Les gendarmes de Nouvelle-Aquitaine accueillent la Guardia civil pour évoquer la lutte contre les violences conjugales

  • Par le chef d'escadron Sophie Bernard
  • Publié le 19 décembre 2022
© RGNA - D.REMBERT

À l’occasion de la seconde édition de son séminaire sur les Violences intra-familiales (VIF), la Région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine (RGNA) a profité de la présence de la lieutenante-colonelle Dorothée Cloître, référente VIF nationale, des officiers adjoints prévention et des chefs des Maisons de protection des familles (MPF) de ses douze groupements de gendarmerie pour inviter des homologues espagnols à échanger sur la thématique. Des regards croisés qui ont permis de nourrir la réflexion.

Si la lutte contre les violences intra-familiales (VIF) est devenue une priorité gouvernementale, notamment depuis trois ans, avec le Grenelle, c’est un sujet qui préoccupait déjà nos voisins espagnols depuis une quinzaine d’années. « Il y a eu une vraie prise de conscience en 2004, après le féminicide dont a été victime Ana Orantes. Quelques semaines après avoir témoigné à la télévision du calvaire qu’elle subissait depuis 40 ans, cette femme a été tuée par son ex-mari dans des circonstances effroyables. Dès lors, une loi contre les violences de genre a été promulguée et de nombreuses mesures en ont découlé », se souvient Mme Estrella Lamadrid, coordinatrice de la préfecture de Navarre.

C’est notamment pour évoquer ces mesures concrètes que le colonel Olivier Chauveau, chef du bureau coordination partenariat de la Région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine (RGNA), a souhaité convier Mme Lamadrid et trois représentants de la Guardia civil au séminaire VIF. Une initiative saluée par le commandant de région, le général de division Samuel Dubuis : « Cela permet d’apporter un regard plus large sur le fléau des VIF et sur les dispositifs que l’Espagne a pu développer pour le combattre. »

© RGNA - P. HERAUD

Une spécificité espagnole : la violence de genre

Depuis plusieurs années en effet, celle-ci a institué un éventail de mesures pour lutter contre les violences de genre, qu’elle distingue des VIF. « Dès lors qu’un homme fait preuve de violence à l’encontre d’une femme et qu’il y a eu une relation affective entre les deux, même de quelques jours seulement, à travers des échanges Internet, l’infraction est caractérisée », explique le lieutenant Fernando Diez, adjoint au chef de l’unité organique de la police judiciaire de Navarre.

Une approche qui séduit l’adjudante-cheffe Stéphanie, à la tête de la Maison de protection des familles (MPF) de Haute-Vienne (87) : « Dans plus de 80 % de nos procédures, ce sont des femmesqui sont victimes d’hommes. C’est très intéressant je trouve d’avoir dissocié ces violences de l’ensemble des VIF et d’avoir mis l’accent sur la vulnérabilité des femmes. »

Tout comme en gendarmerie, les personnels de la Guardia civil sont formés pour prendre en charge la victime avec empathie et faire une première évaluation des risques à travers une série de questions (un équivalent de la grille d’évaluation du danger). De la même manière, une enquête est systématiquement ouverte pour ce type de fait et poursuivie même en cas de renoncement de la victime. Cette dernière peut demander à consulter un psychologue, à être accompagnée d’un avocat spécialisé durant son dépôt de plainte, et à voir sa procédure suivie par un tribunal spécifique dédié aux violences de genre.

Une approche pluridisciplinaire vers laquelle la France tend à se rapprocher. « Nous orientons souvent les victimes vers des psychologues après l’audition, voire même avant, pour faciliter la libération de la parole. Nous bénéficions également du renfort précieux d’un Intervenant social gendarmerie (ISG), qui va pouvoir aider la victime à se loger, la mettre en contact avec un avocat, des associations, etc.Un magistrat référent VIF est également nommé, mais ce n’est pas aussi abouti que leur tribunal spécifique. Celui-ci ne prendra en compte la procédure que si la femme est déjà en sécurité. En cas d’urgence, c’est la permanence parquet qui devra gérer, donc un magistrat ni dédié, ni forcément formé à cette thématique », regrette Stéphanie.

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Une base de données pour réduire la récidive

Une autre mesure enviée des gendarmes français : la base de données VIOGEN du ministère de l’Intérieur espagnol. Ce fichier unique permet aux enquêteurs ibériques de retrouver toutes les informations relatives aux violences de genre enregistrées et demeure consultable par l’ensemble des personnes habilitées sur le territoire national. Il permet également de faciliter le suivi, à travers notamment des notifications en cas de changement de situation (comme la sortie de prison d’un auteur) et la mention obligatoire des éventuelles mesures de protection (par exemple une interdiction de rapprochement). Regroupant aujourd’hui les données liées à près de 75 000 victimes de violences de genre, VIOGEN est « la mesure qui a clairement eu le plus d’impact en Espagne sur la problématique », affirme le lieutenant Diez.

Un outil qui laisse rêveurs les chefs des MPF de la RGNA. « Un fichier unique ? Ce serait formidable de pouvoir tout voir en un clic. Chez nous, les informations sont disséminées dans différents fichiers, dont certains nécessitent de solliciter les services idoines. Nous n’avons pas toujours le temps de faire ces recherches, qui parfois nous font perdre plusieurs heures d’enquête », regrette Stéphanie.

Un souhait qui pourrait être exaucé d’ici un an, comme l’explique la lieutenante-colonelle Dorothée Cloître, référente VIF nationale : « La France aurait souhaité s’inspirer de l’outil VIOGEN, mais les contraintes législatives et réglementaires (NDLR : la CNIL impose de nombreuses limites en matière de collecte de données) nous l’interdisent à ce stade. Néanmoins, d’ici fin 2023, les enquêteurs devraient pouvoir disposer d’un portail d’interrogation unique pour accéder à différents fichiers des ministères de l’Intérieur et de la Justice, et avoir ainsi rapidement une vue précise sur une situation de VIF. Ce projet est porté par une gouvernance MIOM/MINJUST et s’appuie notamment sur le ST(SIpour le développement technique. »

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Le concept des MPF séduit

Si l’exposé des mesures législatives espagnoles en matière de violences de genre a conquis l’auditoire lors du séminaire, les représentants de la Guardia Civil ont, pour leur part, été séduits par le concept de maison de protection des familles, qui leur avait été présenté la veille. « Nous avons des unités d’enquête dédiées aux violences, comme les CLAP, mais nous n’avons rien de comparable à la MPF, qui se concentre sur le volet prévention. En outre, cet environnement chaleureux pour accueillir les victimes, détaché de l’espace où se déroule la garde à vue, semble être une très bonne chose. Une unité similaire consacrée aux mineurs pourrait bientôt voir le jour en Espagne », déclare le lieutenant Diez. Au-delà de la rencontre annuelle des différents acteurs de la chaîne VIF en gendarmerie, cet échange franco-espagnol aura ainsi vu germer de nouvelles idées, des deux côtés de la frontière, afin de mieux lutter encore contre ce fléau universel.

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