Les gendarmes en ambassade face à la crise

  • Par le chef d'escadron Sophie Bernard
  • Publié le 18 septembre 2023
Un gendarme posté devant un mur de l'ambassade qui a été attaqué.
Un gendarme posté devant un mur de l'ambassade qui a été attaqué.
© D.R.

Si les gendarmes affectés en ambassade ont pour mission de sécuriser les emprises diplomatiques, les agents qui y travaillent et le représentant de la France à l’étranger, le spectre de leur intervention est large puisque tout peut basculer sous fond de tensions politiques. Quand la crise survient, comme en septembre dernier à Ouagadougou, au Burkina Faso, ils doivent défendre les emprises diplomatiques, appuyés par des renforts et en coordination avec les

forces armées.

Après des coups d’États successifs au Mali et la détérioration des relations avec la France, ayant poussé la force « Barkhane » à se retirer, la crise et la défiance ont gagné le Burkina Faso en septembre 2022. « Jusque-là, le contexte pour les Français était le même que dans le reste du Sahel. Un climat, certes tendu par moments dans le pays, mais sans raison particulière de tirer la sonnette d’alarme », se souvient le capitaine Maxence, affecté à la Force sécurité protection (FSP) du GIGN. Tout a changé du jour au lendemain pour les sept Gardes de sécurité diplomatique (GSD) et les trois gendarmes dédiés à la mission de Protection de hautes personnalités (PHP) employés à l’ambassade de Ouagadougou.

Deux coups d’État en quelques mois

Après un premier putsch opéré par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, en janvier 2022, affichant une volonté de lutter efficacement contre le terrorisme, le Burkina Faso subit un deuxième coup d’État le 30 septembre 2022. « Depuis plusieurs mois, les villages subissaient de nombreuses attaques terroristes, que les forces locales avaient du mal à endiguer. Le 26 septembre, plusieurs militaires burkinabés sont morts dans une énième attaque visant un convoi de ravitaillement, ce qui a renforcé la grogne interne, précise l’adjudant Franz, adjoint au chef de détachement GSD. Dans la nuit du 29 au 30 septembre, vers 5 heures du matin, nous entendons des coups de feu en ville. Nous remarquons aussi la présence de blindés de l’armée devant le bâtiment de la Radio Télévision Burkinabaise, qui est en face de l’ambassade, ce qui était déjà le cas lors du premier coup d’État. Et cela n’a pas manqué : entouré de soldats encagoulés et armés, le capitaine Ibrahim Traoré annonce aussitôt à la TV avoir pris le pouvoir. Anticipant la menace, notre chef fait venir tous les GSD sur site. » La situation est en effet très inquiétante, d’autant qu’en parallèle, une campagne de désinformation prétend qu’une contre-offensive se prépare depuis une base française. Il n’en faut pas plus pour que des manifestants hostiles s’en prennent à l’ambassade de France.

L’ambassade française prise à partie

« Le 1er octobre, en fin d’après midi, 300 à 400 manifestants se rassemblent en masse devant le site de l’ambassade. Organisés et déterminés, ils commencent à jeter des pavés contre les caméras de surveillance, une première attaque contre la France ! Très vite, ils tentent d’arracher les barbelés pour escalader l’enceinte et mettent le feu devant les entrées blindées du Consulat, qui commencent à fondre. L’adrénaline commence à monter… », décrit l’adjudant, non sans une certaine émotion. Entourés des PHP, les diplomates sont retranchés depuis le matin sur un deuxième site, à la Résidence, loin du danger. « Nous n’obtenons pas l’autorisation de lancer des grenades aux abords extérieurs de l’ambassade pour nous défendre, au risque de déclencher un incident diplomatique. Pour autant, les manifestants continuent de s’acharner et parviennent à détruire en partie le mur de la Régie, qui mène à la zone résidentielle où se trouvent les familles. » Les GSD prennent alors les choses en main d’initiative et passent à l’action. « Depuis le poste de contrôle et de sécurité, je multiplie les comptes rendus et guide les intervenants. Muni de casques et de gilets lourds, un trinôme, emmené par notre chef, qui coordonne les opérations, s’interpose face à la cinquantaine de manifestants déjà parvenus dans la cour, tandis qu’une centaine d’autres saccagent et incendient tout derrière. Le trinôme fait usage de moyens de force intermédiaire et parvient à les repousser. Dès lors, un GSD reste en appui, seul face à la brèche, pendant que les deux autres s’empressent d’aller chercher trois épouses de gendarmes et une petite fille, regroupées dans un logement, pour les mettre à l’abri dans l’ambassade. Comme nous, elles y resteront recluses pendant cinq jours, dormant sur des lits picots. L’équipe revient ensuite pour éteindre les flammes qui se propagent, s’exposant ainsi à l’incendie et aux manifestants. »

Le renfort d’unités d’élite

Les heures défilent lentement pour les gendarmes du détachement, qui continuent de défendre le site jusqu’à l’arrivée de renforts. « Postés sur le toit, les quelques militaires présents à l’ambassade effectuent des tirs de sommation, ce qui nous donne de l’oxygène avant que les manifestants ne reviennent de plus belle. Bloquées en ville toute la journée par des barrages installés sur les axes, les forces spéciales françaises finissent par nous rejoindre vers minuit, déposées en hélicoptère sur le toit de l’ambassade. Aussitôt, nous mettons en place un dispositif coordonné qui va nous permettre de résister aux différents assauts les jours suivants », explique l’adjudant. Dans le même temps, à Paris, sur demande de la Direction de la sécurité diplomatique (DSD) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, la Direction des opérations et de l’emploi (DOE), le Commandement de la gendarmerie pour les missions extérieures (CGMEx) et le GIGN se concertent et organisent la projection de six gendarmes du Groupe sur place. « Ce n’est pas si simple, et plusieurs jours s’écoulent entre la prise de décision, l’obtention de visas et la recherche de vols pour parvenir à Ouagadougou. Alors que nous sommes dans un premier avion pour Niamey, munis de nos sacs d’alerte, la désinformation continue, indiquant que six mercenaires de la gendarmerie française viennent pour tuer le nouveau président en place. Avec l’aide des forces spéciales, nous parvenons finalement à rejoindre discrètement Ouagadougou », relate le capitaine Maxence.  

Le service des visas à l'ambassade Ouagadougou a subi de nombreuses dégradations (vitres blindés brisées, traces d'incendies, etc).
© D.R.

Aux côtés des GSD, des PHP et des coopérants techniques, les gendarmes du GIGN apportent un regard neuf sur la situation et mettent à profit leur expertise. « Nous nous coordonnons avec les forces spéciales et les différents services avec lesquels nous avons l’habitude de travailler. Nous redéfinissons le cadre légal d’emploi de l’armement et nous ajustons le plan de défense avec une gradation de la force. Nous allons aussi à la recherche du renseignement grâce à notre pilote de drone et à nos contacts en local, énumère l’officier. Cela nous permet de mettre en place des protocoles et d’évaluer les effectifs nécessaires en renfort. » À partir d’octobre 2022, après accord du ministre de l’Intérieur, les gendarmes sont ainsi progressivement rejoints par neuf GSD temporaires, un quatrième PHP et un peloton de gendarmes mobiles.

Une tension qui demeure

Tout comme pour le GIGN, la projection des renforts n’est pas évidente, entre l’obtention des passeports diplomatiques et les demandes de visas qu’il faut étaler dans le temps. Début novembre, neuf GSDT et neuf gendarmes mobiles sont sur site, divisés en deux groupes, afin de sécuriser à la fois l’ambassade et la Résidence. Briefés par le GIGN avant leur départ et par les GSD à leur arrivée, ils sont témoins de manifestations anti-Français régulières, voire de nouvelles prises à partie. « Le 18 novembre 2022, une centaine de manifestants a attaqué l’ambassade en jetant des pierres et en mettant le feu aux barrières de protection. Ils réclamaient le départ de l’ambassadeur et des forces françaises. Attaqués pendant près de 4 heures, et devant l’absence de réponse des forces de sécurité locales, qui doivent pourtant, en théorie, nous assurer protection dans le cadre de la Convention de Vienne, nous avons eu l’autorisation de l’ambassadeur de faire usage de grenades lacrymogènes dans le cadre de la défense d’un point sensible, de manière proportionnée, à l’aplomb de la périmétrie, ce qui nous a permis de les repousser. Depuis, il n’y a pas eu d’autre attaque, mais les manifestations se poursuivent », raconte le lieutenant Romain, commandant le 2e peloton de l’escadron de gendarmerie mobile de Blois. Rapidement rejoints par dix autres camarades, les gendarmes mobiles vont rester près de trois mois sur place, logés en partie en tente, dans des conditions rustiques, et sans pouvoir sortir de l’emprise au vu des risques.

Si tous ces gendarmes, permanents ou en renfort, n’ont pas été épargnés en termes de fatigue et de stress, ils ont néanmoins pu compter sur « un réel esprit de cohésion ». Aujourd’hui, huit GSDT et un quatrième PHP demeurent en renfort à Ouagadougou, où la situation semble stabilisée, « jusqu’à la prochaine crise, qui pourrait être plus violente que la précédente », alerte l’adjudant Franz, qui espère que, d’ici là, les travaux de réparation et de durcissement de l’enceinte seront terminés. Les dégâts matériels causés ont été estimés à 4 millions d’euros.

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