L’OCLAESP pilote de la lutte contre les trafics de médicaments
- Par le commandant Céline Morin
- Publié le 09 août 2019
Très lucratif, le trafic de médicaments, notamment psychotropes et dopants, est devenu un enjeu de santé publique d’ampleur mondiale. L’opération MISMED, lancée en 2016 dans le cadre d’une priorité Europol, par l’OCLAESP et les douanes finlandaises, est reconduite depuis. Pour la troisième édition, les deux pilotes historiques de cette action souhaitent fédérer toujours plus de pays autour de cette problématique, ainsi que le secteur privé et les acteurs de la Justice.
Depuis plusieurs années, les données centralisées par Europol montrent une augmentation croissante des trafics de médicaments, orchestrés par des réseaux criminels organisés, attirés par un marché dix à vingt fois plus lucratif que les stupéfiants, selon Interpol, tout en présentant moins de risques d’interpellations et des sanctions pénales plus faibles. « Les enjeux financiers sont colossaux. Selon les chiffres finlandais, un cachet de Subutex, qui coûte environ 2 euros dans une pharmacie française, se revend 50 euros sur le marché noir à Helsinki, 100 euros au nord de la Finlande, et varie entre 300 et 400 euros en prison, présente le général Jacques Diacono, chef de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP).
Trafics de médicaments détournés d’usage
L’Europe fait face à une double problématique. Tout d’abord un afflux sur les marchés parallèles de médicaments psychotropes, le plus souvent détournés de leur usage à des fins stupéfiantes ou dopantes. Majoritairement sortis de la chaîne légale française, ces produits alimentent principalement les pays d’Europe du Nord et de l’Est, mais aussi les pays du Maghreb, de l’Afrique, de l’Océan indien, ainsi que le marché français, où l’on enregistre une forte consommation de médicaments détournés d’usage. Commencent également à poindre des trafics de produits comme les hormones de croissance et les anticancéreux, pouvant être détournés à des fins dopantes, ou trafiqués pour être revendus dans des pays où ils sont rares et/ou extrêmement chers.
Ce trafic intéresse d’autant plus les criminels qu’il ne nécessite aucune logistique particulière, ni d’investissement initial. En effet, en France, les trafiquants se procurent ces médicaments directement en pharmacie, sur présentation d’une ordonnance (de complaisance, falsifiée ou volée), ou par le biais de vols en milieu hospitalier et chez les grossistes répartiteurs. La France travaille d’ailleurs sur le développement des ordonnances dématérialisées pour éviter les falsifications et les vols. D’autres pays, comme la Hongrie, sont en revanche à l’origine de flux de médicaments contrefaits, qui sont au mieux inefficaces, au pire très dangereux.
Dopage : des produits contrefaits vendus via Internet
L’autre problématique concerne les produits dopants, principalement des stéroïdes anabolisants ou des hormones de croissance, en provenance d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord, pour lesquels la France, où leur consommation est interdite, fait partie des pays destinataires. Les différentes enquêtes ont révélé que ces produits sont, pour l’essentiel, issus de la contrefaçon, venant accroître la dangerosité de leur consommation.
Ces trafics passent essentiellement par Internet, via des sites hébergés en Amérique du Nord ou dans des pays comme Chypre. Les flux sont difficiles à chiffrer, sauf dans le cadre d’un dossier précis. Ainsi, en 2017, l’OCLAESP a saisi chez un trafiquant un fichier comportant 6 000 clients. Structurés et cloisonnés, ces réseaux comprennent un site pour passer commande, un système de dropshipping pour la livraison et un dispositif de money collector pour effectuer les paiements. Les comptes bancaires sont très souvent localisés en Europe de l’Est, en Slovaquie, ou en Lettonie, où des particuliers sont rémunérés pour servir de prête-nom. Tout un système permet ensuite de récupérer et de blanchir l’argent.
« Là encore, les enjeux financiers sont de taille. Nous avons démantelé un réseau, en région parisienne, l’an dernier, qui commandait, trois ou quatre fois dans l’année, par le biais d’Internet, pour 40 000 euros de stéroïdes en Pologne qu’il revendait 400 000 euros », raconte le général Diacono. La marchandise est directement vendue à des particuliers via Internet, mais aussi à des salles de sport ou encore à des boutiques de compléments alimentaires.
MISMED, un projet porté par l’OCLAESP
Face à ce phénomène croissant, l’OCLAESP conduit, dès 2014, plusieurs dossiers judiciaires avec d’autres pays concernés, notamment la Finlande, la Suède et la Géorgie, confirmant l’existence d’une criminalité très organisée, structurée sur le modèle des réseaux de stupéfiants et touchant plusieurs pays européens.
Quand il arrive à la tête de l’office à l’été 2015, le général Jacques Diacono décide de renforcer l’action de l’unité à l’international, notamment en lien avec Europol. Sous son impulsion, le major Alain Lemangnen, alors adjoint du groupe relations internationales, développe une action opérationnelle visant à démanteler des réseaux criminels organisés impliqués dans les trafics de médicaments. À l’automne 2016, le projet, porté par la gendarmerie, avec le concours de la douane française, est proposé par la France dans le cadre de la priorité Empact sur les contrefaçons dangereuses pour la santé. L’opération MISMED, pour Misused medecines, pilotée par l’OCLAESP et les douanes finlandaises, est lancée en 2017, dernière année du cycle politique en cours.
« Dès le début, nous avons voulu donner une teinte opérationnelle à MISMED, avec pour objectif l’identification et le démantèlement d’organisations criminelles, des interpellations, des saisies d’avoirs criminels et de produits, précise le major Lemangnen. Le bénéfice de notre action est double. Notre priorité reste la santé publique, mais nous avons également une incidence positive sur les répercussions économiques qui affectent tant le système de sécurité sociale que les industries pharmaceutiques.»
Les résultats sont au rendez-vous : 75 millions de médicaments saisis par les acteurs des neuf pays partenaires et de belles enquêtes conduisant au démantèlement de 19 groupes criminels.
2018, MISMED poursuivie avec le soutien d’Europol
La priorité « contrefaçons dangereuses pour la santé » n’est pas reconduite dans le cycle politique 2018-2021. En revanche, au regard des excellents résultats obtenus par MISMED, l’OCLAESP obtient d’Europol de poursuivre cette action avec son soutien, d’une part financier mais surtout en termes de capacités d’analyse criminelle. Ainsi, d’avril à octobre 2018, seize pays, dont deux États tiers d’Europe de l’Est, prennent part à cette deuxième édition.
« Contrairement à Mismed 1, au cours de laquelle il y avait eu beaucoup de saisies sèches, nous avons décidé de comptabiliser majoritairement les saisies opérées dans le cadre d’investigations judiciaires d’ampleur, note le général Diacono. L’action coordonnée des différents acteurs a ainsi permis la saisie de près de 13 millions de médicaments. Elle a surtout été à l’origine de l’ouverture de 43 enquêtes judiciaires transnationales, permettant l’identification et l’arrestation de 435 suspects, contre 111 l’année précédente, et le démantèlement de 24 groupes criminels. »
Le montant des avoirs criminels saisis est resté stable à 3,25 millions d’euros. S’y ajoute la valeur marchande totale des produits saisis estimée à près de 168 M € à la revente, soit, au total, plus du double des montants globaux saisis lors de la première édition.
En France, l’OCLAESP a démantelé quatre réseaux criminels, saisi près de 27 000 stéroïdes anabolisants d’une valeur d’environ 1 million d’euros et procédé à la saisie de 185 000 euros d’avoirs criminels. La douane française a, de son côté, intercepté 609 500 unités et 78 kg de médicaments détournés de leur usage. « Nous avons par ailleurs effectué un gros travail sur les cybertrafics, qui s’est traduit par la neutralisation, en lien avec le Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N), de 22 sites Web, précise le major Lemangnen.
Mismed 2 a également mis le doigt sur une autre problématique inquiétante : la contrefaçon. En effet, près de la moitié des médicaments saisis, et pas uniquement les produits dopants, étaient contrefaits. La directive européenne sur la sérialisation des médicaments, en assurant la traçabilité de chaque boîte, pourra contribuer à lutter contre ce phénomène.
Partenariats avec le secteur privé et à l’international
Face à l’ampleur du phénomène, l’OCLAESP espère rallier de nouveaux pays, comme la Pologne et les États-Unis, lors de Mismed 3. Il souhaite également développer les partenariats avec le secteur privé ainsi qu’avec d’autres administrations publiques, tant au plan national qu’international.
« En France, nous avons engagé une collaboration fructueuse avec les industries pharmaceutiques, qui nous a conduits à ouvrir plusieurs enquêtes. Nous essayons également de travailler plus étroitement avec la caisse nationale de l’assurance maladie et les caisses primaires pour être alertés des pratiques déviantes de professionnels de santé, présente le général Diacono. Au niveau international, nous avons noué des liens avec la Drug Enforcement Administration américaine, dont un département est dédié au trafic de médicaments détournés d’usage, avec l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, ainsi qu’avec le Pharmaceutical Security Institute, qui regroupe 35 des plus grosses industries pharmaceutiques mondiales autour de la lutte contre la falsification de médicaments. L’échange de renseignements pourrait nous permettre d’identifier les principaux points d’entrée en Europe, afin, notamment, de planifier la prochaine action opérationnelle commune. »
MISMED a par ailleurs été présentée au comité anti-contrefaçons, en mars dernier, à Paris, dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques, de même qu’à Dubaï, lors d’une conférence internationale sur les trafics de médicaments. L’idée est également d’essayer de sensibiliser les magistrats d’Eurojust, et à travers eux leurs confrères européens, à l’importance de la problématique.
« Notre volonté est de s’appuyer sur le réseau de pays et de partenaires que nous avons constitué et sur les résultats obtenus, pour aller chercher une priorité Empact sur la santé », espère le général, précisant avoir procédé à une réorganisation de l’office au 1er juillet 2017, afin de « développer nos capacités de lutte contre une criminalité organisée de plus en plus présente sur nos thématiques, tout en conservant notre expertise dans le contentieux historique des grands scandales sanitaires, agroalimentaires ou environnementaux ». Ainsi, en lieu et place des groupes santé et environnement, la division enquête investigation est désormais structurée par type de contentieux, avec un groupe trafics organisés et un groupe contentieux spécialisés. Des groupes « appui renseignement », « délinquance économique financière et numérique » et « relations internationales » ont également vu le jour.
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