Expulsions sous tension
- Par le capitaine Eric Costa
- Publié le 12 juin 2018
Au 1er avril, date de la fin de la trêve hivernale, les occupants illégaux de l’ex-Zad n’ont toujours pas régularisé leur situation. La gendarmerie reçoit pour mission d’accompagner et de sécuriser les procédures d’expulsions et de déconstructions de squats qui débutent le 9 avril.
Le 9 avril, dans le cadre de la phase de concours de la force publique accordé par la préfète de Loire-Atlantique à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) et aux Aéroports du grand ouest (Ago), l’État-major opératif (Emop) du Poste de commandement opérationnel (PCO) gendarmerie, basé à Saint-Étienne-de-Montluc (44), est de nouveau activé à compter de 02 h 00.
Reprendre la RD281
Selon les renseignements recueillis, une arrivée de renforts adverses est susceptible de se produire très tôt le 9 avril au matin. L’opération des forces de gendarmerie débute donc dès 03 h 00.
Le dispositif déployé se compose de trois Groupements tactiques de gendarmerie mobile (GTG), totalisant 25 Escadrons de gendarmerie mobile (EGM). L’ensemble est placé sous les ordres du colonel Richard C., commandant le Groupement opérationnel de maintien de l’ordre (Gomo).
Bien que la RD281 ait été dégagée fin janvier, les zadistes y ont érigé de nouvelles barricades. Les forces de l’ordre se prépositionnent donc au nord et au sud de cet axe en vue d’en assurer la viabilité.
Durant leur progression, les trois GTG, appuyés, pour la première fois sur le territoire métropolitain, par les Véhicules blindés de la gendarmerie (VBG), doivent réduire pas moins de douze barricades enflammées, tenues par des adversaires virulents lançant divers projectiles, dont des bouteilles incendiaires.
Avec à leur tête le général d’armée Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie et commandant des forces gendarmerie sur le dispositif de Notre-Dame-des-Landes, les gendarmes atteignent en seulement 40 minutes le Lama Fâché, squat symbolique au centre de la Zad, où s’effectue la jonction entre les différents GTG.
Le professionnalisme et la technicité des Gendarmes mobiles (G.M.), ainsi que la maîtrise de la force font de ce début des opérations un succès.
Contrôler la zone
Une fois la RD281 tenue, les GTG se déploient dans la profondeur pour reprendre le terrain et contrôler la zone délimitée dans le cadre de la phase 1 des expulsions (voir carte). Toute la matinée, pendant que les premières expulsions sont conduites par les huissiers et la déconstruction des squats opérée par les sociétés civiles concourantes, les confrontations entre zadistes et gendarmes se poursuivent.
Elles se déroulent essentiellement sur le chemin de Suez, qui traverse la Zad d’est en ouest, et sur le squat de la Chèvrerie, plus au sud.
Renseigner pour optimiser la manœuvre
Dès le premier jour, environ 250 opposants sont présents sur le site, concentrés sur plusieurs points stratégiques de cette zone de 12,4 km2. À peine refoulé d’un secteur devant être évacué, l’adversaire, faisant preuve d’une organisation paramilitaire, se réarticule sur un autre point pour continuer à harceler les militaires.
Ils cherchent non seulement à atteindre les gendarmes mais également les véhicules des concourants civils afin de les pousser à exercer leur droit de retrait et retarder les déconstructions.
L’utilisation des hélicoptères et des drones de la gendarmerie permet de capter, en direct et à distance, les mouvements hostiles. Ces images, recueillies par la 3D, alimentent en temps réel les différents GTG sur le terrain ainsi que les acteurs du PCO.
La cellule J2 (Renseignement du PCO) est, elle aussi, essentielle à l’exploitation et à la remontée du renseignement, qui va permettre, non seulement d’anticiper la manœuvre adverse, mais également de mettre à jour les cartes.
Indispensables à la conduite des opérations, celles-ci sont quotidiennement produites sur place par le J9 Géomatique.
S’appuyant sur l’ensemble des données obtenues, la cellule J35 (J3 combinée à J5) a, quant à elle, pour mission d’anticiper et d’adapter la conduite des opérations, en apportant au Gomo des informations sur le dispositif tactique de l’adversaire.
Ne jamais faillir
Sans jamais céder aux provocations, les G.M., bien que très éprouvés, tiennent leurs positions en employant le strict niveau de force nécessaire et en faisant usage, si besoin, de grenades lacrymogènes pour maintenir les zadistes à distance et rester hors de portée des jets de bouteilles incendiaires, d’acide, de bombes agricoles ou de pierres, lancées au moyen de frondes ou de catapultes artisanales.
Le but est aussi d’éviter le contact physique avec l’adversaire, qui pourrait générer beaucoup plus de blessés de part et d’autre. L’opposition rencontrée nécessite parfois des tirs de grenades nourris et, par conséquent, des recomplètements sur le terrain.
La cellule J4 Logistique du PCO est alors en mesure d’acheminer les munitions nécessaires aux unités sur leur lieu d’emploi. Elle dispose pour cela d’une réserve équivalente à la dotation de dix EGM.
En cas d’urgence, de jour comme de nuit, le Commandement du soutien opérationnel (Comsop), basé au Blanc, peut approvisionner J4 en moins de 6 heures.
Objectifs atteints
Malgré la violence des opposants et grâce à un engagement sans faille des forces de l’ordre, les opérations d’expulsions et de déconstructions se poursuivent durant quatre jours.
Les effectifs sont partiellement désengagés à la fin de chaque journée, après que les sociétés concourantes ont quitté les lieux sous escorte de G.M. et de motards de l’EDSR 44. Seul un dispositif nocturne allégé est maintenu pour assurer la viabilité de la RD281.
Jeudi 12 avril au soir, l’objectif, fixé par la préfecture, de 29 sites illégaux à déconstruire dans le cadre des phases 1 et 2, est atteint. Débutent alors les manœuvres de déblaiement. Les zadistes étant toujours présents et hostiles, la mission de sécurisation est maintenue.
Concours du Sdis et de la sécurité civile
En raison de la pression permanente des zadistes, qui font usage d’armes diverses, les blessures sont nombreuses dans les rangs des militaires. Dès les premières heures, un gendarme est légèrement blessé à l’œil par un tir de fusée, puis d’autres sont victimes de traumatismes aux membres à la suite de jets de pierres, voire de brûlures par jets de bouteilles incendiaires ou d’acide.
L’intégration, dans le dispositif gendarmerie, de groupes d’extraction du Service départemental d’incendie et de secours de Loire-Atlantique (Sdis 44) permet la prise en charge immédiate des blessés pour les premiers soins.
Ces derniers peuvent, au besoin, être évacués vers deux centres de secours situés dans un rayon de cinq kilomètres ou, pour les blessures les plus graves, vers un centre hospitalier, grâce à un hélicoptère de la sécurité civile ou du Samu de Nantes.
« Plus précisément, trois groupes d’extraction, composés de sept sapeurs-pompiers, dont un médecin et un infirmier, répartis dans les trois GTG, couvrent tous les secteurs. Ces services de secours sont également en mesure d’apporter leur concours à tout opposant qui se présenterait. Les traumatismes sonores étant assez nombreux, un centre de secours, installé sur la commune de Saint-Herblain (44), est particulièrement dédié aux consultations liées aux troubles auditifs », explique le lieutenant-colonel Xavier B., affecté au Sdis 44 et détaché de liaison pour la sécurité civile.
Les Formations militaires de la sécurité civile (Formisc) sont également présentes. Elles disposent de moyens mécaniques permettant de déblayer les axes ou de remblayer les tranchées creusées par l’adversaire.
Les équipes de déminage de la sécurité civile sont, elles aussi, à la disposition du Gomo pour lever les doutes lors de la découverte d’éventuels dispositifs explosifs, notamment des pièges au niveau des barricades.
Soutien mécanique et matériel
Les dégâts sur les matériels sont également nombreux. Pour assurer le maintien en condition opérationnelle de tous les véhicules, un détachement de six mécaniciens, venus de la zone ouest, est constitué au niveau de la BLA.
Ils assurent le dépannage et les réparations au profit des 229 véhicules légers et des 200 Irisbus engagés sur le théâtre. Les VBG, très sollicités, bénéficient de mécaniciens spécialisés Auto-engin-blindé (AEB) de Versailles-Satory.
En ce qui concerne les équipements, le Service de soutien à la projection opérationnelle (SSPO), aux ordres de J4, dispose, sur le site de la BLA, de stocks permettant de doter 200 personnels, que ce soit les OPJ devant être équipés pour le maintien de l’ordre ou les G.M. obligés de procéder à des échanges en raison de détériorations ou autres défections.
La police judiciaire intégrée à la manœuvre
Tant pour lutter contre les exactions dès leur commission que pour leur donner une suite pénale ultérieure, le concours d’Officiers de police judiciaire (OPJ) est indispensable. Pour la première fois, la police judiciaire est ainsi directement intégrée dans une manœuvre de maintien de l’ordre.
Trois OPJ accompagnent chaque EGM : un pour exécuter les sommations obligatoires avant l’usage de la force ou des armes et les deux autres dédiés aux constatations et à la judiciarisation des interpellations.
Parallèlement, en fonction du parquet compétent sur la zone, les brigades de recherches de Nantes et de Saint-Nazaire sont chargées du recueil des gardes à vue. Sur demande du procureur de la République, les dossiers les plus sensibles sont traités par la Section de recherches (S.R.) d’Angers.
La cellule d’identification criminelle et numérique de Loire-Atlantique et le Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN) apportent également, en tant que de besoin, leur concours sur le volet criminalistique.
J2 Renseignement est, par ailleurs, sollicitée lorsqu’il s’agit d’aider à l’identification des auteurs, puis de constituer le dossier objectif avant la phase d’interpellation. La coordination de tous ces moyens avec le reste de la manœuvre est assurée par le détachement de liaison P.J., placé sous les ordres du colonel Jean-Philippe R., chef du bureau de lutte antiterroriste.
Au sein du PCO, une place est dédiée aux procureurs de la République près les TGI de Nantes et de Saint-Nazaire. Ces derniers, grâce aux images captées par l’hélicoptère et retransmises en salle, sont directement témoins des actes de violence commis à l’encontre des forces de l’ordre, permettant d’appuyer la réponse pénale.
La vidéo constitue un élément important pour la constatation des infractions et leur matérialisation. Plusieurs sources, à l’instar des caméras piétons, équipant tous les gendarmes mobiles, des Cellules image ordre public (Ciop), dont dispose chaque EGM, ou enfin de la Cellule nationale d’observation et d’exploitation de l’imagerie légale (Cnoeil), qui apporte un appui opérationnel et un soutien technique, permettent de réduire la part d’interprétation lors de la judiciarisation des infractions.
L’ensemble de ces éléments permet d’aboutir rapidement à plusieurs interpellations, dont la plupart pour la commission d’actes de violences avec arme contre des agents de la force publique et une, plus particulièrement, pour des tirs de fusées de détresse ayant ciblé un hélicoptère de la gendarmerie qui survolait l’ex-Zad ; une interpellation conduite avec l’appui de l’Antenne-GIGN de Nantes.
La communication de crise
L’image a également un autre intérêt. Tout au long de ces opérations, suivies quasiment en direct par toute la France, il s’agit d’expliquer la manœuvre conduite, de légitimer l’action des forces de l’ordre, mais aussi de contrer les nombreuses « fake news » que les opposants font circuler sur les réseaux sociaux.
L’Emop dispose d’un pôle environnement d’où s’organise la communication opérationnelle assurée par le Service d’information et de relations publiques des Armées – gendarmerie (Sirpag). Armé par des officiers presse, des vidéastes du CPMGN et des photographes, le pôle communication accompagne les journalistes souhaitant se rendre sur zone afin de veiller à leur sécurité. Il capture également les images qui rendent compte des nombreuses missions menées par les forces de l’ordre face à un adversaire déterminé et violent.
Le calme avant la tempête
Vendredi 13 avril, Édouard Philippe, Premier ministre, confirme que seules resteront sur l’ex-Zad, les personnes ayant déposé un projet agricole individuel auprès de la préfecture de Loire-Atlantique. Les opposants appellent alors à une mobilisation d’ampleur au cours du week-end suivant.
Une manifestation marquée par la présence de «casseurs» se déroule tout d’abord à Nantes samedi 14 avril. Un autre rassemblement, devant regrouper plus de 3 000 personnes, est annoncé à NDDL pour le lendemain.
Un dispositif de sécurisation, armé par 1 400 gendarmes, est mis en place dès 08 h 00 le dimanche matin. L’objectif est d’empêcher toute reconstruction par les manifestants dans les zones traitées lors des phases 1 et 2.
De nouvelles barricades ont été érigées et de profondes tranchées creusées sur le chemin de Suez pour empêcher toute approche en véhicule. Les Formisc mettent en œuvre leurs tractopelles afin de remblayer l’axe.
Pendant ce temps, et en flot continu, les manifestants arrivent par l’ouest de la RD81, au niveau du carrefour de la Saulce. Rapidement, des affrontements éclatent entre les G.M. et les quelques centaines d’individus présents, dont bon nombre, au regard de leur tenue et de leurs actes, semblent appartenir à la mouvance des Black blocs.
Mini-bombes incendiaires et pierres pleuvent de nouveau sur les forces de l’ordre, qui repoussent les adversaires jusqu’à la lisière de la forêt de Rohanne. Une négociation, menée par le Gomo avec certains représentants du mouvement contestataire, permet un retour au calme en début d’après-midi.
Arrivent alors plus de 3 000 personnes plus pacifiques, venues soutenir la cause des zadistes. La situation dégénère de nouveau au moment de la dispersion du rassemblement. Un des trois Engins lanceurs d’eau (ELE) mis à disposition par la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) de Rennes, venue spécialement en renfort pour cette manifestation, vient alors se positionner sur le barrage mis en place. Son usage permet de faire reculer les black blocs tout en limitant l’emploi de gaz lacrymogène.
De nouveaux blessés, notamment par brûlure, sont à dénombrer du côté des militaires. Cependant, aucune tentative de réoccupation ou de reconstruction n’ayant pu aboutir, la mission des forces de l’ordre est remplie.
Les opérations de déblaiement se poursuivent la semaine suivante. Le 26 avril au matin, le Premier ministre annonce une suspension des opérations d’évacuation/déconstruction sur la zone de NDDL. Un délai est accordé jusqu’au 14 mai pour le dépôt de nouveaux projets agricoles individuels. Passée cette date, la phase 3 des expulsions sera lancée, afin de couvrir la totalité de l’ex-Zad.
Au jour de la publication de cet article, le bilan est de 86 blessés dans les rangs des forces de l’ordre. Les 36 interpellations effectuées ont abouti à 8 condamnations à des peines d’emprisonnement ferme ou avec sursis, 5 COPJ et 11 rappels à la loi.
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