La signature olfactive d'un individu : une approche qui a du nez !

  • Par Contributeur 381014
  • Publié le 09 juin 2017, mis à jour le 13 juin 2023

Chaque individu est unique. En effet, même si deux individus peuvent avoir la même couleur d'yeux, ou la même forme de nez, ils ont des caractéristiques qui leurs sont propres. C'est le cas de l'ADN ou des empreintes digitales. Connues et reconnues, elles ont fait leurs preuves dans la résolution d'affaires judiciaires depuis des décennies.

Depuis les années 1970, des recherches et des théories décrivent également l'odeur comme une autre caractéristique personnelle et unique, propre à chaque individu. Ces études se sont basées sur la capacité du chien à reconnaître un individu spécifique parmi un groupe de plusieurs personnes, grâce à son odeur. Mais le chien ne dialoguant pas, les preuves ou éléments d'enquête qu'il pourrait amener ne sont pas reçues devant les cours de justice. C'est donc pour donner plus de force probante à l'odeur que l'Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale a souhaité développer des méthodes d'analyses et apporter ainsi une solution complémentaire au chien.

Un peu d'Histoire : le chien et la Gendarmerie

Le chien est utilisé depuis très longtemps par les peuples du monde entier autant pour des missions de garde de bâtiments que pour faire face à des attaques d'ennemis. Mais c'est seulement à partir de 1943 que le chien fait réellement son apparition en Gendarmerie. Les premiers chiens sont utilisés en tant que « chien des forces de l'ordre » et « chien de montagne ». Il est apprécié pour sa force, sa rapidité, son pouvoir de dissuasion ainsi que sa mémoire olfactive. Toutes ces qualités font de lui un acteur incontournable en cas d'attaque ou dans une situation de défense, mais également lors de la recherche de personnes disparues ou de malfaiteurs 1–3.

Le Centre National d'Instruction Cynophile de la Gendarmerie (C.N.I.C.G.) situé à Gramat, dans le département du Lot, a ouvert officiellement en 1947. C'est dans ce chenil qu'a lieu, à l’heure actuelle, le dressage des chiens et l'attribution de leur future fonction.

    

Les spécialisations canines au cœur de multiples enquêtes

De nombreuses spécialisations canines ont été développées en vue d'aider le travail des enquêteurs et de répondre à leurs exigences. Chien de piste et de défense, chien d'avalanche ou chien d'assaut, voilà plusieurs missions dans lesquelles ils excellent. 

La spécialité qui nous intéresse ici est celle qui encourage le chien à retrouver et reconnaître différentes substances grâce à son odorat. On parle alors de chiens de recherche d'explosifs, de stupéfiants et de produits accélérateur d'incendie, chacun possédant l'une ou l'autre de ces spécialités. 

Mais même lorsque le chien marque une zone positive au type de substance qu'il recherche, la confirmation de l'expert scientifique est essentielle pour pouvoir conclure. Des prélèvements sont alors effectués, généralement par un Technicien d'Investigation Criminelle (TIC), à l'endroit indiqué par le chien. Ils sont ensuite envoyés aux départements d'intérêt de l'Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale ou à d'autres laboratoires spécialisés.

Le département Environnement, Incendies, Explosifs travaille par exemple beaucoup avec les équipes cynophiles.

    

La naissance du projet de recherche

Restons donc sur les missions de ce département. Vous avez pu lire à travers l'article suivant

ce que recherchent les experts de l'Unité Incendies. Le marquage du chien est un premier indicateur pour l'enquêteur, mais l'analyse de l'Expert est essentielle afin de déterminer le caractère volontaire ou non du sinistre. Le chien n'est en effet pas capable de « dire » quel produit a été reconnu, ni quelle peut être son origine.

 

Déjà complémentaire au travail du chien en matière d'incendies et d'explosifs, les spécialistes de ce département ont la volonté d'élargir leurs compétences en vue de devenir également complémentaire au travail du chien pisteur et plus particulièrement dans la recherche de personnes disparues ou suspectées dans des enquêtes judiciaires.

 

Ce projet se décompose en trois grandes étapes. Dans un premier temps, il est nécessaire de développer et de mettre en place des méthodes innovantes afin de prélever l’odeur, que ce soit directement sur le sujet ou indirectement sur la scène de crime. La complexité du mélange de molécules récolté (plusieurs centaines de composés) nécessite l’utilisation de techniques analytiques de pointe pour séparer et identifier les différents constituants de l’odeur humaine. Enfin, le traitement informatique des chromatogrammes et l’utilisation d’outils statistiques avancés (approches fréquentistes et bayésiennes à des fins de comparaison) s’avèrent indispensables à l’obtention de résultats pertinents et viables devant les magistrats.

    

Qu'est-ce que l'odeur ?

Les premières recherches effectuées au département ont mis en évidence toute la complexité de l'étude. L'odeur est en effet un savant cocktail de plusieurs molécules différentes. On n’en dénombre plusieurs centaines qui seraient à l'origine de l'odeur que notre corps entier dégage 4. Il est possible de décomposer l’odeur en trois sous-catégories : primaire, secondaire et tertiaire. De par son origine génétique, l’odeur primaire est décrite comme étant stable au cours du temps et caractéristique d’un individu. Tout comme l’odeur primaire, l’odeur secondaire est constituée de molécules dites « endogènes », c’est-à-dire sécrétées par l’organisme. Mais contrairement à l’odeur primaire, celle-ci est variable et sera directement influencée par le régime alimentaire et l’environnement de la personne. Enfin, l’odeur tertiaire regroupe l’ensemble très variable des molécules « exogènes », c’est-à-dire non sécrétées par l’organisme. Cette catégorie regroupe notamment l’ensemble de tous les produits cosmétiques.

  

Un important travail bibliographique a été réalisé et a été publié dans une revue internationale Journal of Forensic Sciences5. Ces recherches préliminaires ont notamment permis la constitution d’un mélange de 80 composés susceptibles d’être retrouvés dans l’odeur de la main humaine. Ce mélange d’étalons sera utilisé pendant toute l’étude afin de développer et optimiser les méthodes de prélèvements, les méthodes analytiques, mais aussi les algorithmes de traitement des données et de comparaison de chromatogrammes.

   

Comment prélever l'odeur ?

Plusieurs protocoles de prélèvement de l'odeur, par contact direct d'un support de prélèvement avec un individu ou sans contact, à l'aide d'un objet par exemple sont actuellement à l'étude et offrent de nombreuses possibilités.

 

Dans le cadre de ce projet, nous avons choisi d’utiliser des petits barreaux de polymère (2 cm) appelés « Sorb-Star® ». Contrairement aux compresses habituellement utilisées dans le cadre de l’odorologie, le « Sorb-Star® » présente l’avantage d’êtrepropre d’un point de vue analytique (i.e. les pollutions sur le chromatogramme sont limitées).

 

Le prélèvement de l’échantillon peut être réalisé de manière directe (par contact avec le sujet) ou de manière indirecte (aspiration de l’air ambiant). Le prélèvement direct est réalisé en demandant au sujet de frotter un Sorb-Star dans ses mains pendant 15 minutes. Le prélèvement indirect peut quant à lui être réalisé sur la main du sujet à l’aide d’une chambre de prélèvement en verre sur lequel est raccordée une cartouche contenant un Sorb-Star. Si la personne n’est pas présente, cette même phase adsorbante sera directement utilisée sur les lieux (air ambiant ou objet).

 

Le fil directeur de cette étude est de réaliser un « kit » de prélèvement de l’odeur relativement simple à utiliser sur le terrain, peu coûteux et qui pourra s’incorporer sans souci dans la routine de travail des TIC.

 

Une étude complète a été menée sur le développement de cartouches de prélèvement qui pourront être utilisées sur le terrain. Une attention particulière a été portée sur les matériaux utilisés afin de minimiser le plus possible les contaminations extérieures tout en prélevant un maximum de composés d’intérêt sur la scène de crime. Cette première étude est actuellement en cours de publication dans un journal scientifique.

 

En parallèle, nous avons réalisé différents tests avec des maitres-chiens du Groupe d'Intervention Cynophile de Beynes (78) pour vérifier si ce qui était prélevé grâce au support permettait au chien de retrouver la personne en question. L’information récoltée avec nos protocoles de prélèvement est suffisante pour le chien, ce qui est encourageant. Leurs retours d’expérience sont essentiels car ils nous permettent de faire évoluer en continu les protocoles développés au laboratoire afin que ces derniers soient en accord avec la réalité du terrain.

   

Des méthodes d'analyses à la pointe de la technologie

Il ne suffit pas d’obtenir des prélèvements de qualité suffisante et une question se pose : comment récupérer les molécules captées par le support de prélèvement pour les analyser ?

Pour cela, c'est un dispositif de thermodésorption qui a été choisi. Le support de prélèvement est chauffé pendant un temps déterminé, permettant à toutes les molécules de se volatiliser. Les molécules sont alors injectées en chromatographie en phase gazeuse.

 

   

Confronté au problème de la complexité de l'odeur, trop de molécules étant détectables pour un système classique, la chromatographie gazeuse intégralement bidimensionnelle apparaît comme une solution de choix pour cette analyse particulière. Cette technique est déjà utilisée dans des domaines où la complexité et le grand nombre de composés présents dans les échantillons font que les séparations chromatographiques traditionnelles se révèlent souvent insuffisantes.

 

Le principe de cette technique repose sur l’emploi de deux colonnes de chromatographie en phase gazeuse de sélectivités différentes. Celles-ci sont connectées par l’intermédiaire d’un modulateur cryogénique, de manière à permettre deux séparations indépendantes intégralement en ligne et à obtenir des chromatogrammes bidimensionnels structurés plus facilement interprétables. En plus de son pouvoir de résolution élevé, la chromatographie gazeuse bidimensionnelle est une technique extrêmement sensible qui va permettre de détecter des composés à l’état de trace. Le couplage de cette technique avec la détection par spectrométrie de masse apporte une dimension supplémentaire et permet l’identification des molécules d’intérêt.

 

La partie analytique à proprement parler est entièrement développée et adaptée à la complexité des échantillons mis en jeu. L’ensemble des résultats est le sujet d’un second article scientifique en cours de publication dans un journal spécialisé.

   

Un traitement statistique indispensable

Les chromatogrammes issus d’échantillons réels obtenus présentent plusieurs centaines de pics, correspondant à tout autant de molécules différentes. Ci-dessous, un chromatogramme d'un échantillon réel de prélèvement de l'odeur sur les mains d'un participant au projet.

La complexité des chromatogrammes obtenus nécessite dans un premier temps de développer des outils de retraitement automatisé des données afin d’identifier avec précision les composés de l’odeur humaine. Il est désormais indispensable de réussir à traiter les données récoltées de manière rapide et fiable. Les logiciels de retraitement fournis par les constructeurs ont leur limite et l’entière automatisation du processus est actuellement une problématique au cœur de cette thématique de recherche.

 

Dans un deuxième temps, un traitement statistique approprié est indispensable pour extraire les composés pertinents permettant de discriminer des individus. A cette fin, des outils comme l’analyse en composantes principales ou l’analyse de la variance donneront des premières informations. L’approche bayésienne, avec l’utilisation des rapports de vraisemblance, sera très utile en complément aux statistiques fréquentistes pour aborder le problème de l’identification, c’est-à-dire pour comparer le chromatogramme d’un suspect à une base de données, l’identification de sujets à partir de leurs traces ADN étant d’ores et déjà fondée sur une approche bayésienne.

   

Pour conclure...

Tous les tests réalisés à l'heure actuelle sont très prometteurs pour la suite de cette étude complexe, mais néanmoins très intéressante. A terme, l'analyse de l'odeur pourrait se révéler aussi utile et pertinente que l'ADN et les empreintes digitales afin d'effectuer une comparaison entre prélèvements et individus.

Pour aller plus loin, l'article scientifique relatif à ce sujet et publié dans la revue Analytical and Bioanalytical Chemistry est visible ici

   

Sources

1.        Hestin MM.  Les chiens de la gendarmerie nationale.  2002;

2.        Jean.  Les chiens de la Gendarmerie.  Rev d’Etudes d’Informations la Gendarm 1970;n°85:29–44.

3.        Gervaise.  Le chien dans la Gendarmerie.  Rev d’Etudes d’Informations la Gendarm 1950;n°3:17–9.

4.        Brown JS, Prada PA, Curran AM, Furton KG.  Applicability of emanating volatile organic compounds from various forensic specimens for individual differentiation.  Forensic Sci Int [Internet] 2013 [cited 2014 Oct 6];226(1–3):173–82. Available from

5.        Cuzuel V, Cognon G, Rivals I, Sauleau C, Heulard F, Thiébaut D, Vial J.  Origin, analytical characterization and use of human odor in forensics.  J Forensic Sci 2017; Available from

6.        Cuzuel V, Portas E, Cognon G, Rivals I, Heulard F, Thiébaut D, Vial J. Sampling method development and optimization in view of human hand odor analysis by thermal desorption coupled with gas chromatography and mass spectrometry. Analytical and Bioanalytical Chemistry 2017; Available from

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