« La négociation est une arme », ou les stratégies d'un ex-négociateur du GIGN

  • Par le commandant Céline Morin
  • Publié le 18 juin 2021
© D.R.

Dans son nouvel ouvrage, « La négociation est une arme, la négociation stratégique », Bernard Meunier, ex-négociateur du GIGN devenu psychosociologue, livre ses stratégies pour éviter ou désamorcer les conflits de la vie quotidienne.

L’actualité récente a mis en lumière le métier de négociateur dans le cadre d’interventions sur des forcenés retranchés. Toutefois votre ouvrage aborde bien plus largement les conflits du quotidien trouvant bien souvent une issue dans la violence. Est-ce la multiplication de ces situations et cette escalade de plus en plus fréquente qui ont motivé la rédaction de cet ouvrage ?

L’actualité a en effet mis en avant l’intérêt de connaître l’ « autre » dans la gestion d’une crise, mais la négociation existe désormais depuis plusieurs décennies au sein du GIGN.

Cet ouvrage fait suite à une première version sortie au tout début des années 2000, chez un éditeur qui a disparu. Elle était issue d’un travail de recherche universitaire dans cette spécialité inconnue à cette époque. Elle a été l’aboutissement de dix années de négociation de crise au sein du GIGN. Ça ne racontait aucune intervention, mais mettait en exergue que les méthodes employées pouvaient s’adapter à la vie de tous les jours. Le point de départ était régulièrement une négociation de prise d’otages massive, celle du détournement de l’Airbus du vol 8969 en provenance d’Alger en 1994, qui s’était soldée par la libération de l’intégralité des otages sur le sol français, à Marseille, à la suite d'une intervention physique particulièrement violente. On y comprend en revanche tout l’intérêt d’être avec son interlocuteur afin de figer une situation et d’en évaluer son évolution. Les liens apparaissant dans l’ouvrage étaient couplés d’analogies, parfois même métaphoriques, sur des scènes de la vie quotidienne.

Cette nouvelle version se veut plus stratégique et adaptée au monde de l’entreprise, tous niveaux hiérarchiques confondus.

Vous rapprochez la gestion de crises de haute intensité, comme vous avez pu en traiter de nombreuses tout au long de votre carrière au sein du GIGN, de celles des crises du quotidien, que ce soit dans la sphère personnelle ou professionnelle. En quoi sont-elles similaires ?

Elles ont la particularité d’employer les mêmes biais cognitifs. Ce sont ces manières de réagir à une situation et dans un contexte donné ; toutes choses égales par ailleurs et en fonction de paramètres liés à la haute intensité (stress, émotion, physiologie, etc.). Sans ces bases, il est impossible de tenter quoi que ce soit de quelque peu scientifique ou simplement technique, ou alors on appelle ça du sixième sens… Mais lorsque des vies sont en jeu, ça fait un peu léger, tout le monde en conviendra.

Mais le domaine de la négociation est vaste. Aussi, il est toujours intéressant de posséder l’intégralité des connaissances nécessaires au fonctionnement de la machinerie dans laquelle on se trouve. Ce sera le GIGN en ce qui concerne les négociations de crise. Le fonctionnement de la société dans laquelle on intervient, dans le cadre d’une négociation stratégique. Un chapitre est d’ailleurs consacré à ce concept de négoaction.

Il s’est avéré qu’au cours de ces dizaines de négociations de crise menées au sein de mon unité, j’ai fait le constat que d’autres pendants de la psychologie étaient également fondamentaux. La psychopathologie, la psychologie sociale, la psycholinguistique, la connaissance des différentes théories sur les relations interpersonnelles ou encore l’approche systémique, pour ne citer que ces items. L’approche ne peut être que pluridisciplinaire, puisque l’origine est protéiforme.

Nos interlocuteurs ne peuvent être réduits à des symptômes ou à des causes personnelles. Ceci n’a de sens que dans un contexte, une histoire ou une suite d’actes. Il va falloir écouter l’autre pour le comprendre. La relation entre l’auteur et le négociateur devient alors un principe opératoire de la situation. C’est le dénominateur commun à tous types de négociations.

Elle ne peut s’improviser, surtout quand les enjeux peuvent être importants. Chacun estime ce qui est prioritaire ou encore ce qui a de la valeur pour lui. Parfois certaines choses apparemment futiles pour une personne ont de l’importance pour une autre. C’est en ce sens que la connaissance de la négociation est un outil indispensable. Elle est même parfois une arme redoutable.

Votre ouvrage, très pointu, voire technique, se veut presque un mode d’emploi dans lequel vous livrez différentes clés pour éviter ou désamorcer les conflits…

Il peut être considéré comme pointu, car les choses ne sont pas si simples, et en situation de crise extrême, comme lors de prises d’otages, les erreurs, qu’elles soient tactiques, techniques voire stratégiques, peuvent avoir des répercussions importantes.

John Lock disait déjà au XVIIe que « l’expérience, c’est bien là le fondement de toutes nos connaissances ». Ce qui est présent dans cet ouvrage est issu de la construction et du développement de la négociation pendant dix années au sein du GIGN. J’en ai fait une adaptation. Nous sommes partis, il y a une trentaine d’années, d’un postulat extrême, où la négociation improvisée avait échoué. Chacun se souviendra de la prise d’otages de vingt gendarmes après le massacre de cinq autres, sur l’île d’Ouvéa, en 1988. Nous avons fait le constat que si cet outil avait été maîtrisé, un magistrat et le commandant du GIGN ne se seraient pas fait piéger avec six autres volontaires, dont j’ai fait partie, dans les heures qui ont suivi. Fort heureusement, un retournement de situation nous a permis de rétablir l’ordre une semaine plus tard en libérant l’intégralité des otages. Mais l’affaire semblait bien mal engagée. C’est à l’issue et en étudiant la systémie de l’École de Palo Alto, que j’ai compris que la stratégie, bien que puérile et n’ayant répondu qu’à nos instincts primaires, avait été en fin de compte le fruit de concepts existants, mais que nous n’avions pas encore élaborés de manière opérationnelle.

Dès le début des années 90, cet outil s’est donc professionnalisé, pour devenir, à défaut d’être l’arme ultime pour parvenir à la libération des otages et à la reddition des auteurs dans 100 % des cas, un élément incontournable d’aide à la décision par le profiling, permettant d’envisager assez précisément les intentions du ou des auteurs.

Devenue incontournable, la négociation ne pouvait alors que trouver sa place chez tout un chacun, dans sa vie professionnelle comme dans sa vie quotidienne.

Au-delà des mots, trouver une issue pacifique à un conflit passe donc par tout un ensemble de techniques ?

Quelques techniques ou tactiques sont démontrées en supplément de la toile de fond que je viens d'aborder. Elles mettent un peu de couleur et surtout elles s’adaptent bien à nos problématiques quotidiennes, comme dans des relations commerciales ou stratégiques conflictuelles avec un concurrent ou un client.

Elles ont été choisies parce que testées en situation critique et qu'elles fonctionnent très bien. À défaut de solutionner une crise, elles permettent de faire avancer la situation sans être intrusif dans la partie adverse. Elles permettent de ne pas rompre le contact, de rester dans la relation sans perdre la face, ce qui, ponctuellement, est déjà une victoire au regard d’un épisode qui serait devenu stérile et sans issue.

On voit, à travers les explications et les exemples que vous donnez, que chaque situation est particulière au regard de son contexte, de ses enjeux et de ses acteurs. Il semble donc qu’il faille cultiver un sens de la perception et de l’adaptation ?

Les seuls exemples des différents forcenés de ces dernières semaines aux quatre coins de la France, nous laissent penser que les individus sont tous différents. Ils n’ont pas les mêmes pathologies ou au même degré de décompensation. Les facteurs déclenchant ne sont également pas les mêmes, tout comme leur culture, leur environnement, leur âge ou encore leur religion. Cela signifie que les manières de les aborder seront également différentes dans le fond, mais aussi sur la forme, au regard de leur éloignement (géographique), de leur état d’esprit du moment, de leurs antécédents (faits déjà perpétrés), de leur état de stress, voire de délire, tous ces paramètres évoluant en permanence dans le temps de l’action.

Les informations parvenant à la connaissance du ou des négociateurs engagés évoluent également à tout instant, permettant des réarticulations ou des changements de stratégie.

Les choses ne sont jamais figées, et comme vous l’avez très bien noté, l’adaptation est primordiale pour le négociateur et son superviseur, voire l’équipe tout entière si cela est le cas. On appelle encore cela l’intelligence situationnelle.

En conclusion, la négociation, art du compromis ou de la manipulation ?

Il est difficile de conclure sans faire une réponse de Normand, que je ne suis d’ailleurs pas. Si le compromis convient aux deux parties, elle aura œuvré en ce sens. Mais dans beaucoup de situations, le compromis est perdant pour les deux parties. Chacun y verra ce qu’il souhaite y voir ou a souhaité y gagner, ou encore ne pas y perdre. Chacun déterminera si, en fonction de ses marges de manœuvre, il s’en sort plutôt bien, ou pas. Chacun se fera son idée à un instant « t », qui sera peut-être différente quelques jours plus tard. En ce qui concerne les crises majeures auxquelles est confrontée la gendarmerie, la seule réponse qui vaille se compte en vies humaines sauvées, et ce, quel que soit l’engagement en matériels, en personnels et en temps, voire en manipulation.

À noter :

La négociation est une arme, la négociation stratégique, aux éditions JM Laffont, 2021. Ex-négociateur au GIGN, Bernard Meunier est aujourd'hui psychosociologue et réserviste opérationnel. Il est également l'auteur de Passage à l’acte, comprendre les tueries en milieu scolaire, paru aux éditions Kiwi, en 2020, ouvrage co-écrit avec Alexandre Rodde, également réserviste opérationnel de la gendarmerie, et de Négociation de crise, publié aux éditions Missions spéciales production, en 2004.

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