« Esprit de cordée », se reconstruire ensemble après la blessure

  • Par le commandant Céline Morin
  • Publié le 29 mars 2023
File de randonneurs en raquettes sur la neige avec les sommets enneigés en arrière plan.
© Gendarmerie nationale - SDAP / GND S. Vermeere

Dans le cadre du dispositif de reconstruction par le sport, douze gendarmes blessés en service ont participé à la troisième édition du stage montagne "Esprit de Cordée", organisé du 19 au 24 mars 2023, à Chamonix, avec le soutien de la Fondation Maison de la gendarmerie, de la CNMSS et de l'association Sebio. Les différentes activités montagne, encadrées par des spécialistes gendarmerie locaux, ont favorisé le dépassement de soi, le goût de l'effort et la reprise de confiance en soi.

Le 15 mars dernier, trois militaires du Peloton de surveillance et d’intervention de gendarmerie de Vichy étaient grièvement blessés en intervention dans l’explosion d’une maison. Le 25 mars, un militaire de l’Antenne GIGN de Cayenne décédait après avoir été pris pour cible par les tirs d’un garimpeiro lors d’une mission en forêt de lutte contre l’orpaillage illégal. Le même week-end, la gendarmerie déplorait 47 blessés dans ses rangs lors de la manifestation interdite de Sainte-Soline. Le jeudi précédent, le ministre de l’Intérieur faisait état de près de 149 gendarmes et policiers blessés en France à l’occasion de la 9e journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Des épisodes, parmi les plus récents, qui mettent en lumière l'exigence et la dangerosité du métier de gendarme. Cet engagement quotidien pour protéger la population, les biens et plus largement notre territoire se fait très régulièrement au péril de l’intégrité physique, et malheureusement parfois de la vie des militaires de la gendarmerie. Chaque année, ils sont ainsi près de 3 000 à être blessés en mission, à des degrés variables.

Photo de groupe des stagiaires et des encadrants du stage "esprit de cordée", avec, en fond, la montagne enneigée.
© Gendarmerie nationale - SDAP / GND S. Vermeere

Montée en puissance du dispositif de reconstruction des blessés par le sport

Pour contribuer à les accompagner, ainsi que leurs familles, après la blessure, qu’elle soit physique ou psychologique, la gendarmerie développe depuis une dizaine d’années, en cohérence avec le Service de santé des armées (SSA) et le Centre national des sports de la Défense (CNSD), son propre dispositif de Reconstruction des blessés par le sport (RBS), lequel s’est largement développé ces dernières années.

« La montée en puissance du dispositif RBS, ouvert sur la base du volontariat, à tous les blessés en service ou victimes d’une blessure imputable au service, traduit la volonté de l’Institution de mieux prendre en compte tous nos blessés, de mieux les accompagner, tant sur le plan administratif que sur le plan de leur parcours de santé, explique le colonel Gwendal Durand, Sous-directeur de l’accompagnement du personnel (SDAP). Nous sommes dans une logique de reconstruction et d’orientation. L’objectif est vraiment de leur permettre de retrouver leur place au sein de leur unité, et plus largement au sein de la gendarmerie. C’est le sens de la résilience. Il peut aussi s’agir de les accompagner dans un reclassement si leur blessure est trop grave. »

Aux stages et rassemblements interarmées, nationaux et internationaux, pilotés par le CNSD, sont ainsi venues s’agréger des offres propres à la gendarmerie, à l’instar de la Journée annuelle des Phénix, des stages « Ad refectio blessés familles », « Cent’Or » (équitation adaptée), « Esprit de cordée » depuis le printemps 2022, et son pendant maritime à compter de mai 2023, les « Aquaphénix ».

Tous labellisés par le CNSD et le SSA, ces stages s’intègrent dans la perspective du village des blessés, actuellement en construction à Fontainebleau, sur le site du CNSD, où la gendarmerie, au regard de sa contribution financière, bénéficiera de 30 % des lits.

« J’identifie et contacte personnellement tous les blessés pour leur présenter le dispositif de RBS, pour les orienter, les rassurer, et définir avec eux, dans le cadre de nos échanges, le parcours le plus adapté à leur vécu. Je ne fais pas de distinction entre les blessures physiques et psychologiques, pour moi, il y a seulement des blessés. C’est lors de leur accompagnement au sein du dispositif RBS que je les oriente en fonction de leur pathologie. D’autant que derrière une blessure physique, il y a bien souvent aussi une blessure psychologique, explique le lieutenant Franck Martineau, référent national RBS au sein de la SDAP, chargé d’organiser et de piloter les différents stages RBS de la gendarmerie. Ces échanges approfondis, par téléphone ou avec l’encadrement lors des stages, peuvent permettre de détecter des problèmes, des souffrances, et d’orienter le parcours du gendarme. Par exemple, pour un État de stress post-traumatique (ESPT), l’équitation adaptée sera privilégiée. »

Trois randonneurs en raquettes sur la neige, vus de profil, avec la forêt et la montagne enneigées en fond.
© Gendarmerie nationale - SDAP / GND S. Vermeere

Prendre de la hauteur sur sa reconstruction

Du 19 au 24 mars 2023, douze blessés, ou plutôt douze Phénix ont ainsi été accueillis à Chamonix pour participer à la 3e édition du stage « Esprit de cordée ». Organisé deux fois par an, au début

de l’automne et au printemps, avec le soutien logistique et financier de la Fondation Maison de la gendarmerie, de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) et de l'association Sebio, ce dernier est co-construit avec les spécialistes de l’Unité de coordination technique montagne (UCTM) et le Centre national d'instruction de ski et d'alpinisme de la gendarmerie (CNISAG) de Chamonix.

Accompagnés par quatre militaires du CNISAG et de l’UCTM, d’un kinésithérapeute du SSA, d’une psychologue gendarmerie et du lieutenant Martineau, les stagiaires ont pu bénéficier d’un programme riche en émotions et en sensations : randonnée en raquettes dans la neige, escalade, randonnée jusqu’à un refuge avec descente en hélicoptère après une nuit en altitude, vol en parapente, randonnée en altitude sur la mer de glace et l’Aiguille du Midi.

Des activités nouvelles, qui nous « sortent de notre quotidien » et nous en « mettent plein les yeux », mais aussi « très enrichissantes au niveau culturel », confie le maréchal des logis-chef (MDC) Cyril, qui participait à sa seconde activité RBS depuis sa blessure en 2019.

Un hélicoptère de la gendarmerie hélitreuille deux personnes , qui sont réceptionnées par une troisième que l'on voit de dos. En fond, la forêt et les sommets enneigés.
© Gendarmerie nationale - SDAP / GND S. Vermeere

Favoriser le dépassement de soi et la reprise de confiance

Évolutif, le stage est construit pour travailler le dépassement de soi et la reprise de confiance en soi et avec les autres. « Ici, pas de jugement, pas de préjugés, pas d’obligation de performance ou de résultats, mais un accompagnement bienveillant. À travers ces stages, on leur montre qu’il est malgré tout encore possible d’accomplir des choses en adaptant les pratiques. Notre but est de les aider à dépasser les difficultés qu’ils peuvent rencontrer sur leur parcours quotidien et à avancer dans leur reconstruction en les accompagnant au mieux, souligne le LTN Martineau. Il y a aussi une vocation de partage d’expérience entre les participants, mais également avec l’encadrement. On les oriente, on les conseille, on les rassure. Le but est d’être à l’écoute et de leur montrer que l’Institution est à leur écoute, notamment à travers la venue du SDAP. »

« Leur témoigner la reconnaissance de l'Institution et saluer leur courage »

Le colonel Durand met en effet un point d’honneur à se rendre sur chaque stage le temps d’une journée, afin d’échanger avec les participants et surtout « les écouter, leur témoigner la reconnaissance de l'Institution et saluer leur courage dans leur parcours de reconstruction », que ce soit sur un temps collectif ou lors de rencontres individuelles, lesquelles permettent d’entendre leurs difficultés et apporter des solutions. « Certains souffrent de blessures récentes, mais d’autres ont été blessés il y a plus de 10 ans, et n’ont pas bénéficié de l'accompagnement qui existe aujourd’hui. Le travail accompli tout au long de ce stage œuvre à la reconstruction des blessés tant physiquement que psychologiquement, mais également à une certaine re-sociabilisation. Pour certains, qui sont isolés, cela permet de conserver un lien avec l’Institution, mais aussi de créer du lien entre eux. Pour le maintenir, en complément de ce que l’Institution met en place, ils ont d’ailleurs créé une association : Les Phénix de la gendarmerie. Ce partage d’expérience leur permet de s’épauler, d’aller de l’avant. »

Intervention du sous-directeur de l'accompagnement du personnel dans une salle, devant les stagiaires vus de dos.
© Gendarmerie nationale - SDAP / GND S. Vermeere

« Recoller les morceaux, remonter la pente, se libérer aussi »

Aujourd’hui à un poste administratif au sein d’une section de recherches, le MDC Cyril, qui totalise 18 ans de service en gendarmerie, était affecté en brigade lorsqu’il a été blessé. C’était en septembre 2019, lors d’une intervention au cours de laquelle il a été agressé à l’arme blanche, manquant « de peu de perdre la vie », confie-t-il avec pudeur, ajoutant, sans s’appesantir, souffrir depuis de stress post-traumatique.

Sur les conseils du LTN Martineau, il intègre alors le programme de RBS en participant à un défi social. Puis, lors de la journée des Phénix, en 2022, le référent RBS lui propose de s’inscrire au stage « esprit de cordée ». Pour le MDC Cyril, c’était l’occasion de « changer de cadre et de retrouver des camarades sur d’autres activités ».

« On a eu une belle surprise avec l’hélitreuillage en hélico. Cette activité, comme le parapente, nous a aidés à prendre confiance et à gérer notre stress. Elles ont aussi renforcé notre cohésion. Pendant qu’on se préparait, on se parlait pour se réconforter, se déstresser. Et puis on a partagé des instants magiques, inoubliables. En parapente, avec les courants d’air, je suis monté à 2 900 m. J’en avais déjà fait en famille, mais c’était beaucoup plus calme. Les sensations, les appréhensions n’étaient pas les mêmes », confie-t-il.

Décollage d'un binôme de parapentistes sur une pente enneigée.
© Gendarmerie nationale - SDAP / GND S. Vermeere

Pour le militaire, les activités proposées challengent « notre volonté d’aller de l’avant, de franchir les obstacles qu’elles constituent, des obstacles qui sont un défi pour chacun de nous en fonction de notre blessure physique ou psychologique. » Mais ce stage permet aussi « d’essayer de penser à autre chose, de passer un cap » et même de se découvrir. « Quand on a fait l’escalade, j’étais tellement concentré sur les prises, que ça m’a empêché de cogiter. Comme l’a dit un cadre, j’ai peut-être trouvé mon domaine, celui qui pourrait m’aider à recoller la brèche. Ça ouvre des horizons et ça fait du bien ! »

Le MDC Cyril met aussi en exergue le lien avec les autres, l’esprit de cohésion et d’entraide, « peu importe la génération », la convivialité et le partage, qui permettent de « recoller les morceaux au fur et à mesure, de remonter la pente, de se libérer aussi. Quelques blessés n’osent pas forcément faire le pas d’aller vers ces stages, parce que ce n’est pas évident de s’exposer. Mais ici, nous sommes dans un climat de confiance. Nous avons tous subi un traumatisme. On apprend à se connaître et on apprend aussi les uns des autres, y compris avec l’encadrement, qui est vraiment super. On se partage de petits tuyaux dans notre parcours de reconstruction ou sur le plan administratif. Et si on a besoin de craquer, on le fait, la psychologue est là pour nous. Car parfois, avec la fatigue, tout retombe, et ça permet d’évacuer plus facilement. »

« On a la chance d’avoir ce programme RBS en gendarmerie. Quand on nous tend la main, il ne faut pas avoir peur, il faut aller de l’avant, conclut le MDC Cyril. C’était vraiment une belle expérience, dans un cadre idyllique, dont je garderai de très bons souvenirs. On est tous repartis avec le sourire, avec la banane. On a vu des changements ! »

Pour beaucoup, en effet, cette semaine a agi comme une véritable thérapie, ainsi qu’en témoigne le LTN Martineau : « Nous avons vraiment pu remarquer une amélioration de l’état physique et psychique chez la plupart des stagiaires. Ça a donné un coup d’accélérateur à leur parcours de résilience. »

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