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Dépiégeage d'assaut : éviter l’explosion avec l'adjudant-chef Jérémy

Auteur : le lieutenant Floriane Hours - publié le
Temps de lecture: ≃7 min.
© GIGN

Au sein du GIGN, des hommes sont capables, en quelques minutes seulement, de traiter tous types d'engins d'explosifs en situation dégradée, aussi bien sur un territoire étranger qu'en France. Ces gendarmes aux compétences très rares, ce sont des dépiégeurs d'assaut. Une cellule commandée par l'adjudant-chef Jérémy. Découverte d'un métier et d'une vocation.

Au sein de l'ambassade française d'un pays bien éloigné de l’Hexagone, un jardinier s'affaire sur un parterre de fleurs. En poste depuis peu de temps, il est en charge de l'entretien des espaces verts de l'emprise diplomatique. Mais ce jour-là, au milieu de la plate-bande sur laquelle il est en train de travailler, un drôle d'engin sort de terre. Comprenant rapidement de quoi il s'agit, il court alors chercher une personne aux compétences bien particulières. Après analyse, le verdict tombe. Il s'agit d'un engin explosif, reste d'une précédente attaque. Immédiatement, les personnels de l'ambassade sont évacués. En quelques minutes, la bombe est neutralisée. Une visite de sécurité, mobilisant un drone et un chien, révélera la présence de deux autres engins explosifs sur le toit.

L’homme appelé par le jardinier pour prendre en charge la manœuvre, c'est Jérémy, chef de la cellule des dépiégeurs d'assaut du GIGN depuis 8 ans. Créée en 2007, cette cellule spécialisée du GIGN est formée au déminage des engins explosifs en situation dégradée. Unique en Europe, elle comprend aujourd'hui six personnels, qui agissent au plus près de la menace, au côté de deux entités : la force intervention, afin de détecter les pièges et les neutraliser avant le passage de la colonne d'assaut, et la force sécurité protection, pour neutraliser toutes les menaces liées aux explosifs pouvant se trouver sur le passage des convois ou dans les ambassades, comme en Ukraine. Les dépiégeurs d'assaut interviennent uniquement dans le cadre des missions sur lesquelles le GIGN est engagé. Sur le territoire métropolitain, ils sont par exemple présents sur des cas de forcenés retranchés avec des matières explosives ou sur des cas de contre-terrorisme, comme lors des attentats de janvier 2015, où Jérémy est intervenu directement au côté de la colonne d'assaut. « Lorsque j'ai participé à la neutralisation des frères Kouachi, il a fallu que je me porte sur les corps pour faire ce qu'on appelle la levée de doute kamikaze. »

Deux ans de formation

Un métier rigoureux, où l'erreur n'est pas une option envisageable. Pour s’y préparer, les dépiégeurs d'assaut doivent suivre une formation conséquente de deux ans, répartie en quatre phases. La première, de neuf semaines, incluant les tests de sélection et le stage probatoire, la deuxième, la formation initiale GIGN, d'une durée de douze mois, la troisième, de six mois, réalisée à Angers, au PIAM (Pôle Interarmées de traitement du danger des munitions et explosifs /MUNEX), puis la dernière, de quatorze semaines, de nouveau au GIGN. Durant ce dernier « module », les gendarmes passent de la qualification de démineur à celle de dépiégeur. Encadrés par des formateurs expérimentés, ils apprennent à neutraliser seul et en 3 à 5 minutes maximum (contre un délai plus conséquent pour un démineur) un engin explosif, directement au contact (plutôt qu'à distance, comme enseigné lors de la formation démineur). Des techniques qui vont leur permettre d'agir en très peu de temps auprès de la colonne d'assaut, soit dans le trinôme de tête, en cas de menace avérée, soit plus en retrait. Un savoir-faire hors norme que peu de pays au monde possèdent.

« J'ai voulu apprendre à faire en sorte que ça n'explose pas »

Ce niveau d'expertise de déminage, associé à l'opérationnel d'une unité d'intervention d'élite sont les deux raisons qui ont poussé l'adjudant-chef Jérémy à rejoindre, il y a 12 ans, cette cellule du GIGN. Passionné par les explosifs et la rigueur militaire depuis son plus jeune âge, comme en atteste une photo de lui à 5 ans en tenue militaire épinglée sur son bureau, le jeune Jérémy pousse la porte d'un centre de recrutement à 16 ans. Trop jeune alors, il revient un an et demi plus tard, à l'âge légal d'engagement, avec une demande bien précise. « Ma première question a été de savoir dans quel régiment on manipulait des explosifs. On m'a répondu que c’était dans le génie. J'avais cinq choix à émettre et j'ai mis cinq régiments du génie. » Après six ans dans l'armée de Terre, l'adjudant-chef Jérémy quitte son régiment et rejoint la gendarmerie. « Dans l'armée, ce que je voulais, c'était être démineur dans les forces spéciales, ce qui, à l'époque, n'existait pas. J'ai donc cherché où je pouvais faire ce métier et je l'ai trouvé au GIGN. » Si son intérêt pour le monde militaire s’inspire du père, légionnaire, d'un ami d'enfance, dont les récits d'Opérations extérieures (Opex) ont fait rêver le jeune garçon, sa passion (tout aussi ancienne) pour les explosifs vient en revanche de sa propre expérience. « Quelque chose de si petit qui peut générer autant de dégâts, c'est ce qui m'a fasciné au départ. Mais après, en voyant les dommages que cela provoquait, j'ai plutôt voulu apprendre à faire en sorte que ça n'explose pas. Je pense que si j'étais resté dans cette dynamique de vouloir tout faire péter, je me serais orienté vers l'effrac’ [la cellule effraction, NDLR], j'aurais fracturé des portes, créé des brèches… Mais c'est l'inverse qui s'est produit. Le but, c'était et c'est toujours de faire en sorte que ça n'explose pas. Je trouve fou qu'un tout petit engin, parfois gros comme une canette, puisse tuer des dizaines de personnes et je trouve ça beau et noble d'apprendre à les neutraliser. »

« Pour être un bon dépiégeur, il faut avant tout être un bon piégeur »

Ce qui plaît également à l'adjudant-chef Jérémy, c'est la constante évolution de sa spécialité. En 2001, la guerre en Afghanistan marque un tournant majeur dans le perfectionnement des engins explosifs. Véritable laboratoire à ciel ouvert, les pièges qui y sont expérimentés deviennent de plus en plus sophistiqués, passant de la simple mèche à pétard au déclenchement à distance. Au fil des années, les terroristes continuent de s'adapter aux techniques des armées, et lorsque des brouilleurs sont mis en place pour empêcher les déclencheurs à distance, l'ennemi revient alors aux pièges de base, modifiant sans cesse leur aspect et leur technologie, pour les rendre de plus en plus invisibles. Pour anticiper ces menaces, les dépiégeurs d'assaut ont plusieurs stratégies. Tout d'abord, se mettre dans la peau des assaillants, en travaillant eux-mêmes sur de nouveaux dispositifs, car « pour être un bon dépiégeur, il faut avant tout être un bon piégeur ». Puis, continuer à se former : « On travaille sur du RETEX (Retour d’Expérience), via des fiches de la DRM (Direction du Renseignement Militaire) sur des engins explosifs trouvés en OPEX. Quand ce sont des engins « nouveaux », on les reconstitue quasiment à l'identique en atelier, pour apprendre à les neutraliser. »

Et pour que leur savoir rayonne sur d'autres unités d'intervention, Jérémy et ses camarades interviennent très régulièrement lors des stages I.S. (permettant d’intégrer les antennes), non pas pour enseigner aux gendarmes à neutraliser des engins explosifs, mais pour les sensibiliser à cette menace (notamment au piégeage de combat, qui utilise les actes réflexes des combattants contre eux), et leur apprendre les réflexes à avoir dans le cas où ils opéreraient en primo-intervenants sur une zone potentiellement piégée. « On leur explique par exemple qu'il ne faut pas marcher sur les paillassons, qu'il faut toujours utiliser des axes reconnus, etc. »

Dix-huit ans après avoir rejoint la gendarmerie et 24 ans après son entrée dans le monde militaire, l'adjudant-chef Jérémy éprouve toujours la même passion pour son métier et la même envie de défi. Une passion au service des autres opérationnels du GIGN, des différentes armées, des personnels d'ambassade, mais aussi de la population, qui reste au centre de l'action de la gendarmerie.