Huit mois à Tombouctou avec l’adjudant-chef Jean-Éric
- Par Antoine Faure
- Publié le 23 juin 2023

Journal de marche d’une OPEX (Opération extérieure), effectuée au Mali en 2019, Tombouctou nous fait vivre le quotidien d’un militaire engagé sur une mission de maintien de l’ordre, dans un pays en proie à de multiples conflits. Un récit authentique et passionnant.
« L’écriture m’a aidé. J’écrivais d’abord pour moi, pour avoir une trace, me souvenir de tout. Chaque soir, je racontais ce que j’avais vécu, avec mon regard et mon ressenti du moment. C’est un récit authentique. »
Le 7 janvier 2019, l’adjudant-chef Jean-Éric, garde républicain, pose le pied sur le sol malien, à Bamako, détaché au sein de la composante police de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), afin de participer aux missions de maintien de l’ordre dans la ville de Tombouctou. Ce n’est pas sa première mission à l’étranger. Il avait déjà été engagé, avec le Peloton d’intervention de la Garde républicaine (PIGR), pour un renfort à l’ambassade de Libye, après la mort de Mouammar Kadhafi, mais aussi en individuel au Kosovo, avec l’Union européenne, puis en Centrafrique, au Tchad, sans oublier les déplacements en Guyane avec le PIGR, dans le cadre de la mission Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal.
Un mille-feuille de problèmes, un danger permanent
Jean-Éric a toujours eu le goût de l’aventure. Cela lui vient peut-être des récits de son père, militaire dans l’armée de l’Air, « que j’ai toujours placé sur un piédestal, reconnaît-il. Depuis tout petit, je voulais être militaire. Le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre. » Après avoir porté un temps l’uniforme de l’armée de Terre, ce petit-fils de gendarme rejoint finalement la Garde républicaine en 2000, après l’école de sous-officier. « À ce moment-là, j’avais un peu mis de côté mes envies d’aventures à l’étranger. Puis j’ai répondu à un appel à volontaires pour intégrer le vivier de gendarmes destinés à partir en OPEX (Opérations extérieures). »
Le 28 janvier 2019, le C-130 Hercules atterrit donc à Tombouctou, ville légendaire, mystérieuse, et berceau de l’Islam en Afrique. Une autre planète. « Tombouctou est comme figée dans le temps, dans l’histoire, décrit-il. Quand on regarde de vieilles photos, on voit que rien n’a changé, avec les maisons en banco, les mosquées, les pistes de sable. Rien à voir avec Bamako. » C’est aussi une terre désormais hostile, où prospère le terrorisme jihadiste, et où subsistent des conflits ethniques ancestraux. « Un mille-feuille de problèmes, un danger permanent », résume-t-il. Jean-Éric se souvient de ce réveil en fanfare, dans la nuit du 29 au 30 janvier. Une sirène, le bruit d’un hélicoptère, et la radio : « Terrorist attack ! Terrorist attack ! Join your bunker ! » Il évoque aussi longuement dans son journal un autre épisode, survenu quelques mois plus tard, en septembre, alors que la mission touche à sa fin. La ville de Tombouctou, en ébullition depuis plusieurs jours, bascule dans des violences interethniques. Jets de projectiles, rafales de Kalach'. « Ça tirait de partout, j’aurais pu y passer ce jour-là… »
La tension autour est montée tout de suite
Riche en anecdotes, en rencontres, écrit dans un style fluide et alerte, Tombouctou constitue non seulement un témoignage précieux, et sans concession, sur le quotidien d’un gendarme en OPEX, mais aussi un regard passionnant sur le Mali de 2019, en proie au chaos. Le récit d’une tranche de vie éprouvante, avec le stress, la fatigue, l’odeur nauséabonde des déchets que l’on brûle à Bamako, la chaleur accablante dans le désert, et le sable qui s’infiltre partout, et que l’on retrouve, quoiqu’on fasse, dans son lit le soir.
De cette expérience, l’adjudant-chef retient également une amélioration que la gendarmerie nationale pourrait éventuellement apporter à la préparation des militaires qui partent en OPEX. « Nous sommes de mieux en mieux préparés, insiste-t-il. Qu’il s’agisse du stage technique à Saint-Astier, du stage linguistique à Rochefort, avec des mises en situation, tout est très bien. Mais il manque peut-être une sensibilisation aux différences culturelles et religieuses. Au Mali, par exemple, quand je demandais, lors des instructions, quels étaient les équipements indispensables pour partir en mission - m’attendant à ce qu’on me dise : le casque, le gilet pare-balles, l’arme, les munitions… -, certains répondaient : le grigri anti-balles ! Et il ne fallait pas rire, car c’est très sérieux pour les Maliens. Leur approche des questions de sécurité, c’est Incha’Allah (Si Dieu le veut en arabe, NDLR). Alors que moi, ce serait plutôt : Aide-toi, et le ciel t’aidera ! Or, si ceux qui m’accompagnent sur le terrain ne sont pas bien protégés, je ne le suis pas non plus. Il y a aussi le rapport aux femmes, qu’il ne faut jamais toucher. J’ai commis cette erreur avec l’une d’elles, portant le niqab, dans un centre médical. Je lui ai tendu la main, un mauvais réflexe, et elle l’a saisie… La tension autour est montée tout de suite, et nous avons dû opérer un dégagement en urgence. C’était un simple moment d’absence de ma part, mais cela aurait pu très mal tourner. »
Ici, c’est la paix
Pour Jean-Éric, le retour en France, après neuf mois de mission, s’avère difficile. « En individuel, on part et on revient incognito, note-t-il. J’avais envie d’en parler, d’extérioriser, mais on rencontre une relative indifférence. Et le fait d’être constamment sur ses gardes pendant neuf mois, ça laisse des traces. J’ai très mal vécu les premières promenades dans Paris. Il y a du monde partout, on ne contrôle rien. Je n’arrivais pas à me dire que j’étais en sécurité, j’avais la sensation d’être une cible, comme je pouvais l’être là-bas. Je regardais constamment en l’air pour voir s’il n’y avait pas des tireurs sur les toits… Ce sont tous ces réflexes acquis, qui sont indispensables en mission, mais qu’on met des mois à évacuer, avant de pouvoir reprendre une vie normale. »
L’envie de repartir en OPEX reviendra peut-être un jour, mais sûrement pas tout de suite. « Au Mali, pour la première fois, j’ai pris conscience du risque. Je ne sais pas si c’est le fait d’être un peu plus âgé, d’être père, mais j’ai commencé à avoir peur, pas seulement de la mort, mais de la blessure grave, qui m'empêcherait de subvenir aux besoins de ma famille. Ce sont des aventures formidables, mais un peu égoïstes. »
Jean-Éric termine son livre par le récit d’un réveil en douceur, le câlin d’un enfant, l’odeur du café et du pain frais. « Ici, c’est la paix », conclut-il.
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