La réponse européenne à la criminalité internationale

  • Par la lieutenante Floriane Hours
  • Publié le 06 septembre 2023
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Agence européenne de portée internationale, Europol est devenue, en quelques années, un outil majeur dans la lutte contre le crime organisé, auprès duquel la gendarmerie nationale occupe une place importante. De son fonctionnement à ses missions, en passant par les opérations menées conjointement avec toutes les polices d’Europe, découverte d’une agence aux multiples facettes.

"L’histoire d’Europol, c’est celle de la réponse européenne aux besoins des États membres en outils de coopération permettant de dépasser les frontières nationales. C’est aussi une histoire liée à l’internationalisation de la criminalité organisée et du terrorisme », expose le Lieutenant-colonel (LCL) Pascal Lhoutellier, chef du pôle coopération internationale à la Sous-direction de la police judiciaire (SDPJ) de la gendarmerie nationale. Souvent confondue avec Interpol (organisation internationale œuvrant contre les menaces criminelles au niveau mondial), Europol travaille au niveau européen pour lutter contre la criminalité internationale : une sorte de bouclier sécuritaire réunissant toutes les polices européennes, parmi lesquelles la gendarmerie française.

Europol, qu’est-ce que c’est ?

Europol est l’agence européenne spécialisée dans la répression de la grande criminalité et du terrorisme. Basée à La Haye, aux Pays- Bas, elle regroupe les 27 pays de l’Union européenne (U.E.), mais coopère également avec d’autres États hors U.E., comme l’Australie, le Canada, la Norvège, les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore la Suisse. Europol a dans sa ligne de mire les réseaux criminels sévissant dans plusieurs pays du territoire européen, et ce sur un large spectre : terrorisme, pédophilie, trafics internationaux de stupéfiants et d’armes, fraude organisée, contrefaçon et blanchiment d’argent, ainsi que les vols qualifiés et les vols aggravés. Une longue liste, à laquelle viennent s’ajouter depuis quelques années de nouvelles menaces liées à la cybercriminalité et à la traite des êtres humains (y compris au travers de l’exploitation par le travail) ou encore la criminalité environnementale.

Comment fonctionne Europol ?

Pour lutter concrètement contre ces menaces, Europol assure, auprès de tous les pays partenaires, un rôle de centre d’appui aux opérations des services répressifs, un rôle de centre névralgique d’échange d’informations sur les activités criminelles et met à disposition des polices de chaque pays de nombreux experts dans divers domaines (cybercriminalité, terrorisme, crypto-monnaie, etc.). Parmi eux, se trouvent des analystes criminels, aussi appelés Anacrims, qui utilisent des outils de pointe pour aider les autorités des États membres dans leurs enquêtes. En plus de cet appui aux enquêteurs, Europol fournit également de nombreux rapports et évaluations, dont le SOCTA (Serious and Organised Crime Threat Assessment), un bilan d’observation approfondie des menaces criminelles, réalisé tous les quatre ans, qui fixe les grandes tendances de la criminalité et sert de base à l’identification des priorités stratégiques du cycle EMPACT (European Multidisciplinary Platform Against Criminal Threats), la plateforme européenne multidisciplinaire contre les menaces criminelles. Pour assurer ce soutien opérationnel et stratégique aux 27 pays de l’U.E. et à certains pays hors U.E., plus de 1 400 personnes travaillent au sein d’Europol, dont 262 officiers de liaison, originaires de 47 pays partenaires. Contrairement à une idée répandue dans l’imaginaire collectif, les agents d’Europol ne vont pas sur le terrain interpeller directement les criminels. Dans le cadre d’une affaire, les agents d’Europol vont réunir les informations récoltées par tous les pays concernés, puis vont coordonner les échanges entre ces pays, qui procéderont ensuite eux-mêmes à l’intervention. L’agence agit ainsi tel un hub informationnel, qui fournit un appui à plus de 40 000 enquêtes internationales par an.

Qui dirige cette agence européenne ?

Agence européenne financée par l’U.E. à hauteur de 197,8 millions d’euros (2022), Europol est dirigée, depuis mai 2018, par une directrice exécutive, Catherine De Bolle, qui occupait précédemment les fonctions de commissaire générale de la police fédérale belge. Sous son commandement, se trouvent trois grandes directions : la direction des opérations, comprenant toutes les entités opérationnelles, celle de la gouvernance, représentant, entre autres, le département légal, qui gère notamment les partenariats avec les pays hors U.E. et, enfin, celle des capacités, qui gère notamment l’administration et les infrastructures techniques, en particulier la plateforme SIENA (Secure Information Exchange Network Application, ou application sécurisée d’échange d’informations).

Quels sont les pays partenaires d’Europol ?

Afin d’avoir une vision globale des réseaux criminels, dépassant souvent les frontières de l’U.E., Europol a noué, au fil du temps, d’importants partenariats, tant opérationnels que stratégiques, avec des pays hors Union européenne. Degré le plus important de confiance accordé à un pays, la collaboration opérationnelle permet l’échange de données personnelles. Elle est mise en place entre les pays de l’U.E., mais également avec des états comme l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie, Monaco, le Canada, les USA, etc. La coopération stratégique représente, quant à elle, un domaine d’échange différent, couvrant des sujets comme l’émergence de nouvelles menaces, de modes opératoires ou le déplacement de réseaux criminels. Ce type de coopération est établi avec des pays comme le Brésil, les Émirats arabes unis, la Chine ou encore la Turquie. Pour passer d’une coopération stratégique à une coopération opérationnelle, plusieurs critères doivent être remplis, tels que la mise en place d’une table d’équivalence de la confidentialité, une législation en adéquation avec celle de l’U.E. sur la protection et la gestion des données et l’existence d’une autorité indépendante de contrôle comparable à la CNIL. À travers ces deux modes de coopération, ce sont en tout 51 pays dans le monde (pays de l’U.E. inclus) qui collaborent avec l’agence.

Qui peut saisir l’agence, et comment ?

Tous les enquêteurs des pays de l’U.E. et des pays partenaires hors U.E. peuvent saisir Europol, à la condition que l’affaire portée à son attention concerne au moins deux pays de l’U.E. Il faut également que l’enquête ou les faits relèvent d’un type d’infraction entrant dans le champ du mandat d’Europol. Pour faire appel à l’agence, ou pour saisir directement un pays partenaire, une plateforme a été mise en place, reliant plusieurs milliers d’utilisateurs. Baptisé SIENA, cet outil est une messagerie sécurisée, sur laquelle les pays peuvent joindre Europol pour demander une analyse particulière, de l’aide ou une expertise sur un point spécifique concernant une affaire transfrontalière. SIENA peut également être utilisée pour contacter directement un ou plusieurs pays dans le cadre d’une enquête transverse. Une fois que l’information est envoyée à Europol via SIENA, elle est vérifiée, stockée dans l’une des bases de données de l’agence, puis priorisée, analysée et, enfin, si cela se justifie, elle déclenche une phase « de coordination opérationnelle », avec la mise en place de moyens et d’outils pour appuyer les enquêteurs de terrain. Une sorte de pyramide, dont le socle représente la masse extrêmement importante de données reçues, et dont le sommet correspond à la phase d’action ciblée. Depuis sa création, le nombre d’affaires initiées par SIENA est passé de 15 000, en 2012, à plus de 122 000, en 2021, pour un total dépassant 1,4 million de messages. En France, ont accès à SIENA, les enquêteurs des Sections de recherches, des organismes centraux (SDPJ, service central de renseignement criminel, offices centraux et Commandement de la gendarmerie dans le cyberespace/ComCyberGend), mais aussi, depuis peu, les SAJ (Sections d’Appui Judiciaire). Réparties dans toutes les régions, ces sections accompagnent les différentes unités de recherches sur les volets logistiques et informationnels. C’est le canal à privilégier, même si les unités peuvent également s’adresser par message au SCCOPOL (Service Central de Coopération Opérationnelle de POLice), implanté au sein de la DNPJ à Nanterre, qui se chargera de l’intégration dans SIENA. L’envoi d’une demande sur les canaux de coopération européens n’engage en rien les gendarmes qui en sont à l’origine. Si le retour d’Europol est positif, indiquant par exemple qu’une personne est connue dans un autre pays, sous un autre nom, pour d’autres faits, le gendarme reste maître, en liaison avec ses autorités d’emploi, de la manière dont il entend traiter la dimension internationale de son dossier.

Quelle est la place de la France au sein d’Europol ?

La France est un acteur important de cette coopération européenne. En 2023, sur un volume de plus de 1 400 personnels, Europol comptait 55 Français, parmi lesquels vingt militaires de la gendarmerie, dont quatre en poste au sein du bureau de liaison France et seize en qualité de personnels de l’agence. La gendarmerie nationale est également présente dans les plus hautes sphères d’Europol depuis le 1er mai 2021, avec l’arrivée au poste de directeur exécutif adjoint des opérations, du général de corps d’armée Jean-Philippe Lecouffe, ancien adjoint au major général de la gendarmerie et précédemment sous-directeur de la police judiciaire, de 2017 à juillet 2020. Outre cette forte représentation au sein des effectifs d’Europol, la gendarmerie nationale est également très impliquée lors des opérations menées conjointement par les différents pays. En janvier 2023, par exemple, sous la coordination d’Europol, une opération visant la plateforme Bitzlato a été conduite par le ComCyberGend et cinq partenaires étrangers, dans l’objectif d’identifier et d’interpeller simultanément six individus soupçonnés de blanchir des activités criminelles au travers de crypto-actifs. Autre exemple de la participation de la France aux opérations menées par Europol, l’opération SHIELD a rassemblé une trentaine de pays, dont un tiers d’États membres de l’U.E, aux fins de lutter contre le crime pharmaceutique. Au cours de l’année 2022, ce vaste dispositif a permis le démantèlement, au niveau international, de 59 groupes criminels, l’interpellation de 349 personnes et la saisie de 10,5 millions d’unités médicamenteuses, pour une valeur de plus de 40 millions d’euros. Dix laboratoires clandestins ont également été fermés et 89 sites illicites de vente en ligne cadenassés. En France, les opérations entre Europol et les unités de terrain s’appuient sur un intermédiaire national, en l’occurrence les offices centraux, chargés de coordonner localement l’opération et de transmettre les informations du terrain à l’agence, et inversement. Du côté de la gendarmerie, il en existe quatre, couvrant chacun un domaine d’action spécifique : l’OCLAESP (Office Central de Lutte contre les Atteintes à l’Environnement et à la Santé Publique), l’OCLTI (Office Central de Lutte contre le Travail Illégal), l’OCLCH (Office Central de Lutte contre les Crimes contre l’Humanité, les génocides et les crimes de guerre) et l’OCLDI (Office Central de Lutte contre la Délinquance Itinérante). Sur l’opération SHIELD, c’est l’OCLAESP qui a ainsi été saisi du dossier et qui a été l’intermédiaire français d’Europol sur ce dispositif. Mais le rôle des offices centraux va bien au-delà. Depuis plus de six ans, la gendarmerie est engagée dans le pilotage des priorités du cycle EMPACT de l’U.E. L’OCLAESP, actuellement co-pilote de la priorité criminalité environnementale, l’OCLDI, pilote de la priorité atteintes aux biens, l’OCLTI, copilote de la priorité traite des êtres humains, et le ComCyberGend, pilote de la priorité fraudes en ligne, exercent ainsi un rôle moteur, aux côtés de leurs partenaires européens, dans la mise en oeuvre de la stratégie de l’U.E. contre la criminalité organisée.

Quels sont les futurs enjeux et défis pour l’agence ?

Grâce à l’action de coordination et d’analyse d’Europol, de nombreux réseaux criminels ont été démantelés ces dernières années. Forte de ces réussites et de l’augmentation de la coopération européenne, Europol poursuit sa croissance et renforce ses partenariats avec les pays extérieurs à l’U.E. Une évolution qui s’est illustrée concrètement en juillet 2022, avec la parution du nouveau règlement d’Europol. Publié au Journal officiel à la fin de la présidence française de l’Union européenne, ce nouveau texte - à la création duquel la gendarmerie a été un acteur pleinement associé - met en avant deux grands enjeux. « Le premier enjeu de ces prochaines années va être de faciliter la prise en charge, le stockage et l’analyse de la donnée, au travers du développement des capacités d’Europol, dans un cadre juridique désormais sécurisé. C’est un sujet qui fait l’objet de nombreuses discussions, notamment sur le plan des libertés publiques, et sur lequel le contrôleur européen de la protection des données, dont le nouveau règlement renforce d’ailleurs les prérogatives, est extrêmement attentif », souligne le LCL Pascal Lhoutellier. Le second enjeu pour l’agence européenne, mis en lumière notamment dans ce nouveau règlement, est le développement de la recherche et de l’innovation. La création du laboratoire d’innovation d’Europol, au sein duquel la gendarmerie nationale française a détaché un expert national, est la manifestation du mouvement engagé par l’agence depuis 2020 afin de favoriser l’innovation au sein des forces de police européennes. « L’idée est de créer des outils qui permettent de mieux accompagner les enquêteurs, notamment en matière de traitement des données, dont le volume, le format et la structure rendent parfois difficile l’exploitation par les moyens traditionnels. On parle ici principalement d’intelligence artificielle, mais cela concerne l’exploitation de l’ensemble des nouvelles technologies », poursuit l’officier. Parmi ces nouveaux outils, se trouve ainsi une plateforme d’intelligence artificielle développée par le PJGN, qui a reçu, fin 2022, le prix d’excellence d’Europol de l’innovation la plus créative. Parallèlement, Europol continue de renforcer son action, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (via la mise en place du centre européen contre le terrorisme - ECTC), contre la cybercriminalité, qui touche de nombreux pays européens et dépasse largement les frontières de l’U.E., ou encore en matière d’harmonisation des procédures entre les États membres. Des projets qui ne cessent de se développer, tout comme l’agence, qui, en quelques années, est devenue une référence dans de nombreux domaines, s’adaptant sans cesse aux nouvelles menaces, pour protéger toujours mieux les citoyens européens et bâtir une Europe plus sûre.

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