Quel avenir pour la mobile ?

  • Par par Pablo Agnan
  • Publié le 29 décembre 2021
© GND F. Garcia

Premier chef de la toute nouvelle Sous-direction de l’emploi des forces (SDEF), le général Jean-Luc Villeminey est désormais chargé de l’élaboration de la doctrine d’emploi des unités de gendarmerie et notamment celle concernant le maintien de l’ordre. Face à un engagement toujours plus important et diversifié des « moblots », de nombreux chantiers sont en cours pour doter la gendarmerie mobile d’un cadre d’action et de moyens adaptés.

Qu’est-ce que la SDEF, cette nouvelle structure dont vous avez la responsabilité ?

La Sous-direction de l’emploi des forces (SDEF) a été créée le 1er juin 2021, en même temps que le Centre national des opérations (CNO). Elle a vocation à réunir, au sein d’une même structure, la conception et la rédaction des doctrines, aussi bien celle de la gendarmerie départementale que celle de la gendarmerie mobile, à l’exception de la police judiciaire et du renseignement. Elle comporte trois bureaux, le bureau de la sécurité et de l’ordre publics, le bureau de la sécurité des mobilités et le bureau de la défense et de la sécurité nationales, un Pôle d’expérimentation des programmes de sécurité (PEPS) ainsi que l’unité de coordination technique montagne. Nous sommes missionnés pour créer le cadre d’emploi des unités dans ces domaines, du temps de paix au temps de crise.

La DGGN a donc concentré en une seule structure la rédaction des doctrines. Pourquoi ce besoin de « réunification » ?

Par logique d’abord. Il a semblé rationnel qu’au moment où la gendarmerie se dotait d’une capacité de conduite centralisée des opérations, le CNO, elle réunisse également en une seule structure les personnes qui conçoivent et rédigent la doctrine d’emploi. Par cohérence ensuite. En 2020, près de 80 % des missions de la Gendarmerie mobile (G.M.) contribuaient à la sécurité publique. À l’inverse, la Gendarmerie départementale (G.D.) est de plus en plus directement exposée au Maintien de l’ordre (M.O.), comme nous l’avons vu, par exemple, avec le mouvement des « gilets jaunes ». Il y a là l’idée d’un continuum de l’action de la gendarmerie, notamment pour tenir compte de ce constat : le gendarme départemental fait du maintien de l’ordre et le gendarme mobile fait de la sécurité publique, et ce quotidiennement, au profit de la gendarmerie départementale. Il est donc logique que ceux qui conçoivent et rédigent la doctrine d’emploi des deux subdivisions, mais également celles des gendarmeries spécialisées, soient réunis au sein d’une même sous-direction.

C’est d’ailleurs un mélange que l’on retrouve sur le terrain…

Effectivement. La majorité des gendarmes mobiles ont vocation à rejoindre un jour la G.D. Et rares sont aujourd’hui les unités de G.D. où il n’y a pas d’anciens mobiles. Le passage dans un Escadron de gendarmerie mobile (EGM) est une voie vertueuse, et dans tous les cas très formatrice. On le constate notamment pour les officiers, dans la mesure où le commandant de compagnie et le commandant de groupement manœuvrent souvent pour maintenir l’ordre public. Quand on a, un jour, défendu un pont ou un axe dans Paris, en situation tendue, on en tire une expérience qui peut s’avérer précieuse. Et puis, il faut ajouter qu’être G.M. est un métier exigeant, notamment du fait de l’éloignement du domicile. Un G.M. réalise en moyenne 175 jours de déplacement par an. C’est aussi exécuter des missions qui demandent des aptitudes physiques et une forme de disponibilité sur de longues périodes, que l’on trouve plus aisément chez des militaires en début de carrière. C’est pour ces raisons que ce mélange de cultures est cultivé en interne, grâce à cette oxygénation de la gendarmerie mobile vers la départementale. C’est un mécanisme nécessaire, qui présente de nombreuses vertus. Il permet aussi de répartir nos militaires géographiquement, au plus près de leurs aspirations, mais aussi au plus près des besoins opérationnels évidemment, par des dispositifs qui les équilibrent.

Tous les ans, environ 650 militaires de la G.M. rejoignent la G.D. dans le cadre du changement de subdivision d’arme. Cette passerelle entre la G.M. et la G.D. ne crée-t-elle pas une attrition des effectifs de la mobile ? Est-ce pour cette raison que les EGM comptent de plus en plus de personnels féminins ?

Il faut savoir que l’arrivée des femmes en gendarmerie mobile est récente, à l’échelle de l’histoire de la G.M., puisqu’elle remonte seulement à 2016. Aujourd’hui, un peu plus de 5 % des effectifs (officiers et sous-officiers de gendarmerie) de la G.M. sont composés de personnels féminins, mais 100 % des escadrons sont féminisés, en comptant aussi bien les sous-officiers, les officiers que le personnel de soutien.

© GND F. Garcia

Vous évoquiez deux chiffres intéressants : 80 % des missions de la G.M. sont liées à la sécurité publique et seulement 8 % au M.O., qui est pourtant sa mission première. Le gendarme mobile a-t-il vocation à faire de moins en moins de M.O. ?

La gendarmerie mobile constitue une partie de la réserve gouvernementale. Elle s’engage dans un cadre espace-temps et pour une mission que d’autres forces ne peuvent pas accomplir avec autant d’efficacité et de réactivité, soit parce qu’elles sont déjà mobilisées sur d’autres missions, soit parce qu’elles ne sont tout simplement pas « mobiles », soit, enfin, parce qu’elles n’ont pas cette capacité à durer sur la mission, ni la formation, ni l’équipement et l’aptitude à maintenir l’ordre dans les situations les plus complexes. Alors oui, bien sûr, la G.M. est spécifiquement faite pour les missions de M.O. les plus techniques et difficiles. C’est en ce sens qu’elle a été créée il y a un siècle de cela. Mais l’évolution des missions de la G.M. est le reflet des transformations de la société. Son professionnalisme lui permet d’être engagée sur un spectre très large, allant du conflit de voisinage aux théâtres d’opérations extérieures, comme en Indochine, en Algérie, mais également à Abidjan, à Sarajevo et en Afghanistan. Si les tâches ont varié au fil des années, c’est parce que notre mission est de protéger nos concitoyens et que les menaces qui pèsent sur eux ont évolué. Prenez la COVID par exemple : jusqu’à 106 EGM sur les 109 ont été engagés durant la crise sanitaire.

Si le M.O. ne constitue pas le gros de l’activité de la G.M., il reste pourtant au cœur du débat politique et médiatique, notamment avec l’arrivée du Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO). Pourriez-vous nous détailler ce que cela va concrètement changer pour les unités ?

Le SNMO, c’est d’abord la consécration du principe selon lequel les engagements les plus difficiles au maintien de l’ordre sont le fait d’unités spécialisées. Pour nous, c’est très important. C’est aussi des sommations plus claires et actualisées. C’est, enfin, une clarification des rôles des acteurs majeurs du M.O., du préfet jusqu’aux commandants d’unité, en passant par les échelons territoriaux de commandement. Parallèlement à cela, c’est aussi l’augmentation maîtrisée du périmètre des autorités habilitées à exercer ces fonctions, pour faciliter la réactivité. Enfin, le SNMO a créé et mis l’accent sur les Équipes de liaison et d’information (ÉLI). Elles seront bientôt constituées à l’échelon de toutes les compagnies. Nous allons donc bientôt disposer, dans 400 unités, réparties sur le territoire métropolitain et ultramarin, de militaires rompus à l’exercice de la médiation. C’est vraiment une nouveauté du SNMO, qui nous permet aujourd’hui de valider les expérimentations et d’aller vers un dispositif très étoffé.

Du côté de la gendarmerie, quelles vont être les évolutions à venir concernant le M.O. ?

Nous allons bientôt diffuser un texte qui réactualisera la doctrine de la gestion de l’ordre public pour la gendarmerie, quelle que soit la subdivision d’arme. Elle tiendra compte de tous les enseignements récents et de cette nécessité de s’adapter sans cesse à l’adversité ainsi qu’à l’évolution des besoins. Et bien sûr, cela passe nécessairement par la dimension capacitaire. C’est la raison pour laquelle la gendarmerie mobile sera prochainement dotée de nouveaux moyens pour faire face à ses missions, y compris aux actions les plus dures, et renforcer sa manœuvrabilité. Pour cela, il nous faut des outils adaptés et modernisés. C’est le sens du renouvellement de la flotte de véhicules blindés et de la livraison, depuis le mois de juin 2021, des premiers Véhicules de commandement tactique (VCT), à une vingtaine d’escadrons. Enfin, à partir de l’année prochaine, les fameux Irisbus seront progressivement remplacés.

À gauche : gendarmes mobiles employés en maintien de l’ordre dans les années 1980. Tenue 4S, casque modèle 1956 avec ajout de la visière amovible, gants à crispin, masque anti-gaz en tissu, bouclier rond et apparition du bâton de protection à poignée latérale pour les binômes des porteurs de bouclier. À l’arrière est aperçu le canon d’un fusil MAS 36/51 avec embout lance-grenade
pour lancer des grenades lacrymogènes F2 ou F4, tandis que chaque militaire porte un pistolet automatique MAC 50 à la ceinture, en attendant l’arrivée du MAS G1 à la fin des années 1980.

À droite : gendarmes mobiles employés en maintien de l’ordre à Notre-Dame-des- Landes, en mai 2018. Tenue 4S renforcée de coques de protection, de jambières et de gants en cuir avec un renfort pare-coups. Casque modèle G3 pare-balles muni d’un écran et d’un bavolet pare-coups, et masque à gaz avec une double protection des systèmes respiratoire et visuel. Bouclier rectangulaire pour les pelotons de marche ou carré pour les pelotons d’intervention, plus robuste et offrant une surface de protection plus étendue. Armement collectif élargi avec le lanceur COUGAR de grenades CM6/MP7 ou GM2L, le lanceur de balles de défense et le FAMAS, tandis que chaque militaire a un pistolet automatique SIG PRO au ceinturon.

© Musée de la gendarmerie / GND F. Garcia

Vous parliez de s’adapter aux modes d’action de l’adversaire. Ont-ils vraiment évolué ces dernières années ?

Il y a toujours des évolutions dans le M.O., mais aussi des constantes, celles que j’appelle des « trois essaims ». Il y a d’abord les manifestants de bon droit. Mais parfois, ces manifestants sont le cheval de Troie de groupes aux intentions moins louables et plus génératrices de troubles à l’ordre public. Ces groupes se situent dans deux grandes familles, qui, parfois, font cause commune. La première grande famille, ce sont les « provocateurs ». Ce sont ceux qui profitent de l’expression démocratique légitime pour déstabiliser, provoquer, déstructurer et « casser », dans un but politique. La seconde famille est celle des opportunistes, qui viennent piller et profiter du chaos ambiant. En revanche, ce qui est inédit et très compliqué à gérer, c’est quand ces trois groupes opèrent en quasi-simultanéité. Jusqu’à présent, ils agissaient séparément, quoique dans des temps relativement proches. Aujourd’hui, des groupes comme les Blacks Blocs ont besoin de créer les conditions pour exister. Donc si ça ne bouge pas suffisamment, ils agitent la manifestation à leur bénéfice. Mais une nouveauté du M.O., c’est sa diffusion quasi-instantanée, « en prime time ». À l’origine de la G.M., les images étaient statiques, plutôt prises avant ou après la manifestation, et, surtout, relativement loin de l’action. Aujourd’hui, elles se sont non seulement rapprochées de l’action, mais elles sont le plus souvent diffusées en direct. Certaines images précèdent parfois l’action, voire la suscitent, comme on a pu le voir pendant les différents actes des « gilets jaunes ». La médiatisation des troubles sert à la fois d’outil tactique (disperser les forces) et politique (remettre en cause la légitimité de l’action de l’État).

Vous voulez dire que cette manœuvre est le fruit d’une véritable réflexion stratégique, et non pas d’actions isolées inconscientes ?

Cela fait partie de la conception de manœuvre de nos adversaires aujourd’hui : la contestation doit être médiatisée pour produire ses effets. L’opportuniste ne manœuvre pas, il profite d’une situation. En revanche, un mouvement structuré élabore des stratégies : les tactiques offensives ou défensives, les moyens employés, la médiatisation, la judiciarisation… tout ce que font les « provocateurs » est décrit en source ouverte sur Internet.

Pourtant, un mouvement comme celui des « gilets jaunes » refusait collectivement toutes formes de leadership. On peut malgré tout parler d’un mouvement structuré, capable de produire des stratégies ?

C’était l’une des grandes difficultés. Il était plus facile, sous certains aspects, d’exercer des missions de maintien de l’ordre quand la manifestation était le fait de syndicats ou de mouvements structurés. Elles pouvaient dégénérer, mais globalement, les interlocuteurs étaient identifiés et une capacité de dialogue existait donc. Certains mouvements sont aujourd’hui très spontanés et déstructurés, ce qui les expose à être infiltrés par des provocateurs. Cette coexistence rend très difficile la discrimination entre les différentes typologies d’adversaires. Nous avons besoin de réfléchir en matière de doctrine et de formation, pour que les militaires de la gendarmerie puissent disposer des outils intellectuels et matériels pour pouvoir mener les opérations dans le cadre légal qui garantit le caractère démocratique des manifestations. C’est un peu un combat asymétrique. Nous avons en face de nous trois catégories, dont une seule est disposée, a priori, à respecter le droit. Un même individu peut, en outre, arriver pour s’exprimer démocratiquement, puis mener des actions violentes contre les forces de l’ordre, et enfin, dans certains cas, profiter du chaos pour se livrer à des pillages. Cela n’a rien de nouveau, c’est lié au phénomène de contagion par la foule. Mais cela appelle une connaissance et une maîtrise fines et spécifiques, et donc des forces spécialisées capables de répondre à tous les niveaux d’intensité.

Peut-on parler de radicalisation des manifestants ?

Je ne pense pas que l’on puisse affirmer que l’opposition que nous rencontrons soit plus radicalisée qu’elle ne l’était en 1968 ou bien à d’autres périodes de fortes contestations. Néanmoins, elle est plus « scénarisée » par la visualisation immédiate que nous avons évoquée, par l’effet apparent de « spectacle » en direct et commenté qui en découle et qui en amplifie et peut en modifier la perception. Elle est aussi, sous certains aspects, « ritualisée », notamment lors d’événements fréquents, voire récurrents, comme les samedis des « gilets jaunes ». Tout cela nécessite d’adapter notre manœuvrabilité, d’actualiser nos doctrines, de disposer de moyens plus modernes, plus adaptés, en trouvant le bon équilibre entre technologie et rusticité.

À quoi va donc ressembler la gendarmerie mobile du futur ?

Visuellement, la gendarmerie mobile n’aura plus la même physionomie. D’ici à quelques années, tout le parc motorisé de la G.M. sera renouvelé. On aura également évolué sur la sérigraphie des véhicules, comme sur l’équipement individuel et la tenue. Les pelotons d’intervention passeront de deux à trois véhicules, pour accentuer cette manœuvrabilité consacrée par le SNMO. Le tout sera appuyé par une doctrine renouvelée, simplifiée, qui tire les enseignements des derniers engagements et qui s’adapte également aux évolutions du cadre légal et normatif.

© MDC Christophe Gonçalves

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