De la P.J. aux polars : rencontre avec Frédéric Somon, ancien officier de gendarmerie

  • Par le lieutenant Floriane Hours
  • Publié le 23 juillet 2022
© Gendarmerie nationale

Durant 36 ans, le chef d’escadron Frédéric Somon, aujourd’hui lieutenant-colonel de réserve, a travaillé en gendarmerie, au sein de brigades, puis très rapidement d’unités de recherches. De son expérience, il a tiré un sens aigu du détail et une plume juste, affinée, qu’il décide, en 2021, de mettre au service de l’écriture, avec la rédaction d’un premier ouvrage, « Les dessous de Soie ».

Pur « produit » de la P.J. (Police Judiciaire) gendarmerie, Frédéric Somon commence sa carrière en tant que sous-officier, au sein d’une brigade territoriale du Puy-de-Dôme, puis du Rhône, avant d’être repéré et aspiré par la Section de recherches (S.R.) de Lyon en 1983. Après six ans en région lyonnaise, il poursuit sa carrière au sein de l’unité de recherches d’Albertville, avant de devenir officier au commandement de la brigade de recherches de Montpellier, puis de rejoindre l’État-major de la région PACA, à Marseille.

Retraité en 2014, il se lance dans l’écriture quelques années plus tard, et sort son premier ouvrage, « Les dessous de Soie », en 2021. À la suite de ce premier polar, qui se déroule à Lyon et dans sa région (notamment au nord la capitale des Gaules, sur le Plateau de la Dombes), deux autres suivront : « Quand la Dombes tue » et « La Chimère de la Dombes ».

Loin des livres policiers traditionnels, à l’intrigue prévisible et à la résolution facile, les ouvrages de Frédéric Somon racontent au contraire la complexité des enquêtes, où l’on se trompe parfois, avant de revenir, d’essayer et de finir (ou non) par trouver le coupable. Des enquêtes au plus proche de la réalité, qui racontent avant tout une histoire, celle des enquêteurs d’hier et d’aujourd’hui. Rencontre avec Frédéric Somon.

Quand avez-vous commencé à écrire et pourquoi ?

J’ai été engagé volontaire à 17 ans et j’ai tout de suite été embarqué sur des bâtiments de la Marine nationale ou alors en marine marchande. Lors des longues traversées en mer, j’écrivais ce qui me passait par la tête. Ensuite, en gendarmerie, j’ai toujours beaucoup écrit, que ce soit pour mes chefs, pour les magistrats et, en fin de carrière, pour les commandants de région pour qui je rédigeais des synthèses de police judiciaire qui montaient jusqu’au niveau du directeur général. Mais c’est à la fin de ma carrière qu’un officier m’a mis le pied à l’étrier en me disant que j’avais une plume sympa et qu’il fallait que j’en fasse quelque chose. Cet officier, c'était un colonel qui était à Marseille et qui était peintre, musicien, poète, etc. Un jour, il m’a présenté un de ses livres. C’était un livre de poésie. Et je me suis amusé à gratter, comme ça, deux poèmes pour lui soumettre. Il a trouvé ça très bien et m’a dit “il faut que tu écrives, moi, je vais t’éditer”. Donc je me suis lancé, et mon premier livre a été un recueil de poésies sur le thème qu’il m’avait imposé, celui du sentiment amoureux et de l’amour sous toutes ses formes. Ce furent mes premiers écrits, avant d’arriver à des crimes de sang dans la Dombes.

Comment êtes-vous passé de ce premier recueil, que vous avez appelé « Le grand voyage », aux polars ?

Dans mes livres, je voulais sortir des thèmes trop connus et souvent récurrents dans les polars. Dans « Les dessous de Soie », mon premier thriller - le dernier sorti, mais le premier que j’ai écrit -, j’évoque le piratage informatique de stimulateurs cardiaques. Ça m’est venu après avoir lu l’article d’un hacker australien qui avait démontré la possibilité de pirater à distance un cœur artificiel. C’était l’idée de départ pour commencer l’écriture de ce livre. Après est apparu le personnage de l’enquêteur principal, Dominique Deschamps. J’ai souhaité un personnage un peu à mon image, parti de la base et qui connaît une progression et une évolution de carrière. Il commence à travailler dans une brigade territoriale suburbaine, au nord de Lyon, sur sa première enquête, « Les dessous de Soie », puis sera coopté par la section de recherches de Lyon, qui lui trouve un certain talent et surtout une envie de mener des investigations judiciaires. Viennent ensuite deux autres enquêtes : « Quand la Dombes tue » et « La chimère de la Dombes ».

Est-ce qu’il y a une dimension autobiographique dans vos ouvrages ?

Il y a forcément un peu de mon parcours dans la carrière de Deschamps. Comme lui, j’ai commencé en brigade territoriale, avant d’être récupéré par une section de recherches, et j’ai continué ma carrière dans ce domaine. Mais c’est le seul point commun que je partage avec lui. Enfin j’espère être moins têtu que lui. Je le décris comme un garçon opiniâtre, au caractère entier. Il sait ce qu’il veut et n’hésite pas à flirter parfois avec la ligne rouge pour parvenir à ses fins.

Vous avez découvert la Dombes lorsque vous étiez à la S.R. de Lyon, mais pourquoi avoir choisi de situer l’intrigue de vos romans sur ce territoire ?

La Dombes est une région particulière, entre Bourg-en-Bresse et Lyon. Elle fait à peu près 1 500 km² et comprend plus de 1 200 étangs creusés par les moines au Moyen-Âge pour assainir la région qui était très marécageuse et l’orienter vers l’irrigation des terres céréalières et la pisciculture. J’ai donc voulu situer mon histoire dans la Dombes parce que c’est une région à la physionomie extrêmement changeante, avec la particularité d’alternance entre périodes d’évolage et d’assec. En effet, certaines années, des étangs sont vidés et transformés en cultures céréalières. J’ai trouvé intéressant de positionner un tueur en série dans ces lieux. Et puis c’est une région qui m’avait marqué par sa diversité, par tous ces étangs et ces chemins où l'on peut se perdre facilement. Ces plans d’eau produisent beaucoup de brume et de brouillard, ce qui donne un côté fantomatique. Forcément inquiétant.

Comment votre travail d’officier de police judiciaire en gendarmerie a-t-il influencé l’écriture de cet ouvrage ?

Pour moi, il est important de positionner l’intrigue de façon très juste, pour que les lecteurs puissent s’y retrouver. Je suis attentif à mes descriptions pour toujours être le plus précis possible. Et en plus, en tant qu’ancien enquêteur judiciaire, je me faisais une obligation d’avoir cette précision dans ce que j’écrivais, sachant que j’allais être lu par des gendarmes. J’ai déjà des retours de lecteurs qui me confirment que c’est ce qu’ils ont ressenti du métier en tant qu’enquêteur, et ça, c’est vraiment important, c’est ce que je veux faire transpirer dans chacune de mes intrigues. De plus, dans la majorité des polars, on parvient toujours à la résolution de l’histoire à la fin du livre. Ce qui n’est pas toujours le cas dans les enquêtes. C’est pourquoi, dans « Quand La Dombes tue », j’ai pris le contre-pied, et à la fin de l’histoire, alors qu’on pense que les enquêteurs (police et gendarmerie) sont parvenus à résoudre l’enquête, il y a un rebondissement qui les fait douter. J’ai souhaité prendre cette orientation, parce que toutes les enquêtes judiciaires ne sont pas réussies dès la première fois. Parfois, on se plante, on reprend tout et on recommence. C’est ce qui se passe dans « Quand la Dombes tue », puis dans « La chimère de la Dombes ».

C’était important pour vous d’être au plus proche de la réalité dans ce livre ?

Tout à fait ! Je regarde un peu les films et les séries T.V. où l’on parle de la gendarmerie et des enquêtes de gendarmerie, et parfois je bondis sur mon canapé en hurlant que ce n’est pas possible. Donc là, j’ai vraiment voulu faire ressortir ce qu’était le métier de gendarme et d’enquêteur, avec ses joies, ses réussites, ses loupés, ses craintes et les insomnies des enquêteurs lorsqu’ils ne résolvent pas une enquête, parce qu’ils ont l’image du corps d’un enfant ou d’une personne gravée dans leur mémoire, et ça, c’est la réalité de l’enquête. Si mes intrigues tournent autour d’un cadavre retrouvé quelque part, mes romans vont plus loin, en abordant ce qui se passe avant le meurtre, notamment l’enlèvement d’enfant.

Pourquoi avoir choisi ce thème pour les enquêtes ?

Quand j’ai écrit le livre, on était en plein dans les enlèvements, avec l’affaire Fourniret. Et puis lorsque j’étais en Savoie, il y a eu des disparitions d’enfants ; je pense à Cécile Vallin, qui n’a jamais été retrouvée. Cela m’a marqué. Ces disparitions d’enfants sont les pires enquêtes qu’on a à traiter, parce qu’on est directement face à la souffrance de parents qui cherchent des réponses qu’il nous faut leur donner, même si c’est terriblement difficile. J’ai assisté à des centaines d’autopsies, de personnes brûlées, noyées, défigurées, mais ma pire autopsie, ce fut celle d’un enfant qui était intact physiquement. Peut-être parce qu’en ce temps-là, j’avais un enfant du même âge.

Est-ce que l’écriture a été une sorte de thérapie ?

Pas vraiment. J’ai compris pourquoi je faisais mes insomnies. C’est quelque chose que je décris facilement dans mes livres en évoquant celles de Deschamps, qui voit les gamines devant ses yeux. C’est ce qu’il a vécu, c’est son traumatisme qui revient sans cesse et l’empêche de dormir. Je crois que tous les gendarmes ont connu ça. Mais sinon, je n’ai rien à exorciser avec mon écriture.

Est-ce que cela a été difficile d’écrire ces deux ouvrages ?

Ça a été plutôt facile à écrire parce que j’étais dans mon cœur de métier, dans quelque chose que je connaissais extrêmement bien. Là où ce fut plus compliqué, c’est l’écriture du livre qui sortira en mars 2023 - toujours aux éditions M+Éditions. Avec « L’orphelin de Mortemer », qui traite des colonies pénitentiaires, autrement dit des bagnes pour enfants au XIXe siècle, je suis complètement sorti de ma zone de confort. Comme je ne connaissais pas cette période de notre histoire judiciaire, il a fallu que je me documente fortement pour écrire ce livre. Mais c’est finalement plus simple pour moi d’écrire un polar, ce fut mon métier pendant 40 ans ! Là où je vais commencer à avoir des difficultés, c’est sur les nouvelles techniques d’enquête. J’ai conscience que la gendarmerie progresse incroyablement vite et que depuis l’affaire du petit Grégory, en 1984, elle est devenue un pôle d’excellence au niveau de la criminalistique.

Votre prochain livre, vous l’avez un peu expliqué, traite de l’histoire d’un enfant qui va se retrouver à quatre ans dans une colonie pénitentiaire. Pourquoi avoir voulu quitter le polar et vous orienter sur ce sujet-là ?

C’était pour voir si j’étais capable d’écrire autre chose que du polar. Je suis rassuré, car mes « premiers lecteurs », ceux qu’on appelle les bêta-lecteurs, ont vraiment apprécié « L’Orphelin de Mortemer ». J’ai choisi ce sujet parce que c’est un thème peu évoqué dans la littérature et peu de personnes connaissent finalement l’existence de ces colonies pénitentiaires. Il y en a eu une centaine en France. Elles étaient agricoles, maritimes ou industrielles, et souvent dirigées par des religieux. Dans le cadre de la réserve opérationnelle dans l’Hérault, j’ai eu la possibilité de visiter l’une de ces colonies, ou du moins ce qu’il en restait, c’est-à-dire la chapelle et les geôles. C’était glaçant ! J’ai eu, comme on dit, les poils qui se sont dressés sur les bras quand je suis entré dans les cellules. C’est là que je me suis dit qu’il fallait que j’écrive sur le sujet.

Ce livre sera votre quatrième ouvrage. Un autre de prévu après cela ?

Après cela oui, je renouerai avec les polars, avec le retour du trio d’enquêteurs Deschamps, Rousseau et Rivière. Dans « La Chimère de la Dombes », l’adjudant-chef Rivière se fait prendre à partie dans une grange, où il se fait tirer dessus et est gravement blessé. Il sera de retour dans ce nouvel opus, mais ça ne va pas très bien se passer. Si je reste avec les mêmes enquêteurs, ce ne sera pas une suite de la Dombes, mais une nouvelle enquête.

Vous en êtes doncdéjà à la rédaction de votre cinquième ouvrage. Pour votre livre « La Dombes tue », vous avez été primé par l’AcadéNimes du Polar, en mai 2022. Est-ce que vous imaginiez, il y a 10 ans, avoir cette seconde carrière ?

(rires) C’est vrai que je m’étonne encore de faire ça ! Pour tout vous dire, quand je suis allé à l'AcadéNimes du Polar à Nîmes, qui se déroulait à l’école de police, et où ils m’ont fait l’honneur de m’inviter, lorsqu’ils ont annoncé les prix, un pour la bande dessinée, un pour les jeux de société liés aux enquêtes judiciaires, j’étais encore loin de m’imaginer que mon nom serait annoncé pour le prix dédié au polar. J’avoue que je suis resté penaud, parce que dans la salle, il y avait de grands policiers, de grands enquêteurs, de grands auteurs que j’apprécie particulièrement, comme Olivier Norek, Cédric Sire, Danielle Thiéry ou encore Céline Denjean, des auteurs fort réputés et à juste titre. Donc je suis toujours très étonné de ce qui m’arrive. D’autant plus que CNews m’a fait l’honneur de sélectionner « La Chimère de la Dombes » parmi les six polars de la rentrée littéraire. Deux titres et deux satisfecit, que désirer de plus !

 

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