Tous acteurs de la sécurité
- Par le commandant Céline Morin
- Publié le 25 septembre 2023
Dans la continuité de son engagement sur le territoire national, la gendarmerie inscrit également son action vers l’espace européen et extra-européen, afin de contrer à la source les menaces pesant sur la sécurité intérieure du pays, comme le terrorisme, la criminalité organisée, la cybercriminalité ou encore l’immigration irrégulière. Le général d’armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, revient plus en détail sur cette stratégie et ce nécessaire positionnement sur la scène internationale.
Au-delà de ses missions du quotidien, la gendarmerie inscrit également son action sur la scène internationale. Comment se traduit-elle ?
L’action de la gendarmerie à l’international s’inscrit dans la continuité de notre action du quotidien. Elle veille à décliner la stratégie fixée par le ministère et les priorités définies dans GEND 20.24. Nos actions de coopération cherchent ainsi à atteindre un haut niveau de retour en sécurité intérieure pour la population et à valoriser les atouts qu’offre le modèle singulier du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer et de la gendarmerie.
Aujourd’hui plus que jamais, je dresse le constat que notre engagement du quotidien comporte une dimension européenne. Chaque gendarme doit l’avoir à l’esprit. L’Europe se retrouve à tous les niveaux : au moment de l’élaboration des normes communautaires à Bruxelles comme au bord de nos routes, ou sur nos réseaux informatiques. C’est-à-dire dans la gestion des flux physiques et numériques du quotidien. À titre d’exemple, en 2022, le Système d’information Schengen (SIS), qui permet un partage des signalements entre les États-membres de l’espace Schengen, a été consulté plus de 37 millions de fois par les gendarmes à travers le Fichier des personnes recherchées (FPR) et le Fichier des objets et des véhicules signalés (FoVES). Grâce aux équipements NÉOGEND (téléphones portables et tablettes, NDLR), chaque gendarme en patrouille est de facto un acteur de cette Europe interconnectée de la sécurité !
Dès lors, je tiens à consolider notre engagement européen, à Paris comme à Bruxelles. Il s’agit tout d’abord de contribuer activement aux négociations des textes normatifs européens relatifs aux enjeux de sécurité. Appelés à définir notre cadre juridique national de demain, ils doivent donc être « pratiques » et adaptés aux différents défis que nous rencontrerons. Cela passe ensuite par la valorisation de nos expertises auprès de nos partenaires européens, dans des domaines aussi divers que la lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, la lutte contre la cybercriminalité, le renseignement criminel, les actions de formation, la gestion de crise ou encore le maintien et le rétablissement de l’ordre. Dans le cadre de Prüm, nous avons mis à disposition notre expertise de lutte anti-drone au profit de la police fédérale belge lors du sommet extraordinaire de l’OTAN, à Bruxelles, en mars 2022. C’est ici un bel exemple d’appui mutuel entre forces de police européennes. Nous travaillons aussi de plus en plus avec des forces de police qui disposent de capacités complémentaires des nôtres, même si elles ont des statuts et des organisations très différents. C’est le cas de notre coopération étroite avec la Bundespolizei, force de police allemande à statut civil, avec laquelle nous opérons sur le terrain au sein de l’Unité opérationnelle franco-allemande (UOFA).
Dans le cadre des orientations stratégiques du ministère, nous portons également notre effort vers les pays d’Europe nordique et orientale ainsi qu’au voisinage de l’U.E., particulièrement exposés aux conséquences du conflit en Ukraine. C’est l’occasion de mettre en œuvre, au nom du ministère et de la France, nos capacités de gestion de crise et de déploiement en zone dégradée. C’est ce que nous avons pu réaliser à plusieurs reprises, en 2022 et 2023, en Ukraine, avec une composante criminalistique de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) sécurisée par le GIGN. C’est aussi l’opportunité de renforcer nos liens avec les forces de police du Nord de l’Europe, particulièrement conscientes du défi posé par la résilience de nos sociétés dans un contexte de guerre aux portes de l’Europe. Avec ces partenaires, nous approfondissons des relations qui se sont progressivement développées à partir des investigations du dossier tentaculaire de téléphonie cryptée « ENCROCHAT » . Cette coopération opérationnelle avec les différentes forces de sécurité intérieure étrangères se traduit ainsi par la recherche d’une empreinte terrain sur un large éventail de missions, allant des enquêtes judiciaires aux opérations extérieures, en passant par les missions de sécurité publique générale.
Hors du continent européen, nos engagements se déclinent également dans un cadre tant bilatéral que multilatéral. En liaison avec notre diplomatie et nos armées, l’effort du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer en Afrique se concentre sur le renforcement des capacités des États du Golfe de Guinée, mais aussi dans l’océan Indien, autour de Mayotte et de La Réunion. Des gendarmes ont ainsi été envoyés récemment aux côtés d’une unité des forces armées françaises, en vue de contribuer à l’effort de formation des forces de défense et de sécurité béninoises. Je qualifierais de « rudes » ces projections interarmées sur le terrain, au plus proche des besoins des forces partenaires et des zones sous tension. Nos militaires y déploient des expertises spécifiques en matière de sécurité intérieure, tout en mettant à profit des qualités de rusticité et de robustesse propres à notre identité militaire. Par ailleurs, de nombreux pays, qu’ils en aient retenu le nom ou pas, ont choisi une force de type « gendarmerie » comme acteur institutionnel de leur sécurité intérieure. L’adoption de ce modèle français favorise une relation privilégiée entre la gendarmerie française et ces « gendarmeries sœurs ». J’ai notamment pu récemment rencontrer mes homologues du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, et c’est avec grand plaisir que j’ai pu apprécier le dynamisme de ces gendarmeries sur leur territoire et leur volonté de transformation que nous nous proposons d’accompagner. Nous accordons également beaucoup d’attention au voisinage de nos outremers. La gendarmerie joue un rôle majeur dans la sécurité de ces territoires et constitue naturellement un interlocuteur incontournable pour les forces de sécurité voisines, comme l’Australie, dans le Pacifique, ou le Canada, État continent ouvert à la fois sur le Pacifique et sur l’Atlantique Nord. Chaque aire géographique se trouvant aux prises avec des problématiques spécifiques, des partenariats pragmatiques y voient le jour et de nombreux chantiers prometteurs se présentent à nous. L’international nous oblige à nous questionner, à voir ce qui se fait ailleurs, à prendre en compte des regards différents et nous pousse donc à nous réinventer. C’est ainsi que la gendarmerie pourra continuer à répondre aux besoins du ministère et faire face aux crises comme aux défis du futur.
La France a assuré la présidence de l’Union européenne de janvier à juin 2022. Quel bilan pouvez-vous en dresser pour la gendarmerie ?
Nous venons de vivre notre première Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) depuis notre arrivée au sein du ministère de l’Intérieur en 2009. Résolument inscrite dans la stratégie et l’ambition du ministère, la gendarmerie a répondu à ce rendez-vous majeur en organisant ou en participant activement à plus d’une quarantaine d’événements ministériels et interministériels, et en contribuant aux négociations normatives européennes sous l’égide de la Direction des affaires européennes et internationales du ministère de l’Intérieur (DAEI). Enfin, j’ajoute que nous avons été fortement impliqués dans la sécurisation des différents sommets et rencontres qui ont jalonné la PFUE. Toutes les composantes de la gendarmerie ont été engagées dans la manœuvre, avec jusqu’à un millier de militaires sur certains événements. Au regard de l’inflexion européenne que je souhaite donner à notre action, le bilan de cette PFUE est particulièrement positif pour la gendarmerie. Cette séquence a permis de valoriser les capacités et les expertises que notre institution déploie au sein du ministère comme à l’international. Elle a également mis en exergue les défis que nous devons encore relever afin que le positionnement progressivement développé au sein du ministère de l’Intérieur soit en adéquation avec l’intensité de notre engagement dans ce domaine. J’ai d’ailleurs été heureux d’intervenir lors de plusieurs réunions majeures pour proposer ma vision de la coopération policière européenne de demain dans une dynamique d’échange et de réflexion. Sans être exhaustif, je souhaiterais revenir sur trois thématiques que la gendarmerie a portées pendant cette période :
- le développement de la coopération opérationnelle et d’une culture européenne commune des forces de sécurité intérieure. Cet aspect a notamment été mis en lumière à l’occasion d’un séminaire dédié en mai 2022 à Strasbourg. Inspiré des échanges croisés entre l’Espagne et la France, le programme POLARIS favorise des formations initiales conjointes entre les élèves des différentes forces de police européennes, en partant de l’idée que le meilleur moyen de travailler avec nos voisins dans le cadre de la coopération transfrontalière, c’est d’acquérir ensemble les bases du métier. Labellisé « ERASMUS+ », ce programme, financé par l’Union européenne, permet de donner une véritable ouverture internationale dès le début de la carrière. Ce rapprochement entre les “cultures policières” des écoles et académies de police européennes a pour objectif de nourrir les viviers de compétences pour les unités opérationnelles binationales comme l’UOFA. Sur un plan normatif, mes équipes ont également contribué aux négociations qui ont permis d’aboutir à l’adoption par le Conseil de l’Union européenne de deux orientations générales et d’une recommandation porteuses d’ambitions importantes pour l’amélioration des pratiques opérationnelles et l’échange d’informations.
- La protection de l’environnement et la lutte contre la criminalité environnementale. Au cœur des préoccupations européennes, ce sujet a mis en valeur l’action européenne et internationale de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP). Cette unité participe activement aux négociations normatives européennes ainsi qu’internationales. L’office a ainsi organisé, avec le ministère de la Justice et le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, un séminaire PFUE à Marseille, autour du défi que constitue la protection pénale de l’environnement, en lien avec la négociation de la directive européenne du même nom. L’éclairage opérationnel de nos enquêteurs spécialisés sur cette criminalité aux multiples enjeux connexes y a été particulièrement apprécié.
- La lutte contre la cybercriminalité. Face au nouveau paradigme numérique, le Commandement de la gendarmerie dans le cyberespace (ComCyberGend) a pu présenter son approche 360° innovante en organisant deux rendez-vous majeurs : une simulation interactive d’incidents cyber au profit des ministres de l’Intérieur européens en février 2022, mais aussi le Forum international de la cybersécurité 2022. Nos experts suivent également attentivement les négociations normatives relatives à la souveraineté numérique.
En septembre 2022, vous vous êtes réunis avec vos homologues italien, espagnol et portugais à Vicenza. Quelles sont les perspectives et attentes issues de ces échanges, tant au niveau national qu’en termes de coopération internationale ?
Comme vous pourrez le découvrir plus loin dans ce numéro, l’association FIEP regroupe aujourd’hui près de 20 forces de gendarmerie à statut militaire. À l’origine de cette aventure commune, nous retrouvons quatre membres fondateurs : la Garde Civile espagnole, la Garde Nationale Républicaine portugaise, l’Arme des Carabiniers italiens et la Gendarmerie nationale française. C’est ce noyau dur qui s’est rassemblé à Vicenza, en Italie, le 23 septembre 2022, pour définir des synergies autour des priorités stratégiques que j’énonçais précédemment : la formation, la criminalité environnementale et la cybercriminalité.La dimension formation vise notamment à faire fructifier une déclinaison du projet POLARIS destiné à nos jeunes militaires. Ainsi, en juillet 2023, pour la première fois, une formation quadripartite (France, Italie, Espagne, Portugal) a été organisée à leur intention à Florence (Italie), puis sera répliquée les années suivantes dans chaque pays participant. Avec ce socle commun de compétences, ces gendarmes seront demain les artisans d’une meilleure interopérabilité entre nos Armes respectives, dans le cadre d’une coopération transfrontalière plus efficiente. La lutte contre la criminalité environnementale a amené chacune des forces à imaginer des réponses originales. Ces initiatives sont complémentaires ! Ainsi, l’OCLAESP, pionnière en France dans ce domaine et pilote de plusieurs programmes européens (Fonds de sécurité intérieure, cycle EMPACT), a tout à gagner à partager ses expertises et à s’inspirer des bonnes pratiques développées par nos frères d’Armes espagnols (SEPRONA) et italiens (CUFAA). Cette dynamique de transformation s’est traduite par la création, le 1er juillet 2023, au sein de la gendarmerie, du Commandement pour l’environnement et la santé (CESAN).
Enfin, dans un contexte de numérisation croissante des sociétés, le groupe de travail du G4 relatif à la lutte contre la cybercriminalité a identifié des pistes prometteuses favorisant le développement d’un modèle commun de proximité numérique et des participations conjointes à des projets européens. Ces partenariats stimulants s’imbriquent parfaitement dans le plan de charge ambitieux du ComCyberGend !
Cette stratégie ne repose pas uniquement sur les militaires d’active…
Les 100 000 militaires d’active de la gendarmerie bénéficient, dans l’exercice de leurs missions au quotidien, du renfort de 30 000 réservistes opérationnels et de 1 300 réservistes citoyens. Cet appui se retrouve aussi à l’international avec nos réservistes opérationnels appelés à servir sous l’égide de CIVIPOL, l’opérateur ministériel de coopération. À travers leur engagement au sein de projets très différents, ils contribuent au rayonnement de l’expertise de la gendarmerie à l’étranger. Nous disposons également de l’expertise de nos réservistes citoyens, qui nous apportent des orientations et des éclairages précieux, voire disruptifs, dans le domaine des relations internationales. C’est une source d’inspiration particulièrement utile pour nous aider à faire bouger les lignes, provoquer le débat et ainsi participer à la transformation de notre institution.
Sur quel vivier envisagez-vous de vous appuyer pour mener à bien votre action à l’international ?
Plus qu’une filière, j’ai avant tout l’ambition stratégique que les compétences des personnels soient mieux prises en compte sur le plan R.H. Il s’agit en fait de mettre la bonne personne au bon poste, à Paris comme dans les institutions internationales, mais surtout d’anticiper, puis de préparer les ressources dont nous avons besoin pour l’avenir. Or, sans outil, c’est impossible. Il faut donc des moyens modernes, intuitifs et dynamiques pour libérer les possibles. Cet outil s’appuiera sur les compétences cibles nécessaires pour exercer les missions à l’international. Cela permettra par la suite à la Direction des personnels militaires de la gendarmerie (DPMGN) de choisir le profil idoine pour tenir les postes. Un premier outil de gestion dynamique des compétences est d’ores et déjà déployé sur notre portail intranet R.H. « Agorha ». Le module « Mes Langues » ouvre à chaque personnel la possibilité d’auto-déclarer ses compétences linguistiques, sans aucune validation hiérarchique. Cet outil innovant et souple préfigure mon ambition pour la gestion des compétences. Il permet d’identifier des viviers de talents dont nous n’avions pas connaissance, alors qu’ils pourraient être bien mieux valorisés dans notre réponse aux enjeux internationaux.
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