire les opérations. Le Bâtiment de soutien, d’assistance et de dépollution (BSAD) Jason, un navire des services français impliqué dans l’action de l’État en mer, est mis à disposition pour les recherches, qui commencent le 7 décembre 2023, à 9 heures.
« Il a fallu commencer par retrouver le jalon qui débutait à 40 mètres sous la surface, explique l’adjudant Yann. Une cage a été accrochée au remorqueur, un peu comme un ascenseur. Elle est descendue dans les profondeurs, permettant au ROV de sortir de sa cage pour commencer à travailler. Il utilise des techniques de balayage sur un secteur de 200 m², et on trouve le corps à 16 heures, à 103 mètres de profondeur ! »
Si la combinaison de plongée et la bouteille sont bien là, le corps ne présente pas de tête. Le masque, les mains, ainsi que l’ordinateur de plongée manquent également à l’appel.
« On fait alors un rayonnement autour pour essayer de trouver ces petits éléments, avant de soulever de la vase. En faisant une recherche circulaire, on trouve un second corps, à 13 mètres de distance du premier et à 113 mètres de profondeur », précise l’enquêteur.
Débutent alors les opérations de récupération du premier corps, très délicates. « Le ROV a des pinces hydrauliques, et on n’a pas la perspective de profondeur puisqu’il a seulement deux caméras. Après plusieurs tentatives, on finit par saisir la dépouille de manière assez sûre, et une cage est descendue depuis le remorqueur. Mais on n’a jamais réussi à y mettre le corps, malgré tout ce qui avait été anticipé par le CEPHISMER avec les éléments qu’on leur avait donnés », ajoute le gendarme. Pourtant, les marins du Centre avaient travaillé de nombreux scenarii, pour envisager les difficultés, mais les choses ne se sont passées tout à fait comme prévu.
Qu’à cela ne tienne, les militaires savent s’adapter, et mettent en œuvre une manœuvre non-conventionnelle : ils font remonter le robot dans sa cage, laissant dépasser les pinces qui maintiennent le corps et opèrent la remontée. Le procédé est technique et rendu d’autant plus difficile en raison des courants, des mouvements de plateforme du bateau…
À 20 heures, le corps est remonté à la surface et un zodiac est mis à l’eau pour le récupérer, nécessitant une fine coopération entre l’équipe du semi-rigide et les techniciens dirigeant le ROV depuis l’intérieur d’un container sur le Jason. Une fois le premier corps remonté à bord, les opérations sont suspendues pour être reprises le 12 décembre afin de prendre en compte la seconde dépouille.

Un travail d’enquête jusque sur les quais

Au-delà des opérations de récupération des corps, l’enjeu majeur reste leur identification. Aussi, le Directeur d’enquête (D.E.) contacte-t-il dans un premier temps le Service central de renseignement criminel (SCRC) de la gendarmerie, à Pontoise. Mais les critères de recherche transmis ne donnent aucun résultat.
« Je me suis donc rendu dans les centres de plongée historiques de Nice à la recherche de vieux plongeurs qui pourraient se souvenir d’une telle disparition. Plusieurs histoires me sont remontées sur le tombant des Américains. L’une d’entre elles a attiré mon attention, située dans les mémoires collectives entre 1992 et 1995, évoquant deux disparus à 60 mètres de profondeur, mais aussi un survivant », poursuit le D.E.
Aidé par les plongeurs, l’adjudant Yann finit par identifier une disparition en décembre 1993, celle de Christian et Daniel. Au cours de ses recherches, il recueille des photos de leur équipement habituel de plongée, dont l’un présente un code couleur bien spécifique, choisi par son propriétaire au moment de son assemblage [NDLR : à cette époque, ces combinaisons ne s’achètent pas toutes faites ; le plongeur se rend chez le fabricant qui possède des pièces assemblées en demi-mesure]. C’est ce code au découpage et aux teintes si particuliers qui, en premier lieu, oriente le gendarme dans son enquête dès lors qu’il voit le retour des images du ROV lors des opérations en mer. Bien sûr, les couleurs sont un peu délavées, mais l’ensemble reste très reconnaissable.
« On a alors cherché le responsable du centre concerné par cette disparition, qu’on a retrouvé et entendu, poursuit le D.E. Cette personne nous a donné un certain nombre d’éléments complémentaires, des descriptions sur leur matériel personnel, les marques des équipements : une combinaison étanche pour l’un et humide pour l’autre, le fait que l’un avait une bouteille personnelle, et le second une du centre de plongée. Les deux hommes, qui faisaient partie du noyau dur du centre, se connaissaient très bien et avaient une réelle maîtrise de leur matériel. » C’est ainsi que le gendarme maritime obtient les coordonnées du troisième plongeur qui a survécu, cherchant à s’assurer de l’identité complète des victimes, à retrouver leurs familles, et à être éclairé sur les circonstances et la date du drame.

Roches sous marines

Recherches du ROV sur les fonds marins

© D.R.

Un accident

Philippe, le seul du groupe à avoir survécu, revient pour l’enquêteur sur ce qui s’est passé le 4 décembre 1993. Après une sortie d’une vingtaine de minutes dans le tombant des Américains, les trois hommes décident de remonter pour rejoindre le Poséidon. Ils sont alors à 60 mètres, mais seuls Philippe et Daniel entament la remontée. Christian ne réagit pas. Ses deux amis le rejoignent alors immédiatement, identifiant un éventuel problème. Mais malgré leurs signaux, toujours rien. Suspectant une narcose, plus connue sous le nom d’« ivresse des profondeurs », ils entament un protocole d’assistance… mais sont toujours en train de descendre.
Alors qu’ils interviennent auprès de Christian, Philippe perd connaissance et lorsqu’il se réveille, il est en train de remonter, happé vers la surface et entraîné par son matériel au cours de l’assistance. Il remonte sans pouvoir marquer le moindre palier. Pris en charge à sa sortie de l’eau, il passe huit jours en caisson hyperbare à l’hôpital Pasteur de Nice.
Tandis qu’il y est transporté, le CROSS, avisé de l’accident, entame des recherches immédiates, qui se poursuivent pendant plusieurs jours, avec le soutien d’un hélicoptère de la sécurité civile, la participation de la toute récente BGMAR de Nice, celle des pompiers, et l’aide de plongeurs des centres… En vain.
Quant à Philippe, lorsqu’il accède à ses paramètres de plongée, il comprend qu’au cours de la descente, ils ont atteint les 75 mètres…

Confirmer les identités par l’ADN

Les recherches toxicologiques menées à la suite de l’autopsie démontrent l’absence de médicament ou de drogue dans les organismes des deux victimes. Par ailleurs, cette étude des corps ne révèle rien de particulier, et l’ensemble concorde avec le témoignage du rescapé, amenant le D.E. à conclure à un accident de plongée.
Des prélèvements sont ensuite réalisés pour procéder à des comparaisons ADN. Mais pour ce faire, l’adjudant Yann doit encore retrouver les familles et leurs adresses, ce qu’il parvient à faire avec l’aide des états civils et la consultation de divers fichiers.
« Il a fallu faire preuve d’une approche humaine très particulière, car c’est délicat, 30 ans plus tard, de leur dire qu’on a retrouvé leurs proches, et de leur demander s’ils avaient des enfants pour procéder à une analyse ADN en vue d’une comparaison et d’une recherche en parentalité », confie l’adjudant. À leur retour, les analyses indiquent 99,9 % de lien de parentalité avec les enfants pour les deux disparus, confirmant leurs identités.

Vue trois quart arrière droite du Jason, remorqueur de haute mer sur les flots; au fond à droite, une vedette de la gendarmerie maritime
© BGMAR Nice

Une enquête atypique

Cette enquête si particulière résonnera encore longtemps pour l’adjudant Yann, lui-même plongeur et moniteur dans le civil. Que ce soit par son cadre, la particularité de la découverte, les nombreux éléments techniques, les interlocuteurs si divers, et plus encore le fait de rendre ces hommes à leurs familles, trente-et-un ans plus tard. « C’est une affaire qui me restera longtemps en mémoire », conclut-il.

Les services qui ont accompagné le D.E.

- BGMAR de Nice
- SCRC
- TIC du Groupement de gendarmerie départementale des Alpes-Maritimes
- CEPHISMER

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