« Violences conjugales. Au cœur de l'audition judiciaire... », l’adjudante-cheffe Karine Bonnefond signe un ouvrage de référence

  • Par Hélène THIN
  • Publié le 02 juin 2024
Photos d'un chapeau de gendarme posé à côté d'un livre s'intitulant "Violences conjugales, au coeur de l'audition judiciaire..."
© D.R.

À la tête de la Maison de protection des familles du Rhône depuis 2021, l’adjudante-cheffe Karine Bonnefond œuvre depuis de nombreuses années contre les violences intrafamiliales. Forte d’une expertise reconnue, fondée sur une solide expérience de terrain, elle a publié, en novembre 2023, un essai portant sur la question de la prise en charge des victimes et des témoins, ainsi que du traitement judiciaire aujourd’hui réservé aux auteurs de violence. Rencontre avec une femme engagée.

C’est un ouvrage essentiel que celui de l’adjudante-cheffe Karine Bonnefond, commandante de la Maison de protection des familles (MPF) de la gendarmerie du Rhône.
Parmi les 444 700 victimes de violences physiques enregistrées en France en 2023 par les services de gendarmerie et de police nationales, au titre des crimes et délits, plus de la moitié ont été agressées dans un cadre intrafamilial (données du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer). Dans un contexte d’augmentation des plaintes, induite par la libération de la parole et l’amélioration des conditions d’accueil des victimes, le traitement judiciaire des violences conjugales constitue une priorité de premier plan pour les pouvoirs publics.

Entrée en gendarmerie en 2005, Karine Bonnefond se spécialise presque aussitôt dans la prise en charge des victimes de violences intrafamiliales. Seul personnel féminin dans la première brigade territoriale où elle est affectée, et titulaire d’un master en psychologie clinique et psychopathologie, elle se voit confier la plupart des affaires relatives aux faits de maltraitance sur mineurs. En 2014, elle prend la tête de la Brigade de protection des familles (BPF) de Lyon, une unité alors créée à titre expérimental. Elle y exercera durant sept ans, avant d’être nommée, en 2021, à la tête de la Maison de protection des familles (MPF) du Rhône.

Au gré de ses affectations aux quatre coins de la région Auvergne-Rhône-Alpes, elle a, durant près de vingt ans, acquis une solide expérience de terrain, au contact des victimes ainsi que des acteurs engagés dans la lutte contre les violences intrafamiliales. Figure reconnue dans ce domaine, elle enseigne également dans plusieurs écoles, ainsi qu’à l’université. Son ouvrage, qui s’adresse aux professionnels autant qu’au grand public, apporte un éclairage précieux sur la question à la fois complexe et cruciale de la prise en charge des victimes et des auteurs de violences intrafamiliales.

Photo de Karine Bonnefond, auteur du livre "Violences conjugales. Au coeur de l'audition judiciaire...", qu'elle tient devant elle, en regardant l'objectif en souriant. Elle porte ses cheveux longs lâchés, et un pull noir.
© D.R.

Pourriez-vous nous parler de la genèse de votre ouvrage ?

Spécialiste de la question des violences intrafamiliales depuis de nombreuses années, j’ai consacré à ce sujet trois mémoires d’études. Le premier sur les violences de genre, également nommées « violences sexistes ». Le second sur les enfants témoins de violences conjugales, et la prise en compte spécifique de leur parole. Le troisième, enfin, sur la prise en charge des auteurs de violences. À cette occasion, j’ai pu observer que les dispositifs mis en place par la gendarmerie nationale pour répondre aux besoins des victimes demeuraient largement méconnus. Face à ce constat, le projet d’écriture d’un ouvrage s’est progressivement imposé à moi.

L’objectif était alors de partager avec le plus grand nombre, population et partenaires, les observations issues de mes travaux de recherche. Car nombreuses sont les victimes qui n’osent pas franchir la porte d’une brigade de gendarmerie, ou ignorent simplement pouvoir bénéficier d’un accompagnement adapté. Ce livre a donc vocation à encourager les victimes à dénoncer les faits qu’elles ont subis. Et ainsi participer à la libération de la parole, une impérieuse nécessité. Les ‎éditions du Panthéon, que j’ai alors contactées, ont immédiatement adhéré au projet et répondu présent.

Quels sont aujourd’hui les différentes typologies de violences, ainsi que le profil des victimes ?

Les violences intrafamiliales n’ont pas de frontières. Milieu socio-culturel, confession religieuse, âge ou sexe… Le profil des victimes est très diversifié.
Bien que les femmes soient les premières victimes de ce fléau, les hommes ne sont pas épargnés. S’ils sont aujourd’hui plus nombreux à dénoncer les faits, leur sentiment de honte est exacerbé, notamment dans le cas de violences sexuelles. Leur prise en charge se révèle donc plus complexe.Les enfants, eux, sont souvent témoins silencieux des violences conjugales qui s’exercent au sein du foyer. Victimes à part entière, ils furent longtemps oubliés, et leur témoignage négligé. J’ai travaillé spécifiquement sur cette question, tant le recueil de leur parole est essentiel et délicat.

Les violences conjugales peuvent revêtir de multiples formes : violences physiques, verbales, sexuelles, psychologiques, mais également financières ou administratives. Celles-ci consistent à entraver la capacité d’émancipation de la victime, en lui confisquant, par exemple, ses papiers d’identité. Depuis la pandémie de Covid-19, les cyberviolences ont également explosé en France.

Qu’en est-il de la prise en charge des victimes de violences intrafamiliales, notamment au sein de la gendarmerie ?

La prise en charge des victimes de violences intrafamiliales a considérablement évolué au cours des dernières années. Accueil et accompagnement pluridisciplinaire des victimes et des témoins, prise en compte des auteurs, actions de prévention… La gendarmerie est aujourd’hui présente sur tous les fronts. Nous avons travaillé ardemment afin de structurer au mieux les parcours, et proposer des protocoles qui permettent à nos partenaires d’identifier les bons interlocuteurs lorsqu’ils sont en présence d’une victime.

En première ligne, les brigades de gendarmerie accueillent toute personne victime de violences. En fonction de la nature et de la complexité des faits, cette dernière peut être orientée vers la Maison de protection des familles (MPF), une structure créée au sein de chaque Groupement de gendarmerie départementale (GGD), à la suite du Grenelle des violences conjugales (novembre 2019), afin de renforcer l’engagement de la gendarmerie dans l’accompagnement et le suivi des victimes de VIF. Les MPF constituent un point d’entrée unique pour l’ensemble des partenaires du département, qu’il s’agisse d’associations d’aide aux victimes ou d’acteurs institutionnels.

Quel est le champ d’action de la Maison de protection des familles ?

L’action de la Maison de protection des familles de la gendarmerie du Rhône, dont j’assure le commandement, s’articule autour de deux axes.
Nous intervenons d’abord à l’appui des unités de gendarmerie, notamment sur le plan judiciaire. Nous procédons ainsi à l’audition des victimes, sur demande des enquêteurs. Celles-ci sont alors reçues dans les meilleurs délais. Le facteur temps est en effet primordial, en raison du stress et du doute souvent ressentis. La MPF n’est pas systématiquement sollicitée. Lorsque l’audition ne présente aucune difficulté particulière, la victime est entendue directement par les gendarmes de la brigade territoriale.
Conformément aux directives des tribunaux de Lyon et de Villefranche-sur-Saône, nous auditionnons tous les enfants témoins de violences conjugales âgés de moins de six ans, ainsi que les enfants victimes de violences sexuelles et de maltraitances aggravées, quel que soit leur âge. Nous prenons aussi en charge certains mineurs en situation de handicap.

Parallèlement au volet judiciaire, nous engageons également de nombreuses actions de prévention autour de thématiques ciblées, à destination de publics jugés vulnérables : mineurs, seniors ou personnes porteuses d’un handicap…
Ainsi, nous sensibilisons les jeunes aux questions fondamentales du consentement, des violences sexuelles, du harcèlement scolaire, ou encore des dangers que peut représenter Internet. Particulièrement exposés aux arnaques, les seniors sont quant à eux sensibilisés aux bons gestes à adopter, aussi bien sur Internet que dans la vie courante. Notre domaine d’intervention est donc extrêmement large.

Parmi les nombreuses actions que nous menons, l’opération « Stop victime, plus jamais ! », créée par la Brigade de protection des familles du groupement de gendarmerie du Rhône, a réuni plus de 550 victimes depuis 2015. Chaque année, quatre journées gratuites sont ainsi organisées en coopération avec nos partenaires, avec au programme de nombreux ateliers adaptés aux besoins des victimes : self-défense, secours à la personne, légitime défense, gestion du stress... Objectif : reprendre confiance en soi et adopter les bons réflexes face à un agresseur.
Si le grand public constitue une cible prioritaire, les professionnels – gendarmes ou partenaires de la MPF – sont eux aussi visés par différentes actions de sensibilisation et d’information. J’interviens ainsi auprès des gendarmes du département du Rhône, auxquels je dispense des formations sur l’accueil des victimes.

En quoi la collaboration entre la MPF de la gendarmerie du Rhône et ses partenaires représente-t-elle un enjeu central pour la prise en charge des victimes de VIF ?

Le travail de réseau est primordial dans notre domaine ! La prise en charge des victimes repose sur une approche pluridisciplinaire. La Maison de protection des familles travaille ainsi en partenariat avec de nombreux acteurs : magistrats, avocats, associations d’aide aux victimes ou encore délégués régionaux et départementaux aux droits des femmes et à l’égalité. La qualité de notre collaboration est essentielle. Le lien de confiance que nous tissons avec la victime constitue la clé de voûte de notre travail, tant le recueil de la parole est délicat, et l’enjeu important. C’est pourquoi nous travaillons uniquement avec des partenaires que nous connaissons. Jamais nous n’adresserons une victime à une association qui nous est inconnue, au risque d’entacher la relation de confiance, et ainsi compromettre le travail réalisé.

Grâce à l’action conjointe que nous menons tous ensemble, les victimes osent davantage dénoncer les faits de violences. Les évolutions récentes, liées notamment au Grenelle des violences conjugales, ont permis une avancée de taille. Nous sommes aujourd’hui plus nombreux à pouvoir détecter les violences, et les dispositifs de protection des victimes se sont étoffés. Les médecins, par exemple, sont aussi partie prenante de ce large maillage. Il est donc important de mener avec nos différents partenaires une action coordonnée, et faire connaître à chacun nos missions et nos enjeux. Enfin, pour bien repérer, et orienter au mieux les victimes, chacun doit comprendre ce qu’est la violence, pour pouvoir l’appréhender sous toutes ses formes. Aussi ai-je souhaité montrer, dans mon ouvrage, que les violences ne se limitent pas aux seuls actes physiques.

Pour finir, comment votre livre a-t-il été accueilli depuis sa publication ?

Mon livre s’adresse à un large public. Je voulais que chacun puisse y trouver ce qu’il recherche. Les nombreux retours positifs que j’ai reçus m’ont profondément touchée. Certaines victimes de violences conjugales m’ont indiqué que le livre leur avait ouvert les yeux, et permis de qualifier ce qu’elles vivaient. Isolée du reste du monde par l’auteur des violences, la victime peine souvent à nommer ce qu’elle vit. Elle se renferme alors sur elle, en proie au doute, à la culpabilité et à la dépression. C’est là un mécanisme classique, dont l’effet annihile les ressources de la victime. Mon objectif était d’apporter à ces femmes un éclairage extérieur, qui puisse les aider à se rendre compte de leur situation et de la gravité des faits, ainsi que des mécanismes qui s’exercent. Une victime ne pourra dénoncer les violences subies qu’à partir du moment où elle prendra conscience de la situation. Les témoignages de ces femmes m’ont grandement rassurée.

Quant aux partenaires, le livre leur fournit des clés permettant de mieux appréhender les enjeux associés à l’audition des victimes. Par exemple, parmi les nombreuses questions posées par l’enquêteur à une victime d’agression sexuelle, certaines concernent les vêtements que portait cette dernière au moment des faits. Le but est de recueillir des éléments de preuves matérielles, pouvant s’avérer déterminants dans le cadre d’une procédure judiciaire. L’oubli d’une question peut avoir une incidence directe sur la procédure. Autre point capital, dont dépend la qualité du témoignage : l’abord de la victime lors de son audition. L’enjeu est de conforter la personne dans son statut de victime, afin de créer les conditions favorables au recueil de la parole.

Mon livre permet enfin de partager mon expérience, exemples concrets à l’appui, avec mes camarades gendarmes engagés quotidiennement dans la prise en charge des victimes de violences intrafamiliales. L’occasion pour eux de compléter la formation, désormais obligatoire, qu’ils ont reçue.
D’une manière générale, j’espère humblement, grâce au livre, améliorer le repérage des VIF ainsi que l’orientation des victimes, afin de participer à la dénonciation des faits de violences.

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