Coupe du Monde de rugby : les gendarmes en première ligne face à la menace venue du ciel
- Par Hélène THIN
- Publié le 22 septembre 2023
Le drone, aéronef télépiloté, a connu ces dernières années un essor sans précédent. Face à la menace que représente cet engin ultrarapide, mobile et précis, des dispositifs de lutte anti-drone sont déployés tout au long de la Coupe du Monde de rugby sur les sites dits sensibles. Rencontre avec l’une des unités de gendarmerie spécialisées dans la lutte anti-drone, positionnée au Touquet-Paris-Plage, camp de base de l’équipe d’Angleterre.
Vendredi 1er septembre, aux alentours de 14 heures, sur la commune du Touquet-Paris-Plage. Aux abords du stade Gérard Houiller, où doit se tenir dans l’après-midi l’entraînement public de l’équipe de rugby d’Angleterre, le dispositif de sécurité est en place. À une heure de l’ouverture des grilles au public, chacun est concentré.
En haut des gradins surplombant les cours du tennis club jouxtant le stade, un gendarme scrute l’horizon. L’adjudant Alexandre, commandant de la Brigade de proximité (B.P.) de Beaumetz-les-Loges, dans le Pas-de-Calais, a été mobilisé pour l’événement. Tireur de lutte anti-drone depuis mai 2022, il a pour mission de neutraliser tout drone commercial ou de loisir survolant la zone entraînement, laquelle fait l’objet d’une interdiction de vol.
À quelques centaines de mètres, positionnés sur le toit du lycée hôtelier du Touquet, deux hommes complètent ce dispositif. Le major de réserve Philippe, affecté à la Compagnie de réserve territoriale (CRT) d’Arras, détaché pour emploi à la Section opérationnelle de lutte contre les cybermenaces (SOLC) du Groupement de gendarmerie départementale (GGD) du Pas-de-Calais, coordonne l’unité. Spécialisé dans la lutte anti-drone, il est l’observateur, chargé de la détection visuelle et électronique des drones. À ses côtés se trouve le Gendarme adjoint volontaire (GAV) Victor, du Peloton de surveillance et d’intervention de gendarmerie (PSIG) d’Arras. Les trois militaires se connaissent depuis quelques heures seulement. Sur leurs épaules repose la sécurisation du ciel au-dessus du stade et de ses environs durant l’entraînement. Car celui-ci se déroule dans des circonstances exceptionnelles, en présence d’un millier de supporters massés dans les gradins, venus assister au spectacle et encourager les joueurs, à sept jours du coup d’envoi de la compétition.
Également présentes sur les lieux ce jour-là, à l’instar de l’unité de déminage de la Sécurité civile, d’autres forces de sécurité intérieure parachèvent le dispositif. Complémentaires, toutes sont coordonnées par une seule et unique personne : le Team security liaison officer (TSLO) placé auprès de l’équipe d’Angleterre.
Une nouvelle menace venue du ciel
En France, si l’utilisation du drone dans un contexte militaire remonte à la fin des années 1950, le drone civil s’est véritablement imposé dans le paysage depuis une dizaine d’années, après avoir été doté de moyens de captation d’images. Désormais accessibles au plus grand nombre, ces aéronefs sont utilisés à des fins professionnelles ou récréatives. Leur multiplication et l’amélioration de leur technicité ont fait naître un risque nouveau, celui d’une utilisation malveillante. L’explosion du nombre d’incidents liés à leur usage préoccupe fortement les autorités.
Dans le cadre de la compétition sportive de premier plan qui se joue actuellement en France, plusieurs menaces ont été identifiées : risque terroriste, espionnage sportif, prises de vue illégales...
Dans la perspective des Jeux olympiques de Paris 2024, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a ainsi estimé que les drones sont une « menace nouvelle mais sans doute la principale à appréhender ».
Dans ce contexte inédit, les gouvernements s’organisent. Outre le volet réglementaire, désormais pensé à l’échelle européenne, les États s’équipent de systèmes de protection et forment des spécialistes.
« Un appel à volontaires a récemment été lancé et les formations organisées au sein même des groupements ont permis d’accroître significativement le nombre de gendarmes formés », rapporte l’adjudant Alexandre.
Une équipe coordonnée et prête à réagir immédiatement
Ce 1er septembre, placé au sommet d’un immeuble lui permettant de disposer d’un spectre le plus large possible, l’observateur – également appelé guetteur – assure un contrôle visuel à l’aide d’un aéroscope, l’appareil utilisé pour la détection de drones, dont la portée s’étend jusqu’à plusieurs kilomètres. Une étude préalable du terrain a permis de déterminer l’emplacement de l’équipe.
Si le guetteur repère un drone dans l’espace visé par l’interdiction, son premier réflexe est d’écarter l’hypothèse d’un drone « ami ». Il consulte alors la liste des drones autorisés à survoler l’espace aérien, comportant les marques et numéros de série des appareils « amis ». Largement utilisé dans le milieu sportif, le drone constitue par exemple un excellent outil au service du plan de jeu. Peuvent également voler des drones de la gendarmerie ou de la police nationales, à des fins de sécurité.
En contrebas, à proximité du lieu d’entraînement, le tireur se tient prêt, en position d’attente. Lui est équipé d’un fusil brouilleur de fréquences, d’une portée de 1 000 mètres. Il n’intervient que sur ordre du guetteur.
Guetteur et tireur, tous deux munis d’une radio, sont en relation constante de façon à pouvoir communiquer en temps réel. « Face à des engins d’une vitesse fulgurante, notre capacité à réagir dans l’instant est capitale. Après l’identification d’un drone, l’équipe procède immédiatement à sa neutralisation », souligne le major Philippe.
« Mon fusil brouilleur de fréquences me permet de perturber le drone ennemi et rendre la télécommande du télépilote inopérante », décrit l’adjudant Alexandre. « Lorsque la gâchette est actionnée, le fusil émet une charge d’énergie électromagnétique, dont je peux régler l’intensité sur une échelle de 1 à 3. D’une durée de 15 à 20 secondes, le tir invite le pilote de l’aéronef à un retrait de son appareil. Si celui-ci résiste, je peux augmenter la charge et ainsi rendre totalement inopérante la télécommande du télépilote, provoquant alors un retour à sa base de départ. Une patrouille de police se tient alors prête à intervenir afin d’intercepter le contrevenant et récupérer les données contenues dans l’aéronef. »
Un cadre réglementaire strict
Lors de la Coupe du Monde de rugby, plusieurs sites considérés comme sensibles font l'objet d'une interdiction de survol par des drones commerciaux ou de loisir. Ces sites regroupent les camps de base des équipes (hôtels et terrains d’entraînement), les stades accueillant les matchs de la compétition, ainsi que les « fan-zones », désignant les espaces dédiés où se réunissent les supporteurs venus assister à la retranscription des matchs.
En cas de violation de l’interdiction de vol, les contrevenants s’exposent à de lourdes sanctions, conformément à l’article L. 6232-2 du Code des transports. Est en effet puni de six mois d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende le fait pour un télépilote de faire survoler, par maladresse ou négligence, par un aéronef circulant sans équipage à bord, une zone du territoire français en violation d'une interdiction. En outre, le contrevenant s’expose au risque de voir son drone neutralisé ou confisqué par les forces de sécurité.
De leur côté, les spécialistes de la lutte anti-drone sont eux aussi soumis à un contrôle strict de leur activité. « L’usage de matériel de neutralisation de drone fait l’objet d’une autorisation auprès du Préfet de département. Les forces de l’ordre sont soumises à une procédure rigoureuse. Une étude d’impact est réalisée en amont afin de valider l’emplacement du dispositif, et un dossier de site exhaustif est envoyé à la Préfecture. Celle-ci se met ensuite en relation avec l'Agence nationale des fréquences (ANFR) afin d’évaluer les risques, spécifiquement en cas de présence proche d’un aéroport, comme ici au Touquet. Les ondes électromagnétiques peuvent en effet représenter un danger potentiel pour les avions survolant le secteur. À chaque fois qu’il est fait usage du fusil anti-drone, une procédure Evengrave est automatiquement déclenchée, qui permet de remonter l’information au Centre national des opérations (CNO) de la gendarmerie, chargé de la gestion des événements d’ampleur », précise le major Philippe.
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