Lutte contre les pédocriminels : le CNAIP, bras armé de la gendarmerie

  • Par Pablo Agnan
  • Publié le 31 mai 2021
© GND F.Garcia

La lutte contre la pédopornographie, le CNAIP (Centre National d’Analyse des Images Pédopornographiques) en a fait son apostolat. Chaque année, ses enquêteurs traitent une centaine d’affaires. Pour faire face à l’accroissement du nombre de dossiers, la cellule va se voir renforcée d’un groupe d’enquête.

Huit ans. C’est la peine de prison requise par la présidente du jury de Soissons contre un couple soupçonné d’avoir abusé sexuellement de leurs nièces et de leur fils. Leur interpellation, le 20 octobre dernier, par les militaires du groupement de gendarmerie départementale de l’Aisne, met fin à plus d’une année de traque, menée in extenso par les enquêteurs du Centre d’analyse des images pédopornographiques, le CNAIP. Le couple était considéré comme une high-value target par les gendarmes du CNAIP ainsi que par leurs homologues européens, qui ont apporté leur contribution à ces arrestations. Pourquoi  ? Car depuis plus d'un an, les époux diffusaient leurs actes sur le Dark Web, une partie du Web qui n’est pas indexée par les moteurs de recherche classiques et n’est accessible que par certains réseaux informatiques anonymisés, à l’instar de Tor. Leurs activités ont été très rapidement repérées par les enquêteurs aguerris du CNAIP. Mais avant de pouvoir les stopper, il a fallu procéder à une analyse approfondie des fichiers, seule manière de récolter des indices, comme des localisations GPS, permettant ensuite leur arrestation.

Une centaine de dossiers traités par an

Cette affaire résume à elle seule le sacerdoce confié au CNAIP. Et aussi épouvantable soit-elle, ce n’est finalement qu’un dossier parmi la centaine d’autres que traitent chaque année les membres de cette cellule, spécialisés dans la traque des délinquants sexuels dans les méandres du cyberespace. Et cette centaine d’affaires ne concerne malheureusement qu’un petit fragment des contenus à caractère pédopornographique hébergés aussi bien sur le clear que sur le deep Web. En 2019, Point de Contact, une association et plateforme nationale de signalement, avait relevé 11 268 URL menant à des contenus d'exploitation et d'abus sexuels sur mineurs, tous hébergés en France !

« On est obligé de sélectionner les dossiers »

Face à ce raz-de-marée, l’arche que constituent le CNAIP et ses six membres d’équipage n’a pas les moyens humains d’endiguer un tel déferlement. « On est obligé de sélectionner les dossiers », reconnaît sans détour l’adjudant Régis, patron de la cellule depuis 2017 et chasseur de prédateurs sexuels depuis plus d’une dizaine d’années. Un aveu d’impuissance  ? Pas totalement, puisque dans cette croisade, les militaires cherchent systématiquement à viser juste et à frapper fort, c’est-à-dire les administrateurs de sites. Dans la pyramide des pédocriminels du cyberespace, ces sinistres personnages sont qualifiés « d’experts » par le CNAIP. « Ces gens sont souvent uniquement motivés par l’argent », révèle l’adjudant. À l’instar de n’importe quelles plateformes de streaming, ils diffusent du contenu pédopornographique, souvent en live, contre rémunération. En dessous d'eux, se trouvent les producteurs de contenus. Ceux-là filment et passent à l'acte. Pour le CNAIP, ces deux types de pédocriminels constituent le haut du panier, et c'est vers eux que vont se concentrer tous les efforts des enquêteurs.

Cyber-infiltration et analyse de contenus

Dans cette chasse, les gendarmes disposent de plusieurs cordes à leur arc pour rabattre les prédateurs sexuels cachés derrière leur écran. La première consiste à créer une identité numérique, une légende pour ainsi dire : c'est l'enquête sous pseudonyme, une technique encadrée par la loi. « Nous pouvons, par exemple, nous faire passer pour un mineur et accepter un rendez-vous du pédocriminel », détaillait, en octobre dernier, à Gendinfo.fr, l'adjudant Jérôme, lui aussi membre du CNAIP. Le criminel est alors immédiatement interpellé dès la prise de contact avec les gendarmes. La seconde méthode, beaucoup plus fastidieuse, mais nécessaire, est «  l'analyse de contenus, pour identifier auteurs, victimes et lieux, grâce à des faisceaux d'indices, tels que des éléments visuels et les métadonnées », détaille l'adjudant Régis. Ces fichiers, indexés dans différentes bases de données issues du CNAIP ou d'autres services européens et internationaux, sont récoltés à la fois grâce à des outils particuliers de surveillance de flux de données, mais aussi à l'aide de signalements. C'est ce procédé qui a été employé pour traquer le couple de pédocriminels cité plus haut. Les gendarmes du CNAIP consacrent les deux tiers de leur temps à l'enquête, qu'elle soit sous forme de cyber-infiltration ou d'analyse de contenus. Dans les deux cas, « la résolution d’une affaire peut aller de 10 minutes à un mois et demi de travail », si ce n’est plus, bien plus…

Un besoin de parler

La traque des prédateurs sexuels dans le cyberespace est, pour les enquêteurs du CNAIP, un véritable apostolat. Mais pour saisir la charge émotionnelle colossale qui pèse sur les épaules de l'adjudant Régis et de ses confrères, il faut se livrer à un petit calcul. Ce sacerdoce impose aux militaires de visionner, et ce quotidiennement, des dizaines de photos et de vidéos d’agressions sexuelles mettant en scène des mineurs. «  Concrètement, un dossier peut comprendre de deux images à un téraoctet de données.  » Multipliez cette unité de mesure par cent et imaginez le résultat !

« On a parfois l'impression de vider l'océan avec une petite cuillère trouée »

Pour ne pas sombrer face aux plus bas instincts de l'humanité, les membres de cette cellule disposent d'un suivi psychologique conséquent, comprenant plusieurs entretiens par an, individuels comme collectifs. « On a besoin de parler », admet volontiers le sous-officier. Malgré son expérience, ses douze années passées au CNAIP ne suffisent pas pour lui permettre d’être hermétique aux actes abjects auxquels il est confronté. En plus des psychologues, le dialogue doit aussi impérativement se faire avec ses équipiers : « il faut une alchimie dans l'équipe. Si dès le départ, la personne est trop introvertie, comment savoir ensuite si elle va bien ou non ? » La traque de ces prédateurs n'est donc pas à la portée de tous. D'autant que ce travail est sans fin. Depuis plusieurs années, la quantité de données à traiter ne cesse d'augmenter. «  On a parfois l'impression de vider l'océan avec une petite cuillère trouée  », soupire l'adjudant Régis. Mais quelques lueurs d'espoir subsistent. Les effectifs du CNAIP vont bientôt être renforcés et un groupe d'enquête va être recréé, pour effectuer des cyber-infiltrations. « À ce moment-là, on continuera toujours de vider l'océan, mais cette fois-ci avec une louche », reconnaît un autre gendarme. Et c'est toujours mieux qu'une petite cuillère !

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