En Guyane, la gendarmerie ne cesse d’intensifier son action de lutte contre l’orpaillage illégal

  • Par Lieutenante Floriane Hours
  • Publié le 22 juin 2022
Les gendarmes de la brigade nautique de Matoury en prospection d'un site d'orpaillage illégal en Guyane au barage du petit saut - Photo d'illustration
© Ministère de l'Intérieur - P. Chabaud

380 militaires engagés, 17 cibles interpellées, 290 grammes d’or, 500 000 euros et 9 véhicules saisis... Tel est le bilan chiffré d'une vaste opération judiciaire menée le 3 mai en pleine nuit par la gendarmerie de Guyane.

Il est 4 heures du matin. Dans le petit village informel « PK6 », situé en périphérie de Kourou et où se trouvent une soixantaine d'habitations, 380 gendarmes se préparent à intervenir. Leurs cibles ? 17 individus soupçonnés de tenir, ici même, une base logistique d’ampleur alimentant en matériels, en véhicules, en outils, plusieurs chantiers d’orpaillage illégaux. Parmi eux, certains sont connus pour être particulièrement violents et posséder des armes. Pour les interpeller, plusieurs unités de gendarmerie sont mobilisées. Positionnés en bouclage, les gendarmes mobiles assurent l’étanchéité totale de la zone. Sont également présentes les unités de gendarmerie départementale des compagnies de Kourou, Matouri et Saint-Laurent-du-Maroni, ainsi que la Section de recherches (S.R.) de Cayenne, en charge de l’enquête, renforcée par le GIR (Groupe Interministériel de Recherches). Pour les individus les plus dangereux, les gendarmes de l’Antenne du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (AGIGN) sont également engagés.

Cette opération de grande ampleur se déroulant en pleine nuit, un hélicoptère de la SAG (Section Aérienne de la Gendarmerie) est déployé pour assurer l’éclairage du site dans un premier temps, puis pour servir d’appui et de renfort sur la phase d’observation, de détection et de surveillance. Pour appuyer ce dispositif conséquent, une équipe cynophile est aussi sur place. Dans ce village composé de bidonvilles plus ou moins sophistiqués, la difficulté est d’interpeller de façon simultanée toutes les cibles, afin qu’aucune n'ait le temps de prendre la fuite (la proximité avec la forêt et la typologie du bidonville rendant compliquée la recherche de personnes). Un effet de surprise majeur selon le général Stéphane Bras, commandant la gendarmerie de Guyane. « L’effet de surprise, cest ce qui est compliqué lorsqu’on engage autant de personnels. […] On a aussi travaillé avec les magistrats, de manière à avoir la possibilité d’intervenir, de pénétrer dans les domiciles en pleine nuit, car on ne pouvait pas attendre 6 heures du matin. Àcette heure là, les gens commencent déjà à travailler, d’où ce choix d’horaire pour l’intervention. » Sur place, en quelques minutes seulement, les 17 cibles sont interpellées, 9 véhicules sont saisis ainsi que 290 grammes d’or, 500 000 euros, deux armes à feu et du matériel comme des motopompes, divers outils ainsi que du mercure, utilisé pour séparer l'or des autres sédiments et dont l'utilisation est interdite en Guyane depuis 2006.  En parallèle, d’autres interpellations sont aussi réalisées sur d’autres sites. Parmi les 17 individus interpellés ce jour-là, neuf sont placés en détention provisoire et huit autres sous contrôle judiciaire.

Un centre opérationnel unique en France

En Guyane, ce type d’intervention judiciaire de grande ampleur, tournée non plus seulement vers les chantiers illégaux mais vers les réseaux logistiques qui nourrissent et alimentent ces chantiers, est l’une des nouvelles stratégies récemment mises en place par le comité de pilotage stratégique de la Lutte contre l’orpaillage illégal (LCOI). Présidé par le procureur de la République et le préfet, ce comité se réunit tous les six mois pour définir les grands axes d’action dans ce domaine pour les mois à venir. La gendarmerie et les forces armées françaises impliquées dans la mission Harpie proposent ensuite des options à ces autorités qui, si elles les acceptent, sont ensuite déclinées aux unités élémentaires, à l’image de l’opération du 3 mai. « À l’occasion de cette réunion, nous avons décidé de cibler les flux logistiques et donc de nous en prendre aux bases arrières logistiques de l’orpaillage illégal. Nous avons donc tout de suite identifié ce lieu comme une cible intéressante. À partir de là, nous avons mis en œuvre la machine gendarmerie et on a dit, voilà : on va en faire un objectif, on va travailler sur ce dossier. » Après plus d’un an d’observation et d’enquête, gérées par la S.R. de Cayenne, les gendarmes remontent la chaîne logistique et identifient plusieurs cibles centrales. « Le but n'était pas d’interpeller le garimpeiro, mais plutôt des cibles à valeur ajoutée, c'est-à-dire des gens qui ont un rôle clef dans la logistique de l’orpaillage, soit parce que ce sont des logisticiens avérés, soit parce que ce sont les commerçants qui fournissent la marchandise en sachant qu'ils participent à l’orpaillage illégal… »

Pour établir ces options stratégiques proposées puis mises en œuvre, la gendarmerie de Guyane dispose d’un centre de conduite des opérations Harpie, ou CCO Harpie. Co-localisé avec l’état-major des forces armées en Guyane, c’est dans ces murs que sont décidées les manœuvres d’actions tactiques menées avec les forces armées mais également en totale autonomie, comme celle du 3 mai. En dehors des actions ciblées, au quotidien et au sein du ComGend (Commandement de la Gendarmerie) de Guyane, la lutte contre l’orpaillage illégal est l’affaire de tous. « Les brigades luttent contre l’orpaillage illégal dans le cadre de leurs contrôles, si elles tombent sur des logisticiens ou sur des étrangers en situation irrégulière qui vont vers des chantiers. Mais elles ont aussi leurs missions quotidiennes de brigade de gendarmerie. » Pour ne pas peser entièrement sur ces brigades, des unités exclusivement dédiées à la LCOI ont été montées. Ainsi, sur les six escadrons de gendarmerie mobile engagés en permanence en Guyane, deux sont entièrement dédiés à ces missions et cela durant leurs trois mois de présence. Au sein de la S.R., là aussi une division a été spécialement créée. Appelée “division forêt” (par opposition à la division littoral de la S.R., qui lutte contre la criminalité de haut niveau traditionnelle), elle est en charge de toutes les enquêtes liées à l’orpaillage illégal. Pour soutenir ces effectifs, et notamment les gendarmes mobiles, particulièrement déployés sur le terrain, des OPJ (Officiers de Police Judiciaire) sont détachés de métropole pour plusieurs mois. Une nouveauté mise en place par le ComGend de Guyane, qui permet de libérer les mobiles du volet judiciaire, tout en récupérant des procédures plus claires et plus solides, débouchant sur des résultats plus probants. Au total, 250 gendarmes sont entièrement consacrés à cette problématique. « Tous les jours, on a en moyenne 53 gendarmes qui sont en mission en forêt », précise le général Bras. Un investissement humain conséquent, qui a permis à la gendarmerie de réaliser 1 059 opérations liées à la LCOI en 2021.

 

© COMGEND GUYANE

Quatre difficultés majeures

Les difficultés de ces missions de lutte contre l’orpaillage illégal sont nombreuses. Territoire d’outre-mer recouvert dans sa quasi-totalité par la forêt amazonienne, la Guyane est un milieu complexe. « Intervenir, évoluer, opérer en forêt équatoriale, c’est difficile. La jungle est un milieu extrêmement exigeant. » Pour y faire face, les gendarmes locaux mais également les escadrons de gendarmerie mobile rattachés à ces missions sont formés, dès leur arrivée, par les gendarmes de l’antenne GIGN, pour apprendre à se déplacer (formations pirogues, quads), à évoluer et à survivre dans des conditions extrêmes liées au climat extrêmement humide et à l’hostilité de la forêt amazonienne, de sa faune et de sa flore.

Également liée à l'environnement, l'autre difficulté des gendarmes concerne la récupération d’informations, autrement dit le renseignement. « Localiser un campement au milieu de la forêt équatoriale est extrêmement complexe. (…) C’est plus difficile que de trouver un domicile dans une zone urbaine telle que l’on peut les connaître en métropole. Cela nécessite un gros travail en amont. Un travail de recherche, de renseignement et d’analyse. Après, l’opération en elle-même n'est pas évidente non plus, parce qu’il faut pouvoir s’infiltrer en toute discrétion dans un milieu hostile. […] Un milieu, où il n’y a pas ou très peu de communication et où maintenir le lien avec la base arrière demande une technicité particulière. »

La troisième difficulté est la régénération extrêmement rapide de ce type de trafic.« On est face à un adversaire en grande majorité brésilien, (95 % des orpailleurs illégaux), qui lui est parfaitement à l'aise dans ce milieu, qui maîtrise parfaitement cet environnement et que rien n’arrête. Après une opération, il va très vite se régénérer et donc on est dans une espèce de lutte sans fin. C’est une course d’endurance et c’est le premier qui se lasse qui a perdu. Cela nécessite de notre part un engagement permanent, récurrent, répétitif, car il faut sans cesse revenir sur les différents sites et reconduire les opérations, pour avoir un effet sur les adversaires », explique le général Bras.

La quatrième et dernière difficulté est directement liée à la situation géographique de ce territoire d’outre mer, dont les frontières sont partagées, d’une part avec le Suriname, dont le fleuve Maroni, large de 4 km à son embouchure, est l’unique frontière, et de l’autre avec le Brésil, dont la frontière se trouve au beau milieu de la forêt. « Le Suriname est aujourd'hui une base arrière de la logistique de l’OI. Vous avez 80 % des sites d’OI qui sont globalement le long du Maroni. Juste de l’autre côté du fleuve, vous avez des comptoirs tenus par des Chinois, qui sont donc au Suriname et qui vendent tout le matériel nécessaire pour monter un chantier d’OI. Tout ce qu’on va saisir et détruire, les orpailleurs illégaux ont beaucoup de facilité à le compléter. […] Il y a aussi un travail qui est fait sur le plan diplomatique, pour essayer d’améliorer la coopération et faire en sorte que le Suriname prenne des mesures pour limiter ou endiguer les flux logistiques. On a la même démarche avec le Brésil, parce que les orpailleurs illégaux viennent de là bas. Il y a des réseaux de passeurs, donc le but c’est de faire en sorte que la police brésilienne s’intéresse à ce phénomène. » Une coopération d’autant plus importante que, depuis plusieurs années, l’orpaillage illégal véhicule un nouveau phénomène : la venue de bandes criminelles qui s’intéressent de plus en plus à ce trafic extrêmement rentable, en braquant les sites d’orpaillage légaux mais également illégaux du territoire guyanais. « On partage beaucoup de renseignements avec ces deux pays sur ce phénomène pour l’identifier, le suivre et, in fine, en appréhender les auteurs. ».

Des enjeux économiques, environnementaux et sociétaux majeurs

En dehors de la criminalité liée à ce phénomène, les conséquences de l’orpaillage illégal sont également économiques, environnementales et sociétales. En Guyane, chaque année, dix tonnes d’or sont extraites des chantiers illégaux, un volume sept fois supérieur à l’extraction légale de ce minerai et qui représente une manne financière conséquente. Dans un article du Monde, écrit en février 2021, Carol Ostorero, présidente de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane, estimait à 500 millions d’euros le coût de ce trafic, « soit l’équivalent du budget de la collectivité territoriale de Guyane ! » Au delà des sommes considérables en jeu, l’orpaillage illégal a également un impact conséquent sur l’environnement et la santé publique. « Pour tirer 10 tonnes d’or de la forêt, 500 hectares sont détruits », indiquait l’ancienne ministre de l’Écologie, Barbara Pompilli, dans un rapport réalisé en juillet 2021 par la commission d’enquête sur la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane pour l’assemblée nationale. Au niveau de la santé des populations, là aussi l’impact est fort. L’utilisation de mercure entraîne une pollution considérable des cours d’eau, et notamment du poisson, très consommé par les habitants. Un empoisonnement qui provoque une raréfaction des ressources alimentaires, obligeant les populations à limiter leur consommation pour se tourner vers d’autres aliments, comme le gibier, beaucoup plus rare. L’action coordonnée de la gendarmerie et des forces armées française est donc indispensable pour enrayer ce trafic.

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