Coopération internationale : une trentaine de trafiquants de civelles pris dans les filets des gendarmes, douaniers et policiers européens

  • Par le commandant Céline Morin
  • Publié le 14 mai 2023
Dans un hangar à double étage, servant de vivier clandestin, un enquêteur de l'OCLAESP, une enquêtrice espagnole du SEPRONA et un agent d'Europol, vus de dos, devant des bassins contenant des civelles.
© OCLAESP

Une vaste opération judiciaire a été déclenchée en France, en Espagne et en Pologne, ce mercredi 10 mai 2023, afin de démanteler un réseau international de trafic de civelles. La semaine précédente, des opérations avaient également été menées sur le territoire belge. Au total, les forces de sécurité européennes ont interpellé 27 trafiquants présumés. D’après les investigations, près de 4 tonnes d’alevins ont été exportées frauduleusement entre 2021 et 2023, pour un bénéfice estimé à près de 1 186 000 euros.

Particulièrement recherchées dans certains pays d’Asie, les civelles, également appelées pibales, ne sont autres que les alevins de l’anguille européenne (anguilla anguilla). Autrefois abondantes dans les eaux européennes, et notamment françaises (de la mer du Nord à la frontière espagnole), ces dernières font aujourd’hui partie des espèces en danger critique d’extinction, selon le classement de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Sa pêche est donc fortement encadrée par la réglementation, et soumise à des quotas très stricts. En outre, en 2010, l’Union européenne en a interdit l’exportation en dehors de ses frontières, et ce à tous les stades de maturité.

Mais cette forte décroissance de la population d’anguilles, conjuguée à une demande qui elle ne faiblit pas, se traduit par une envolée du prix de vente des civelles, qui se négocient aujourd’hui à plus de 5 000 euros le kg en moyenne sur le marché asiatique. De quoi attiser la convoitise de braconniers et de trafiquants, organisés en véritables réseaux criminels.

Pour lutter contre ce trafic international d’ampleur, des opérations de contrôle sont régulièrement menées au niveau européen, à l’instar de l’opération Lake, placée sous l’égide d’Europol, comme au niveau national. Conduites aussi bien sur les zones de braconnage, dans les vecteurs de transport ou encore au niveau des transactions commerciales (traçabilité), elles associent le plus souvent les différents services concernés, comme, pour la France, la gendarmerie, les douanes, l’Office français de la biodiversité (OFB), les Directions inter-régionales de la mer (DIRM), ou encore les Directions départementales des territoires et de la mer ainsi que les Délégations à la mer et au littoral (DDTM/DML), etc. Des actions coordonnées qui permettent de prendre de nombreux trafiquants dans les filets, à l’instar de la vaste opération coordonnée au niveau européen qui a permis d’interpeller une trentaine de trafiquants présumés ce mois-ci.

Des irrégularités administratives éveillent les soupçons

C’est d’ailleurs lors d’un contrôle préalable à une opération de repeuplement dans le lac de Cazaux (33), il y a bientôt deux ans, que les inspecteurs de l’OFB relèvent des infractions relatives à la traçabilité des stocks de civelles au sein d’une société de mareyage. Sur la base de ces irrégularités administratives, une enquête préliminaire est ouverte au Pôle régional de l’environnement du parquet de Bayonne le 25 août 2021.

Les premières investigations ayant démontré l’existence d’un réseau lié à la criminalité organisée, une information judiciaire est alors ouverte à la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Bordeaux, qui co-saisit le détachement de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) de Bordeaux, le Service des enquêtes judiciaires des finances (SEJF – Unité Sud-Ouest), et l’OFB, aidés de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), ainsi que les gendarmes des Sections de recherches (S.R.) de Bordeaux et de Pau, qui vont dès lors coordonner leurs investigations.

Un agent de l'OLAF, une enquêtrice de la Guardia civil, un enquêteur de l'OCLAESP et un agent de l'OFB, en civil, avec une chasuble aux couleurs de leur unité d'appartenance, vus de dos, devant l'entrée d'un bâtiment dont sort un autre gendarme de l'OCLAESP.
© OCLAESP

Une exportation frauduleuse de près de 4 tonnes de civelles entre 2021 et 2023

Rapidement, avec l’appui d’EUROPOL, d’EUROJUST et de l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), une Équipe commune d’enquête (ECE) voit le jour, permettant d’unir les efforts des enquêteurs français et ceux du SEPRONA (Servicio de Protección de la Naturaleza), unité spécialisée de la Guardia civil espagnole, dédiée à la lutte contre les crimes environnementaux.

Les investigations issues de cette coopération européenne vont rapidement confirmer les soupçons de détournement de la législation aux fins d’exporter en contrebande des quantités importantes de civelles vers l’Asie. Elles mettent également en évidence l’existence, à la tête de ce trafic, d’une bande organisée utilisant la frontière franco-espagnole pour tenter de dissimuler ses activités délictuelles avec l’Asie. Des techniques spéciales d’enquête sont alors mises en place des deux côtés de la frontière, afin de déterminer le rôle des différents protagonistes de ce réseau criminel et l’implication à différents niveaux des acteurs de cette pêche. Mareyeurs, responsables commerciaux et pêcheurs prélèvent en effet hors quotas cette espèce réglementée et en tirent d’importants gains financiers.

Le commanditaire de ce détournement hors quotas, portant sur plusieurs tonnes de civelles au cours des saisons de pêche 2021/2022 et 2022/2023, est identifié, de même que des filières d’exportation illégale vers l’Asie, démontrant la présence de ce réseau dans différents pays européens. Des liens avec des intermédiaires asiatiques, installés en région parisienne et organisant les exportations en contrebande par les aéroports européens, sont également décelés. Ces intermédiaires utilisent aussi des installations implantées en Belgique, qui ont été la cible d’opérations conduites par la police fédérale belge début mai 2023.

Au total, les enquêteurs parviennent à matérialiser l’exportation frauduleuse de près de 4 tonnes de civelles entre 2021 et 2023, pour un bénéfice estimé à près de 1 186 000 euros.

Opération coordonnée en France, en Espagne et en Pologne

Mercredi 10 mai 2023, une vaste opération judiciaire est déclenchée simultanément en France, en Espagne et en Pologne, mobilisant plus de 115 agents, parmi lesquels des gendarmes de l’OCLAESP, des policiers, des enquêteurs du SEJF, ainsi que des inspecteurs de l’OFB et de la BNEVP.

Elle conduit à l’interpellation de quatre commanditaires sur le territoire français, où un vivier clandestin fait l’objet d’une perquisition. Des civelles de contrebande et du matériel pour le stockage et la ré-oxygénation des alevins y sont saisis.

En Pologne, des vérifications sont réalisées dans une société censée recevoir des civelles destinées à des opérations de repeuplement, mais que les enquêteurs suspectent de servir d’écran aux exportations de contrebande vers l’Asie.

En Espagne, une vingtaine de cibles sont également interpellées par les enquêteurs du SEPRONA. De nombreuses saisies sont effectuées : environ 200 000 € en numéraire, près de 900 000 € en biens patrimoniaux, des civelles de contrebande, des véhicules, etc.

Au total, ce sont ainsi 27 membres de cette bande organisée qui ont été interpellés en France, en Espagne, en Pologne et en Belgique au cours des différentes opérations, mettant ainsi un sérieux coup d’arrêt au trafic de cette espèce réglementée.

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