Les dents, aussi discriminantes que l'ADN?

  • Par Contributeur 315046
  • Publié le 30 mai 2016, mis à jour le 13 juin 2023

L'odontologie médico-légale est une branche de la médecine légale s'intéressant à l'étude des dents et des maxillaires. Cette discipline a pour objet l’application des sciences odontologiques au domaine juridique. Elle représentait près de 80% des identifications difficiles lors des grandes catastrophes, le développement des analyses ADN vient désormais supplanter cette méthode sans la faire disparaître, du fait de sa spécificité.

Histoire de l'odontologie médico-légale

Les origines de l'identification odontologique remontent à l'empire romain lorsqu’Agrippine, mère du jeune Néron, voulut s'assurer que ce dernier succéderait à son époux, l'empereur Claude. Elle ordonna à ses gardes d'exécuter la maîtresse de l'empereur et de lui ramener sa tête. Agrippine écarta alors les lèvres de la tête tranchée afin d'identifier la victime par certaines de ses particularités dentaires. Plus tard dans l'Histoire, Charles le Téméraire fut également identifié grâce à sa dentition (ses incisives manquantes) lors de la bataille de Nancy en 1477 au cours de laquelle il perdit la vie. De même, en 1945, le corps carbonisé d'Adolf Hitler fut identifié par son dentiste qui reconnut les prothèses qui lui avaient été posées. Enfin, plusieurs incendies ayant eu lieu entre 1878 et 1897 vont être à l'origine des techniques d'identification. L'exemple le plus marquant est celui de l'incendie du Bazar de la Charité en 1897 entraînant la mort de plusieurs personnes réputées. La duchesse d'Alençon, victime de cet incident, a notamment pu être identifiée [1-2].

Le fondateur de l’odontologie médico-légale reste le chirurgien dentiste Oscar Amoëdo qui, par son ouvrage « Art Dentaire en Médecine légale » en 1898, pose les bases de cette discipline. L'étude des traces de morsures intervient, quant à elle, dans le contexte du procès des sorcières de Salem où un révérend est condamné à mort pour avoir mordu des jeunes filles, les incitant ainsi à la sorcellerie [1].

Quelque soit l'époque, la nature de la mort, l'identification d'une personne décédée revêt une importance particulière (sociale, légale et éthique). Elle est aussi une manière d'accepter le deuil pour la famille des victimes. Auparavant, l'identification n'était réalisée que visuellement par les proches de la victime pouvant induire des risques d’erreurs liés à l'émotion du contexte. Aujourd'hui, les caractéristiques bucco-dentaires constituent un élément d'identification à part entière.

Que fait un expert odontologiste ?

L'expert odontologiste est un auxiliaire de justice. Il participe à l'identification des sujets découverts morts et dont l'identité est inconnue ou de ceux pour lesquels une identification par les proches ou par les empreintes digitales est impossible en raison de l'état de dégradation du cadavre. Elle fait partie des trois identifiants primaires avec les empreintes digitales et l'ADN.

L'expert en odontologie médico-légale intervient indifféremment que la cause de la mort soit naturelle ou suspecte, que le sujet ait été découvert individuellement ou lors d'une catastrophe de masse. Il peut également étudier des traces de morsures portées par une victime, vivante ou décédée, en cas d'agressions ou de maltraitance

La structure et les caractéristiques des dents et des mâchoires humaines sont uniques. Par conséquent, chaque individu possède une véritable carte d'identité en bouche, c'est pour cela qu'on parle d'unicité de la denture. Ces critères dentaires sont ainsi utilisés pour une identification formelle.

Les dents sont très résistantes car elles sont protégées, l'émail dentaire notamment est la partie la plus dure du corps humain. Les dents résistent à plusieurs facteurs de destruction tels que l'enfouissement, la crémation, l'immersion en eau douce ou en eau salée, la putréfaction ainsi qu'aux atteintes physico-chimiques. C’est pourquoi elles se révèlent être un bon élément d’identification de l’identité d’une personne.

L'identification dentaire peut être de deux sortes : estimative ou comparative.

En identification estimative

L'identification estimative est réalisée lorsque les éléments de l’enquête n'apportent aucune identité, l’expert dresse alors une esquisse de la (ou des) victime(s). L’étude des dents fait appel à un ensemble de techniques de mesures ou visuelles permettant l'estimation de l'âge, la détermination du sexe et dans certains cas le groupe biologique ou l'appartenance à une ethnie particulière. Elle peut également renseigner sur un niveau social, des habitudes alimentaires, donner une indication de métier ou dire si la personne était droitière ou gauchère. Par exemple, certains métiers sont plus simples à déterminer comme les pâtissiers, boulangers ou fabricants de bonbons qui présentent des craies bien particulières [3].

Elle donne entre autre des informations sur la présence d'un ou de plusieurs individus en fonction du nombre de dents, d'arcades dentaires ou de fragments dentaires retrouvés sur la scène d’infraction ou sur le site d’une catastrophe.

Enfin, elle renseigne sur la taphonomie, étude consistant en l’observation de restes humains et permettant de déterminer si les dégradations d'un corps sont dues à l'enfouissement, à l'action humaine, à la crémation ou encore aux altérations provoquées par la faune. La taphonomie est basée sur plusieurs types d'analyses : la description des différents degrés de crémation pouvant aller jusqu'à la carbonisation lorsqu’un corps est brûlé, l'étude de la dégradation du corps, de la présence ou non de végétaux sur les restes humains afin de déterminer la durée d'enfouissement du corps , l'observation des os (orifice balistique, traces de découpe...) pour mettre en évidence l'action humaine. De plus, certains animaux grignotent également quelques parties accessibles des restes osseux, il est ainsi possible de voir des traces de dents caractéristiques de petits carnassiers.

Une fois les examens réalisés, un odontogramme post mortem(schéma dentaire) est effectué, relatant l'ensemble des dents présentes, absentes, traitées (en relevant les matériaux d'obturation présents sur les différentes faces des dents) ainsi que les prothèses dentaires adjointes ou conjointes.

Cette étude estimative est réalisée lorsqu’aucun dossier de comparaison dentaire de la victime n'est obtenu. Elle permet ainsi d'orienter les magistrats ou les enquêteurs sur un individu disparu.

En identification comparative

L'identification comparative est effectuée lorsque les éléments de l'enquête donnent une identité supposée. Elle est basée sur le principe simple de la concordance ou de l’exclusion entre les données ante-mortem et post-mortem.

Un catalogue d’indices, autrement dit les données dentaires post-mortem relevées sur le cadavre ou sur les restes dentaires, est comparé à un catalogue de supports tels que le dossier dentaire ante-mortem, les radiographies (panoramiques ou rétroalvéolaires) ou encore les moulages dentaires de la victime.

Cette comparaison est effectuée sur la spécificité d'éléments identifiants chez un individu comme les prothèses dentaires, les soins, le traitement des canaux radiculaires, la présence d'implants, etc. Même si l'individu n'a jamais subi de soins dentaires, il est possible de pourvoir l'identifier à partir de la morphologie de ses racines dentaires. La comparaison des odontogrammes (relevé dentaire) ante et post mortem aboutit dans de très nombreux cas à l’identification formelle d’un individu.

L'identification dentaire positive d'un individu n'implique pas un nombre défini de points communs comme il est demandé pour les empreintes digitales. En revanche, un seul point non compatible permet d'exclure la victime.

L'expression des résultats de l'identification est donnée comme suit :

- positive : les données ante et post mortem sont suffisamment détaillées pour affirmer qu'elles concernent la même personne ;

- possible : les données ante et post mortem ont des caractéristiques cohérentes mais en raison de la qualité des restes post mortem ou des indices ante mortem, il est impossible d'établir positivement l'identification ;

- informations insuffisantes : les informations disponibles sont insuffisantes pour établir une identification ;

- exclusion : les données ante et post mortem sont manifestement incompatibles.

Il n'y a pas de technologie particulière utilisée en odontologie, il s'agit surtout de comparaison visuelle. Les experts peuvent cependant faire appel au microscope électronique à balayage dans le cas où ils font face à un fragment dentaire dont ils ignorent l'origine, humaine ou animale [3].

Cette technique d’identification positive peut se révéler aussi discriminante que l’identification génétique ou les empreintes digitales. Elle est ainsi souvent retenue dans le cadre des missions de l’Unité Gendarmerie d’Identification de Victimes de Catastrophes (UGIVC).

Traces de morsures

L’étude des traces de morsures humaines fait l’objet d’analyses en comparaison. Elle peut être réalisée sur une victime vivante ou décédée mais aussi sur un agresseur ou sur des objets présents sur les lieux d'une infraction. L'apparence variée des traces de morsures rend souvent très difficile la tâche de l'expert. C'est pourquoi elle est effectuée à l'aide de nouvelles technologies 3D (scanner laser) enlevant toute part de subjectivité de l'intervenant. L'interprétation d'une morsure nécessite la prise en compte de plusieurs facteurs : les dents du mordeur, l'action de la langue, des lèvres et des joues mais également l'état psychique du mordeur et la localisation de la morsure [1]. Dans certains cas, elle conduit à l’identification ou à l’exclusion d’un agresseur potentiel.

Pour conclure

L'odontologie médico-légale fait partie intégrante du processus d'identification et constitue un moyen tout aussi fiable que les empreintes génétiques ou digitales. Qu'elle s'applique à des cas isolés ou à des catastrophes de masse, les dents restent parfois le seule possibilité d’identification formelle.

   

Sources

1 : PERRIER, Michel. Introduction à l'odontostomatologie médico-légale. Revue Mensuelle Suisse Odontostomatologie, 1988, vol 108:3

2 : BECART, Anne. Le domaine d'activité de l'odontologiste médico-légale, IML Lille.

3 : CITE DES SCIENCES ET DE L'INDUSTRIE. L'expert en odontologie médico-légale. Dailymotion, publiée le 12/02/2009, consultée le 09/06/2016 

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